Clauses contraires au statut des baux commerciaux : Application du « réputé non écrit » aux baux en cours

Cass. civ. 3, 16-11-2023, n° 22-14.091, F-B ; Cass. civ. 3, 16-11-2023, n° 22-14.046, F-D ; Cass. civ. 3, 16-11-2023, n° 22-14.089, F-D

1/ Dans le cadre des arrêts énoncés ci-dessus, la Cour de cassation est venu apporter des précisions sur les modalités d’application dans le temps du « réputé non écrit ».

La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (dite « loi Pinel »), qui, en ce qu'elle a modifié l'article L. 145-15 du code de commerce, a substitué, à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours et l'action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail n'est pas soumise à prescription.

2/ Dans les trois affaires citées en commentaire, les trois propriétaires avaient, chacun, consenti un bail commercial à une société exploitant une résidence de tourisme. Ces baux comportaient une clause selon laquelle la société locataire n’aurait droit à aucune indemnité d’éviction en cas de congé comportant refus de renouvellement.

C’est ainsi que les propriétaires avaient fait délivrer au locataire un congé avec refus de renouvellement sans offre d’indemnité d’éviction sur le fondement de cette clause de renonciation.

Dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt publié (n° 22-14.091), le bail avait été conclu en 2002 et la société locataire avait reçu le 23 septembre 2014 un congé pour le 31 mars 2015.

S’agissant des deux autres arrêts, inédits (22-14.046 et 22-14.089), les baux avaient été conclus en 2002 et 2003 et les congés donnés, dans une affaire, pour le 31 décembre 2013 et, dans l’autre affaire, pour le 30 septembre 2014.

Le locataire avait assigné les bailleurs, notamment, en paiement d’une indemnité d’éviction.

S’agissant des affaires dans lesquelles le congé avait été donné pour le 31 mars 2015 (n° 22-14.091) et pour le 30 septembre 2014 (n° 22-14.046), les juges du fond ont réputé la clause de renonciation au paiement de l’indemnité d’éviction non écrite, tandis que dans l’affaire dans laquelle le congé avait été donné pour le 31 décembre 2013 (n° 22-14.089), les juges du fond ont validé le congé, estimant que l’action en nullité de la clause de renonciation au paiement de l’indemnité d’éviction était prescrite.

3/ L’article L. 145-15 du code de commerce sanctionne, « quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement (…) ».

Dans les décisions rapportées, il n’est pas discuté que la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction était irrégulière. Elle est, en effet, contraire au droit au renouvellement, dont l’indemnité d’éviction est le corollaire, le droit au renouvellement étant un droit d’ordre public (C. com., art. L. 145-15).

La question posée à la Cour de cassation dans ces trois affaires concernait les modalités d’application dans le temps des dispositions de la loi dite « loi Pinel » qui ont modifié l’article L. 145-15 précité en modifiant la sanction applicable aux clauses contraires aux dispositions d’ordre public du statut des baux commerciaux, le « réputé non écrit » remplaçant désormais la « nullité ».

4/ D’aucuns ont rappelé que le « droit au renouvellement » doit s’entendre du droit au renouvellement ou à indemnité d’éviction, le propriétaire ayant toujours le choix de refuser le renouvellement, à charge de payer l’indemnité d’éviction.

De ce fait, les clauses prohibées sont celles qui font échec au droit au renouvellement ou, comme en l’espèce, au droit à indemnité d’éviction.

Avant la réforme du 18 juin 2014, l’article L. 145-15 du code de commerce disposait que « sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le présent chapitre ou aux dispositions des articles L. 145-4, L. 145-37 à L. 145-41, du premier alinéa de l'article L. 145-42 et des articles L. 145-47 à L. 145-54 ».

L'action en nullité d'une clause du bail contraire au statut des baux commerciaux est soumise à la prescription biennale de l’article L. 145-60 du Code de commerce. Le délai de prescription biennale court à compter de la date à laquelle l'action peut être engagée, soit à compter de la signature du bail ou de son renouvellement.

Depuis la réforme opérée par la loi dite « loi Pinel », le texte dispose que les clauses, stipulations et arrangements contraires au droit au renouvellement « sont réputés non écrits ».

La réforme du 18 juin 2014 a ainsi remplacé la sanction de la nullité par celle du réputé non écrit.

Il ressort des travaux parlementaires que l'objectif de cette modification a été la protection du locataire en permettant de sanctionner de manière « plus rigoureuse » que la nullité les clauses contraires aux dispositions et droits visées aux articles L. 145-15 et L. 145-16 du Code de commerce en faisant échapper à la prescription biennale les actions tendant à sanctionner ces clauses (Avis Sénat n° 446, 2013-2014, par Bonnefoy N., p. 20).

En effet, avant la réforme du 18 juin 2014, une clause nulle, qui n’avait pas été attaquée dans le délai de deux ans à compter de la signature du bail, se trouvait indirectement validée par l’effet de la prescription biennale.

Alors que le caractère non écrit d’une clause peut être invoqué en tout état de cause, sans se heurter à aucune prescription : « L’action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail n’est pas soumise à prescription » (Civ. 3e, 19 nov. 2020, n° 19-20.405, Dalloz actualité, 4 janv. 2021, obs. A. Cayol ; D. 2020. 2342).

5/ C’est donc cette solution qui est rappelée par les arrêts commentés qui visent la décision précitée du 19 novembre 2020 : « La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, qui, en ce qu'elle a modifié l'article L. 145-15 du code de commerce, a substitué, à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours et l'action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail n'est pas soumise à prescription (3e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-20.405, publié) ».

Or, les propriétaires faisaient notamment valoir que le bail et la clause litigieuse avaient été signés bien avant la réforme du 18 juin 2014 et que de ce fait le régime applicable était donc celui de la nullité telle qu’elle était prévue par l’article L. 145-15 du code de commerce dans son ancienne version.

Toutefois, la Cour a jugé que, quand bien même la prescription de l'action en nullité des clauses susvisées était antérieurement acquise, la sanction du réputé non écrit est applicable aux baux en cours.

Plus précisément pour appliquer les dipositions de loi dite « Loi Pinel », la Cour a retenu les élèments qui suivent.

Dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt publié (n° 22-14.091), la Cour a constaté que le bail s'était tacitement prorogé et que le congé avait été valablement délivré par les propriétaires le 23 septembre 2014, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, l'action tendant à voir réputer non écrite la clause de renonciation à l'indemnité d'éviction n'était pas soumise à la prescription biennale et était recevable.

Dans celle ayant donné lieu à l’un des deux arrêts inédits (n° 22-14.046), le congé avait délivré le 19 mars 2014, avant l’entrée en vigueur de la « loi Pinel », avec une date d’effet au 30 septembre 2014, soit postérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi. Le congé, avec refus d’indemnité d’éviction fondé sur la stipulation illicite, avait donc été délivré avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle mais pour une date d’effet postérieure.

Il sera noté les termes de la Cour de cassation dans son chapeau : « il résulte de l'article 2 du code civil que la loi nouvelle régit les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées ».

Il n’en demeure pas moins qu’il n’était pas si évident que la situation juridique fût définitivement réalisée s’agissant du congé délivré avant l’entrée en vigueur de la « loi Pinel » pour une date d’effet postérieure.

En revanche, dans l’affaire ayant donné lieu à l’autre arrêt inédit (22-14.089), le congé avait été délivré avant l’entrée en vigueur de la « loi Pinel » et pour une date d’effet antérieure à cette dernière. La Cour de cassation, énonçant cette fois dans le chapeau de cette décision que « loi nouvelle ne saurait, sans rétroactivité, régir les effets des situations juridiques définitivement réalisés avant son entrée en vigueur », retient que la nouvelle sanction du réputé non écrit n’était pas applicable car « la situation juridique s’était éteinte » à la date d’effet du congé, avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

6/

En définitive, l'action tendant à voir réputée non écrite une clause ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement, introduite après l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 et relative à un bail en cours à cette date, est recevable quand bien même la prescription de l'action en nullité de cette même clause aurait été acquise au jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle.

Sandra NICOLET