Pratiques restrictives de concurrence : la Cour de cassation définit les conditions d’application dans le temps du revirement de jurisprudence opéré par trois arrêts du 29 mars 2017 à propos des conditions de recours contre les jugements rendus en application de l’article L. 442-6 du code de commerce.

Com. 21 mars 2018, n° 16-28.412

La liste des pratiques restrictives de concurrence qui engagent la responsabilité de « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers » est établie par l’article L. 442-6 du code de commerce.

Sur le plan procédural, une difficulté est apparue en raison de la teneur de l’article D. 442-3 du même code, qui pose que la possibilité d’appliquer cet article L. 442-6 est réservée à certains tribunaux, dont la liste est fournie par l’annexe 4-2-1 du code de commerce, et qui ajoute que la cour d’appel de Paris est compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions. Qu’en est-il, en effet, si un tribunal non spécialisé est saisi d’une affaire relevant de l’article L. 442-6 et si un recours est formé contre sa décision ? Ce recours doit-il être formé devant la cour d’appel de Paris ou devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle il est localisé, en application du droit commun ?

Par trois arrêts du 29 mars 2017 (Com. 29 mars 2017, nos 15-17.659, 15-24.241 et 15-27.811), la chambre commerciale a opéré un revirement : en application des articles L. 442-6, III, et D. 442-3 du code de commerce, seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions du premier degré spécialement désignées sont portés devant la cour d’appel de Paris, de sorte qu’il appartient aux autres cours d’appel, conformément à l’article R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire, de connaître de tous les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions situées dans leur ressort qui ne sont pas désignées par l’annexe. Ce revirement a ensuite été confirmé par un arrêt du 17 janvier 2018 (n° 17-10.360).

Par son arrêt du 21 mars 2018, la chambre commerciale précise les conditions d’application dans le temps de cette nouvelle jurisprudence.

En l’espèce, un dossier impliquant l’application de l’article L. 442-6 du code du commerce avait été porté devant le tribunal de grande instance de Nanterre, qui n’est pas une juridiction mentionnée par l’annexe 4-2-1 et qui est situé dans le ressort de la cour d’appel de Versailles. Un appel fut formé devant la cour d’appel de Paris. Il fut jugé recevable par une décision du 28 septembre 2016 et donc antérieure au revirement de jurisprudence opéré le 29 mars 2017. Cette position était conforme à la jurisprudence antérieure à ce revirement, selon laquelle la cour d’appel de Paris était seule investie du pouvoir juridictionnel de statuer sur les recours formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du code de commerce, même lorsqu’elles émanaient de juridictions non spécialement désignées par l’article D. 442-3 du même code.

Le pourvoi est rejeté au motif que « l’application, à la présente instance, de la règle issue du revirement de jurisprudence, qui conduirait à retenir l’irrecevabilité de l’appel formé devant la cour d’appel de Paris, aboutirait à priver la [partie concernée], qui ne pouvait ni connaître ni prévoir, à la date à laquelle elle a exercé son recours, la nouvelle règle jurisprudentielle limitant le pouvoir juridictionnel de la cour d’appel de Paris, d’un procès équitable, au sens de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

L’arrêt du 21 mars 2018 écarte donc le principe de rétroactivité de la jurisprudence et admet la modulation de l’application dans le temps de la jurisprudence.