Le tiers évincé d’une cession de droits sociaux en vertu d’une clause de préemption statutaire conclue au profit des associés fondateurs, n’a pas intérêt à agir en nullité de ladite clause et doit prouver l’existence d’une faute dans l’exercice de ce droit de préemption pour obtenir réparation.

Com. 2 fév. 2016, FS-P+B, pourvoi n° 14-20.747

La présente espèce concerne la cession de droits sociaux intervenue à la suite de l’exercice, par un associé, d’un droit de préemption statutaire. La Chambre commerciale y précise les recours dont dispose le tiers évincé.

En l’espèce, deux sociétés avaient créé une filiale commune, détenant chacune 50% du capital social. Les statuts de la filiale comportaient une clause de préemption : « les associés n'appartenant pas au groupe du cédant disposeront d'un délai d'un mois à compter de la réception de la délégation de cession, pour notifier aux autres associés, ainsi qu'au président du conseil leur intention : (i) d'exercer le droit de préemption et de se porter acquéreur de la totalité des actions à céder, et ce au prix de transaction, (ii) d'exercer pour ce même prix leur droit de sortie conjointe pour un nombre d'actions calculées au prorata du nombre d'actions dont le cédant envisage la cession »

En d’autres termes, si l’une des sociétés, associés fondateurs, souhaitait céder sa participation, l’autre bénéficierait d’une priorité sur la vente.

Une société tierce a voulu acquérir les actions détenues par l’une des sociétés au sein de la filiale commune. Cette société cédante, conformément aux dispositions statutaires, informa son associée qui a alors exercé son droit de préemption. La société tierce évincée a agi en nullité contre la clause de préemption en arguant d’un exercice irrégulier dudit droit. Son action a été jugée irrecevable par les juges du fond, irrecevabilité confirmée par la Cour de cassation.

La Chambre commerciale a en effet estimé que « si l’acquéreur évincé a intérêt à l’annulation de la préemption prévue par les statuts, il n’a pas qualité pour agir à cette fin ». La solution est logique : la société évincée n’étant pas partie à la convention de préemption, elle ne pouvait pas agir pour demander la nullité de la décision de préemption pour non-respect de cette convention.

En revanche, malgré l’irrecevabilité de l’action en nullité intentée par le demandeur, ce dernier peut demander à être indemnisé du préjudice généré par l’exercice de la clause entre les contractants.

En effet, un arrêt important rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, le 6 octobre 2006, précise que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».

En l’espèce, le tiers évincé pouvait donc agir en responsabilité délictuelle contre la société bénéficiaire de la cession, s’étant prévalu de son droit de préemption. Mais encore faut-il prouver une faute dans l’exécution de ce droit et un préjudice. En l’espèce, le tiers échoue à prouver ces éléments.

A cet égard, la société demandeuse arguait que la clause de préemption se contentait de viser le prix et les actions comprises dans le champ de la cession mais ne précisait en rien les conditions dans lesquelles le bénéficiaire du droit de préemption devait se substituer au tiers acquéreur. Que de ce fait, la société évincée ne faisait valoir qu’un défaut d’interprétation des juges du fond de la clause qu’elle estimait « lacunaire » (à défaut de rechercher un manquement contractuel).

La Cour de cassation donne raison à la cour d’appel qui a estimé qu’aucune faute, dans l’exercice du droit de préemption, n’était caractérisée, les conditions de substitution, bien que n’étant pas précisé dans les statuts, relevaient simplement d’un accord de volonté entre le bénéficiaire du droit de préemption et la société cédante.

L’action en responsabilité délictuelle dirigée contre l’associé bénéficiaire du droit de préemption ne pouvait donc qu’être rejetée.