La réforme du droit des contrats en voie d'être réformée.

Projet de loi Sén. n° 5 ratifiant l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Après examen par le Sénat, le projet de loi de ratification de l’ordonnance de 2016 qui a réformé le droit des contrats envisage une modification de quelques articles du Code civil, corrigeant ainsi quelques difficultés relevées par les praticiens. Le rapport présenté au Sénat interprète par ailleurs certaines dispositions issues de l’ordonnance.

1. Un an après l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, le Gouvernement a déposé devant le Sénat un projet de loi de ratification de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 ayant introduit cette réforme (Projet Sén. n° 578). La commission des lois du Sénat (Rapport n° 22) a proposé la modification de plusieurs dispositions du Code civil issues de l'ordonnance, afin de rectifier des « malfaçons notables », des imprécisions et de trancher la question de l’application de la réforme aux contrats en cours. Ces amendements répondent aux principales critiques formulées par la doctrine et les praticiens. Le Sénat a adopté en première lecture le projet ainsi amendé (Projet Sén. n° 5). Le rapport de la commission des lois du Sénat explicite par ailleurs l’intention des auteurs de l’ordonnance pour surmonter les difficultés d’interprétation de certaines dispositions dont la modification n’est pas envisagée. Nous présentons les dispositions du projet tel qu'adopté par les sénateurs, ainsi que les principales précisions d’interprétation relatives aux dispositions modifiées.

Dispositions relatives au contrat

Une nouvelle définition du contrat de gré à gré et du contrat d’adhésion

2. Le projet de loi clarifie les définitions des contrats de gré à gré et d’adhésion (Projet de loi art. 2 ; C. civ. art. 1110). Serait ainsi un contrat de gré à gré celui dont les stipulations sont librement négociables, et non plus « négociées ». La définition du contrat d’adhésion ne ferait plus référence aux « conditions générales soustraites à la négociation ». Un tel contrat serait celui comportant des clauses non négociables, unilatéralement déterminées à l’avance par une des parties. Corrélativement, serait modifié l’article 1171 du Code civil relatif aux clauses créant dans ces contrats un déséquilibre significatif (n° 23). Serait d’adhésion le contrat comportant des clauses non négociables

3. Les définitions issues de l’ordonnance de 2016 sont critiquées par la doctrine car elles prêtent à interprétation. Notamment, pour certains auteurs, en l’état actuel du texte, la qualification de contrat de gré à gré peut être écartée et celle de contrat d’adhésion retenue, même si la liberté de négocier existe, dès lors qu’aucune négociation n’était effectivement intervenue (M. Mekki, L'incidence de la réforme du droit des obligations sur le droit des sociétés : rupture ou continuité ? : Rev. sociétés 2016 p. 563 § 22). Pour d’autres, la notion de contrat d’adhésion ne vise qu’une impossibilité de négocier (Th. Revet, Les critères du contrat d'adhésion : D. 2016 p. 1771 n° 12). C’est cette dernière interprétation que retient le projet de loi, faisant de la négociabilité des clauses le critère de distinction entre contrat de gré à gré et contrat d’adhésion. Réparation de la faute commise lors de la négociation du contrat

4. En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut actuellement avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu (art. 1112, al. 2). Le projet de loi exclut également la réparation de la perte de chance d’obtenir ces avantages (Projet de loi art. 3).

5. La clarification est attendue. En effet, selon le rapport au Président de la République sur l’ordonnance de 2016, l’article 1112, al. 2 consacre la jurisprudence « Manoukian » qui interdisait d’obtenir réparation de la perte des gains attendus du contrat mais aussi de la perte d'une chance d'obtenir ces gains (Cass. com. 26-11-2003 n° 00-10.243, 00-10.949 FS-P : RJDA 5/04 n° 511). Mais, faute de reprendre expressément cette dernière exclusion, la portée de l’article 1112, al. 2 est incertaine, laissant à penser que la perte de chance est réparable (notamment M. Mekki, Réforme du droit des obligations : Pourparlers, offre et acceptation : JCP N 2016 act. 1278). Selon le rapport de la commission des lois sur le projet de loi, la rédaction envisagée de l’article 1112 permettrait, à l’inverse, la réparation du préjudice résultant des opportunités perdues de conclure un contrat avec un tiers, comme l’avait admis la jurisprudence avant la réforme (Cass. com. 20-11-2007 n° 06-17.289 F-D : Rev. jur. com. 2008 p. 104 obs. S. Lebreton-Derrien). Le décès du destinataire mettrait fin à l’offre de contrat

6. Le décès du destinataire de l’offre emporterait la caducité de cette dernière (Projet art. 4, 1° ; C. civ. art. 1117, al. 2), ce que la jurisprudence avait admis avant la réforme (Cass. 1e civ. 5-11-2008 n° 07-16.505 : PA 2009 n° 47 p. 8 note R. Loir). La caducité de l’offre est déjà prévue lorsque c’est l’auteur de l’offre qui vient à décéder (art. 1117, al. 2). Pacte de préférence Des précisions sur l’action interrogatoire

7. La réforme du droit des contrats a, on le rappelle, encadré le régime du pacte de préférence. Notamment, un tiers peut demander par écrit à une personne qu’il suppose bénéficiaire d’un pacte de préférence de confirmer l’existence d’un tel pacte et si elle entend l’invoquer. Actuellement, le tiers doit fixer le délai de réponse qui doit être raisonnable (C. civ. art. 1123, al. 3). Le projet abandonne la notion de délai raisonnable et fixe la durée de celui-ci à deux mois (art. 4, 2°). Il resterait aux tribunaux à déterminer le point de départ du délai : date d’envoi de la demande ou date de réception ? L’opportunité d’interroger le bénéficiaire est discutée

8. L’opportunité pour le tiers d’interroger le bénéficiaire est très discutée en doctrine (notamment H. Le Nabasque, La réforme du droit des contrats et les cessions de droits sociaux : Bull. Joly 2016 p. 521 n° 13 ; E. Jeuland, Les actions interrogatoires en question : JCP G 2016 n° 737 ; E. Schlumberger, Actes pratiques et ingénierie sociétaire mai-juin 2016 p. 47 n° 197). En effet, s’il obtient une réponse positive du bénéficiaire, les conditions de l’annulation du contrat conclu par le tiers en violation du pacte ou de la substitution du bénéficiaire dans ce contrat sont remplies. L’utilisation de l’action interrogatoire peut ainsi être déconseillée. Selon le rapporteur sur le projet de loi, le tiers qui, ayant connaissance de l’existence du pacte de préférence, omettrait d’interroger le bénéficiaire sur ses intentions commettrait une faute de nature à engager sa responsabilité.

9. Le rapporteur a en outre apporté les précisions suivantes sur les conséquences de la réponse ou du défaut de réponse du bénéficiaire à la demande du tiers. Si le bénéficiaire n’a pas répondu dans le délai, il ne peut plus, en cas de violation du pacte au profit du tiers, demander à être substitué à ce dernier dans le contrat conclu ou requérir l’annulation de ce contrat (art. 1123, al. 4). Il peut seulement solliciter des dommages-intérêts pour le préjudice subi. Si le pacte comporte une clause de confidentialité, le bénéficiaire aurait néanmoins intérêt à répondre à la demande du tiers. Le bénéficiaire qui informe le tiers de l’existence du pacte et de son intention de s’en prévaloir n’est pas pour autant engagé à l’égard du promettant. De même, le défaut de réponse du bénéficiaire ne met pas fin au pacte, de sorte que le promettant reste tenu à son égard. L’article 1123 est supplétif entre les parties : celles-ci pourraient exclure la sanction de la nullité ou de la substitution en cas de violation du pacte mais elles ne pourraient pas priver les tiers de leur action interrogatoire. Le pacte est soumis au régime de droit commun sur la durée du contrat

10. Pour la Commission des lois du Sénat, le pacte de préférence est soumis, à défaut de délai expressément ou implicitement fixé par les parties, au régime de droit commun relatif à la durée du contrat (C. civ. art. 1210 s.), dans la mesure où il n’est pas incompatible avec les règles régissant le pacte de préférence. Responsabilité en cas de violation du pacte

11. Le rapport de la commission des lois sur le projet de loi apporte des précisions sur l’action en responsabilité que peut engager le bénéficiaire en cas de violation du pacte (C. civ. art. 1123, al. 2). Le bénéficiaire du pacte peut demander réparation au promettant, qui engage sa responsabilité contractuelle à son égard conformément au droit commun. Le préjudice réparable va au-delà de ce qui est prévu en cas de faute dans les pourparlers : en effet, le promettant a pris l’engagement de proposer en priorité le contrat au bénéficiaire. S’il viole son engagement, les dommages et intérêts doivent replacer le bénéficiaire dans la situation où il se serait trouvé si le promettant lui avait proposé la conclusion du contrat. Il peut donc se prévaloir de l’intérêt attendu du contrat. Le bénéficiaire peut également engager la responsabilité extracontractuelle du tiers fautif qui viole sciemment le pacte de préférence. Vices du consentement La réticence dolosive mise en cohérence avec l’obligation d’information précontractuelle

12. Le dol par réticence est actuellement défini comme la dissimulation intentionnelle par un cocontractant d’une information dont il savait le caractère déterminant pour l’autre partie (C. civ. art. 1137, al. 2). Le projet de loi restreint cette définition : la dissimulation devrait porter sur une information que le cocontractant devait fournir à l’autre partie conformément à la loi (Projet de loi art. 5, 1°). En conséquence, ne serait sanctionné que le non-respect d’une obligation légale d’information préalable. Une partie de la doctrine demande cette modification, estimant que la rédaction actuelle du texte permet de retenir l’existence d’un dol même en l’absence d’obligation préalable d’information (notamment, B. Fagès, Le droit des sociétés et la réforme du droit des contrats : Bull. Joly 2016 p. 532 s. ; M. Mekki, Les incidences de la réforme du droit des obligations sur le droit des sociétés : rupture ou continuité ? - Le contrat : Rev. sociétés 2016 p. 483 s. n° 11). Serait ainsi clarifiée l’articulation du dol par réticence avec le devoir d’information contractuel régissant désormais la négociation d’un contrat en vertu de l’article 1112-1 du Code civil. Violence et abus de dépendance

13. Dans sa rédaction actuelle, l’article 1143 du Code assimile à la violence l’abus par une partie de l’état de dépendance dans lequel se trouve l’autre partie. Le projet de loi entend limiter l’assimilation au seul cas de dépendance économique (art. 5, 2°). Le rapport au Président de la République sur l’ordonnance de 2016 avait précisé que l’abus de dépendance n’avait pas été volontairement cantonné à la dépendance économique afin de protéger des personnes vulnérables autres que des entreprises. Le rapporteur sur le projet de loi de ratification y voit toutefois une extension trop large du domaine de la violence, susceptible de poser des problèmes d’articulation avec des dispositions spéciales déjà protectrices, tels le régime des incapables et l’abus de faiblesse ou d’ignorance prévu par le Code de la consommation (art. L 132-14 et L 132-15) ou le Code pénal (art. 223-15-2). Capacité des personnes morales

14. L’article 1145, al. 2 du Code civil reconnaît la capacité des personnes morales en la limitant aux actes utiles à la réalisation de leur objet tel que défini par leurs statuts et aux actes qui leur sont accessoires, dans le respect des règles applicables à chacune d’entre elles. Cette disposition a été introduite dans le Code civil pour répondre aux demandes des milieux économiques, lesquels souhaitaient disposer dans le Code civil d’une disposition de principe (Rapport au Président de la République relatif à l’ord. 2016-131). La limitation de la capacité des personnes morales corrigée La formulation retenue ne correspond toutefois pas aux notions communément admises en matière de capacité des personnes morales et a suscité des interrogations (voir BRDA 11/16 inf. 21). Le projet de loi met fin à ces interrogations : la capacité des personnes morales serait limitée par les règles applicables à chacune d'entre elles (art. 6, 1°). En effet, il ressort du rapport de la commission des lois du Sénat et des débats au Sénat que le souhait du Gouvernement n’était pas de remettre en cause les solutions propres à chaque forme de personne morale mais d’affirmer de manière générale le principe de capacité des personnes morales. Représentation d’une partie Demande de confirmation des pouvoirs du représentant

15. L’ordonnance de 2016 a introduit la possibilité pour un tiers, qui doute de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l’occasion d‘un acte qu’il s’apprête à conclure, de demander par écrit au représenté de lui confirmer que le représentant est habilité à conclure cet acte (C. civ. art. 1158, al. 1). Alors qu’actuellement le représenté doit répondre dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, le projet de loi fixe à deux mois le délai de réponse (art. 6, 2°). Un tel délai, connu des parties comme des tiers, éviterait un contentieux sur le caractère raisonnable du délai. L’interdiction de représenter plusieurs parties limitée

16. Aux termes de l’article 1161, al. 1 du Code civil, un représentant ne peut pas agir pour le compte des deux parties au contrat. Le projet de loi limite cette interdiction aux personnes physiques (art. 6, 3°) afin de mettre fin aux interrogations relatives à l’articulation de ce texte avec les règles de représentation du droit des sociétés (A. Charvériat, Gestion des conflits d’intérêts : le paradoxe des conventions réputées libres : BRDA 9/16 inf. 20). Ainsi, ne se poserait plus la question de savoir si ce texte fait courir le risque d’annulation d’une convention libre conclue entre une société et son représentant légal.

17. Par ailleurs, bien que l’article 1161 fasse référence expressément à « deux parties au contrat », certains auteurs considèrent qu’il prohibe la multi-représentation en général, c’est-à-dire la représentation, par une même personne, de deux ou plus de deux parties au contrat. Ainsi, un même représentant ne peut pas représenter des covendeurs ou des coacheteurs (R. Mortier, F. Jourdain-Thomas et G. Dumont, L’article 1161 du Code civil et la prohibition de la multi-représentation : JCP N 2017 n° 1267). Le projet de loi entérine cette analyse et, supprimant la référence aux deux parties, envisage le cas de la représentation par une même personne d’une pluralité de parties au contrat (art. 6, 3°).

18. Enfin, le projet de loi restreint l’interdiction de la multi-représentation aux situations dans lesquelles les parties représentées sont en opposition d’intérêt (art. 6, 3°). Cette modification est conforme à l’interprétation du texte donné par le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance de 2016. Des parties aux intérêts similaires pourraient donc avoir le même représentant. Le rapport de la commission des lois du Sénat précise que la notion d’opposition d’intérêt est la même que celle qui se retrouve dans les articles 383, 387-1 et 508 du Code civil relatifs au régime des biens des mineurs ou des majeurs sous tutelle ou curatelle. Contenu du contrat Fixation unilatérale du prix dans les contrats de prestation de services

19. Dans les contrats de prestation de services, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation (C. civ. art. 1165). Le rapport de la commission des lois du Sénat précise que, en pratique, cette disposition vise en particulier les prestations intellectuelles qui ne peuvent pas être précisément évaluées à l’avance. Il confirme par ailleurs que le créancier pouvant fixer le prix est le créancier du prix et non le créancier de l’obligation.

20. La fixation abusive du prix par le créancier peut être sanctionnée par l’attribution de dommages-intérêts (C. civ. art. 1165) et, selon le projet de ratification, par la résolution du contrat prononcée par le juge (art. 7, 1°). L’abus de prix dans les contrats de prestation de services encourrait ainsi la même sanction que celle prévue par l’article 1164 du Code civil en cas d’abus de prix dans les contrats cadres. Contrats dans lesquels la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable

21. Lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le débiteur devrait offrir une prestation de qualité conforme « à ce que pouvait raisonnablement attendre le créancier » (Projet art. 7, 2°), et non plus conforme aux attentes légitimes des parties (C. civ. art. 1166). Cette modification est destinée à clarifier la notion « d’attentes légitimes » qui suscitait des interrogations en raison de son caractère à la fois inusité et imprécis (Rapport de la commission des lois sur le projet de loi). Clause créant un déséquilibre significatif

22. Actuellement, est réputée non écrite toute clause d’un contrat d’adhésion qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat (C. civ. art. 1171). Seules seraient réputées non écrites les clauses non négociables, unilatéralement déterminées à l’avance par l’une des parties d’un contrat d’adhésion créant un tel déséquilibre (Projet art. 7, 3°).

23. Comment articuler l’article 1171 avec des textes spécifiques qui existaient déjà avant l’ordonnance :les articles L 212-2 et suivants du Code de la consommation, qui réputent non écrites les clauses abusives des contrats conclus entre professionnels et consommateurs et l’article L 442-6, I-2o du Code de commerce, qui sanctionne, sur le terrain de la responsabilité, les clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties à un contrat conclu par un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers avec un partenaire commercial (sur cette question, voir BRDA 12/16 inf. 26) ? Le rapport de la Commission des lois du Sénat apporte des précisions sur cette question : les contrats d’adhésion relevant de ces deux textes n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 1171. Le champ d’application de ce dernier texte serait donc réduit. Sont donc principalement concernés les contrats entre particuliers ne relevant pas d’un droit spécial ainsi que les contrats conclus par les professions libérales, dont l'activité ne relève pas du champ commercial, à condition que le contrat soit d’adhésion. Seraient aussi concernés les baux commerciaux, lorsque des bailleurs institutionnels imposent des contrats types sans en permettre la négociation, notamment la location de locaux situés dans les centres commerciaux. Révision du contrat en cas d’imprévision

24. En cas de changement de circonstances imprévisibles et en cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin (C. civ. art. 1195). Serait supprimé le pouvoir du juge de réviser le contrat Le projet supprime le pouvoir de révision judiciaire du contrat à la demande de l’une des parties, tout en conservant la faculté pour celle-ci de demander au juge d’y mettre fin (art. 8, I). En pratique, si cette mesure est adoptée, soit les parties seront d’accord et elles accepteront de modifier le contrat, le cas échéant en demandant au juge son adaptation, soit elles seront en désaccord et, dans ce cas, les intentions originelles des parties au contrat ne pouvant plus être respectées, l’une des parties pourra saisir le juge mais seulement afin qu’il puisse mettre fin au contrat. Cet aménagement risque cependant de restreindre la faculté de révision du contrat car c’est la menace de la révision par le juge qui incite les parties à réviser le contrat à l’amiable.

25. Le projet exclut du régime de l’imprévision les contrats relatifs aux instruments financiers, tels que définis à l’article L 211-1 du Code monétaire et financier (art. 8, II). Aux termes de l’article L 211-40-1 nouveau, nul ne pourrait, pour se soustraire aux obligations qui résultent d’opérations sur les titres et contrats financiers, se prévaloir de l’article 1195 du Code civil, alors même que ces opérations se résoudraient par le paiement d’une simple différence.Ces contrats en effet intègrent naturellement un aléa et les parties acceptent d’en assumer le risque. Les instruments financiers comprennent à la fois les titres financiers et les contrats financiers. Mais ne sont pas concernés les effets de commerce et les bons de caisse. Selon un auteur (B. Dondero), cet aménagement évitera notamment, dans les opérations de capital-risque, que l’exécution des promesses de rachat d’actions soit gênée par le jeu de l’article 1195 Code civil.

26. Le rapport de la commission des lois apporte en outre les précisions suivantes sur la portée du dispositif institué par l’article 1195 du Code civil : • - celui-ci s’applique à tous les contrats, notamment aux pactes de préférence et aux promesses unilatérales, et pas seulement aux contrats à exécution successive ; • - le dispositif est supplétif de la volonté des parties, l’article 1195 laissant place à l’hypothèse où une des parties a accepté d’assumer le risque d’un changement imprévisible de circonstances ; les parties peuvent donc conventionnellement exclure l’application de ce texte comme elles peuvent l’aménager ; • - si la force majeure et l’imprévision ont en commun l’imprévisibilité de la survenance d’un événement postérieur au contrat, elles se distinguent en ce que la force majeure rend impossible l’exécution du contrat tandis que l’imprévision la rend excessivement onéreuse. Exécution forcée en nature

27. Le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature, sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier (C. civ. art. 1221). Certains ont vu dans cette disposition une incitation pour le débiteur à exécuter son obligation de manière imparfaite chaque fois que le gain attendu de cette inexécution serait supérieur aux dommages-intérêts qu’il pourrait être appelé à verser. Pour éviter ce genre de calculs, le projet limite au débiteur de bonne foi la possibilité de s’opposer à l’exécution forcée (art. 9, 2°). Réduction du prix

28. La réduction du prix par la partie envers laquelle l’engagement a été imparfaitement exécuté est clarifiée par le projet de loi (art. 9, 3°) : ce serait elle qui pourrait décider unilatéralement une réduction du prix (art. 1223). Il suffirait donc au créancier de considérer que le contrat n’a pas été correctement exécuté pour « décider » une réduction de prix, qui s’imposerait au débiteur, à charge pour lui de conduire une action en justice. Mais il ne pourrait le faire qu’après avoir mis son cocontractant en demeure. Régime général des obligations La déchéance du terme inopposable aux cautions

29. La déchéance du terme encourue par un débiteur est inopposable à ses coobligés, même solidaires (C. civ. art. 1305-5). Elle le serait aussi à ses cautions (Projet art. 10, 2°), conformément à la jurisprudence antérieure (notamment Cass. 1e civ. 20-12-1976 n° 75-12.439 : Bull. civ. I n° 415 ; Cass. com. 8-3-1994 n° 92-11.854 P : RJDA 7/94 n° 866). Les autres garants, notamment ceux qui ont consenti la garantie autonome, ne sont pas visés par le texte, mais la même solution s’impose, du fait du caractère indépendant de l’engagement de ces garants. Cession de dette

30. Depuis la réforme du droit des contrats, un débiteur peut, avec l'accord du créancier, céder sa dette (C. civ. art. 1327), sans qu’aucune forme particulière ne soit requise. Le projet de loi (art. 11) ajoute que la cession doit être constatée par écrit, à peine de nullité. La cession de dette serait ainsi soumise au même formalisme que la cession de créance (C. civ. art. 1322) et la cession de contrat (art. 1216, al. 3). La cession de dette soumise au même formalisme que la cession de créance Par ailleurs, la cession de dette, en cas de défaut d’accord du créancier, lui serait opposable à partir du jour où elle lui a été notifiée, dès lors qu’il a par avance donné son accord à la cession « et » qu’il n’y est pas intervenu (Projet art. 12, 1°), alors que ces conditions étaient, probablement par erreur, exigées de manière alternative dans le texte d’origine (C. civ. art. 1327-1). Paiement international

31. L’article 13 du projet remplace à l’article 1343-3 du Code civil la référence au contrat international, permettant qu’un paiement ait lieu dans une autre monnaie que l’euro, par la référence plus large à une « opération à caractère international ». Opposabilité de la compensation par la caution et le codébiteur solidaire

32. La caution et le codébiteur solidaire pourrait se prévaloir de la compensation, alors même qu’elle n’aurait pas été invoquée par le débiteur principal, un codébiteur ou le créancier et qu’elle ne serait pas intervenue (Projet art. 14). L’article 1347-6 prévoit en effet la possibilité pour la caution d'opposer au créancier la compensation intervenue entre le créancier et le débiteur (al. 1) et la possibilité pour le codébiteur solidaire de se prévaloir de la compensation intervenue entre le créancier et l'un de ses coobligés (al. 2), ce qui laisse supposer que, si la compensation n'a pas été invoquée par le débiteur ou le créancier, la caution ne peut pas s'en prévaloir. Le projet supprime le terme « intervenue » : la caution ou le codébiteur solidaire pourraient invoquer la compensation dès lors que ses conditions sont réunies, alors même qu'elle n'a pas encore été déclenchée par le débiteur. Renonciation à une condition

33. L’article 1304-4 du Code civil, relatif aux conditions dans lesquelles la partie au bénéfice exclusif de laquelle une condition suspensive a été stipulée peut y renoncer, prévoit qu’il pouvait y renoncer tant que celle-ci n'est pas accomplie. Or il n'y a aucun intérêt à préciser que le bénéficiaire ne peut plus renoncer à cette condition si elle est accomplie puisque, par l'accomplissement de la condition, l'obligation est devenue pure et simple (C. civ. art. 1304). Par suite, renoncer à la condition, même accomplie, revient au même résultat : l'obligation devient pure et simple. L‘objectif des rédacteurs de l'ordonnance de 2016, tel qu’il apparaît dans le rapport au Président de la République sur cette ordonnance, était d’interdire la renonciation unilatérale du bénéficiaire de la condition défaillie, les parties pouvant toujours s'accorder pour décider de maintenir le contrat. Pour permettre à cette disposition d'atteindre l'objectif assigné par les rédacteurs de l'ordonnance, le projet (art. 10, 1°) ajoute que la renonciation est possible tant que la condition n’est pas accomplie ou n’a pas défaillie.

Maintien de la loi ancienne pour les contrats conclus avant la réforme

34. Aux termes de l’article 9 de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 - date d’entrée en vigueur de l’ordonnance - demeurent soumis à la loi ancienne, y compris - ajoute le projet de loi (art. 15, I) - pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public. Cette précision rétroagirait au 1er octobre 2016 (art . 15, II). Une mesure pour contrecarrer la jurisprudence sur les contrats en cours

35. Selon le rapport sur le projet de loi, cette modification tend à combattre la jurisprudence de la Cour de cassation qui admet, dans certains cas et par exception au principe de non-rétroactivité de la loi (C. civ. art. 2), l’application d’une loi nouvelle à des situations en cours. En effet, pour la Cour de cassation : • - la loi nouvelle régit immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées (Cass. 3e civ. 8-2-1989 n° 87-18.046 : Bull. civ. III n° 33 ; Avis Cass. 16-2-2015 n° 1470011 : AJDI 2015 p. 608 obs. N. Damas ; Cass. 3e civ. 17-11-2016 n° 15-24.552 FS-PBI : Loyers et copr. 2017 comm. n° 2 note B. Vial-Pedroletti, faisant application de lois nouvelles à des baux commerciaux ou d’habitation en cours, y compris en présence d’une disposition prévoyant le maintien de la loi ancienne pour les contrats conclus antérieurement) ; • - une loi nouvelle s’applique aux contrats en cours pour ses dispositions relevant d’un ordre public impérieux (notamment, Cass. com. 27-10-1969 : Bull. civ. IV n° 310 ; Cass. 1e civ. 4-12-2001 n° 98-18.411 P : RJDA 6/02 n° 719 ; Cass. soc. 22-2-2006 n° 05-13.480 F-PB : RJS 5/06 n° 577), voire simplement parce qu’elle est d’ordre public (Cass. 3e civ. 9-2-2017 n° 16-10.350 FS-PBI : BRDA 6/17 inf. 10).

Plus récemment, la Cour de cassation a effectué des revirements de jurisprudence au regard de « l’évolution du droit des obligations résultant de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 » dans des contentieux portant sur des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de cette ordonnance (Cass. ch. mixte 24-2-2017 n° 15-20.411 F-PBRI : RJDA 5/17 n° 324 ; Cass. 1e civ. 20-9-2017 n° 16-12.906 FS-PB : D. 2017 act. p. 1911 ; Cass. soc. 21-9-2017 n°s 16-20.104 FS-PBRI, 16-20.103 FS-PBRI : ci-dessus inf. 12).

36. Le rapport de la commission des lois sur le projet de loi considère que le maintien de l’application de la loi ancienne aux contrats en cours au 1er octobre 2016 répond aux besoins légitimes de loyauté et de prévisibilité dans les relations contractuelles ainsi qu’aux exigences du Conseil constitutionnel en matière de protection de la liberté contractuelle et des contrats légalement conclus.

L’application immédiate de la réforme aux contrats en cours porterait atteinte à la volonté des parties exprimée au moment de la conclusion du contrat. La théorie des effets légaux du contrat permettrait en effet d’appliquer automatiquement à un contrat antérieur une disposition nouvelle supplétive, sans que les parties aient été en mesure de l’écarter. Par ailleurs, les parties n’auraient peut-être pas conclu le contrat compte tenu des nouvelles règles d’ordre public.

37. Toutefois, le dispositif prévu par le projet loi fait-il totalement obstacle à l’application de la réforme aux contrats en cours ? Ce n’est pas certain. Dans les arrêts précités, la chambre mixte et la première chambre civile de la Cour de cassation ont jugé, à la lumière de la réforme, que le formalisme imposé en matière de mandat d’agent immobilier protège le seul propriétaire, de sorte que la nullité encourue en cas de non-respect est relative et non plus absolue. La solution aurait également pu être justifiée par l’évolution de la jurisprudence, diverses chambres de la Cour de cassation ayant déjà retenu la nature de l’intérêt protégé - général ou privé - comme critère de distinction entre nullité relative et nullité absolue (notamment Cass. 1e civ. 29-9-2004 no 03-10.766 FS-PB : Bull. civ. I n° 216 ; Cass. 3e civ. 24-10-2012 n° 11-21.980 FS-D : RJDA 2/13 n° 100 ; Cass. com. 22-3-2016 n° 14-14.218 FS-PB : BRDA 7/16 inf. 10), tout comme le fait désormais l’article 1179 du Code civil issu de l’ordonnance de 2016.

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