Annulation d’un contrat de prêt immobilier libellé en francs suisses

Les prêts en francs suisses, commercialisés depuis la fin des années 1990, ont été présentés aux consommateurs français comme avantageux en raison de taux d’intérêt attractifs. Cependant, ils se sont rapidement révélés dangereux en raison d’un risque de change illimité pesant sur les consommateurs dont ces derniers n’étaient pas correctement informés. Dès lors, ces prêts ont alimenté ces dernières années un important contentieux sur le terrain des clauses abusives, porté jusqu’à la Cour de justice de l’Union européenne.

Notamment, par arrêt du 10 juin 2021 (CJUE, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19 à C-782/19), et par arrêt du 9 juillet 2020 (CJUE, arrêt du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank, C-698/18 et C-699/18), la Cour de justice de l'Union européenne a précisé les modalités de mise en oeuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, qui relèvent de l'ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l'autonomie procédurale.

Elle a retenu que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil et à l'article L. 110-4 du code de commerce, de l'action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses, et non à compter de la date de l'acceptation de l'offre de prêt.

Cette position s’entend compte tenu du fait que les clauses relatives au risque de change du contrat n’étaient ni claires ni intelligibles pour le consommateur en ne l’informant ni sur les éléments fondamentaux du contrat ayant trait au risque de change ni sur les conséquences financières résultant pour lui de la réalisation de ce risque. Ces clauses créaient donc un déséquilibre significatif entre la banque et les emprunteurs, de sorte qu’elles étaient abusives et devaient être réputées non écrites.

Cette approche jurisprudentielle a été ensuite constatée de manière récurrente dans les arrêts rendus par la Cour de cassation (Civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-17.996, n°19-12.947, n°19-18.997, n°19-18.998, n°19-20.717 ; Civ. 1ère, 20 avril 2022, n°19-11.599, n°20-16.941, n°19-11.600, n°20-16.940 et n°20-16.942 ; Civ. 1ère, 28 septembre 2022, n°21-11.221 ; Civ. 1ère, 7 décembre 2022, n°21-18.673 ; Civ. 2ème, 13 avril 2023, n°21-14.540 ; Civ. 1ère, 7 septembre 2022, n°21-15.199 ; Civ. 1ère, 1er février 2023, n°21-20.168 ).

C’est ainsi que par un nouvel arrêt du 12 juillet 2023, la Cour de cassation a confirmé l’annulation d’un crédit souscrit auprès du CRÉDIT MUTUEL (1) et des restitutions qui en découlent au bénéfice de l’emprunteur (2), en précisant le point de départ du délai de prescription de l’action en restitution de l’emprunteur (3)

1. Le caractère abusif des clauses de remboursement et de change entraine l’annulation du contrat

La Cour de cassation, appliquant sa jurisprudence désormais constante, valide le raisonnement selon lequel les clauses relatives au risque de change du contrat souscrit auprès du CRÉDIT MUTUEL, étaient ni claires ni intelligibles pour le consommateur et, ainsi, retient le caractère abusif de ces clauses.

Il en ressort que l’emprunteur n’avait pu être en mesure d’évaluer les conséquences de la clause sur ses obligations financières et prendre ainsi conscience des difficultés auxquelles il serait confronté en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle il percevait ses revenus.

En conséquence, les Hauts magistrats retiennent que la banque n’a pas fourni à l’emprunteur, en sa qualité de consommateur, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier et donc d’évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, des clauses litigieuses pendant la durée du contrat.

La Cour de cassation a confirmé l’annulation du prêt litigieux, considérant que ce dernier ne pouvait pas subsister en l’absence des clauses réputées non écrites.

2. Conséquence de l’annulation du prêt : restitutions réciproques

Dans cet arrêt, la Cour de cassation se prononce également pour la première fois sur les conséquences de l’annulation du prêt, à savoir les restitutions réciproques qui en découlent.

La Haute juridiction affirme qu’une clause contractuelle déclarée abusive doit être considérée, en principe, comme n’ayant jamais existé et ne peut donc avoir d’effet à l’égard du consommateur. Fort de ce constat, la situation du consommateur doit être rétablie en droit et en fait selon la situation dans laquelle il se serait trouvé en l’absence de ladite clause et les restitutions doivent être ordonnées.

Dans le cas présent, les clauses réputées non écrites constituant l’objet principal du contrat, celui-ci ne pouvait « subsister sans elles ». Autrement dit, les clauses, relevant de l’objet principal du contrat, emportent la disparition rétroactive du contrat en totalité.

Elle approuve ainsi la décision de la Cour d’appel, qui avait jugé que l’ensemble des sommes versées par l’emprunteur au-delà du montant du capital initialement prêté devait lui être restituées.

3. Point de départ du délai de prescription de l’action en restitution de l’emprunteur

La Cour de cassation juge également que la demande en restitution de l’emprunteur se prescrit par l’écoulement d’un délai de cinq ans à compter de la décision judiciaire d’annulation du prêt.

Pour les Hauts magistrats « le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu’énoncé à l’article 2224 du Code civil et à l’article L. 110-4 du Code de commerce, de l’action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d’un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses ».

En l’espèce, la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la banque a été rejeté par les juges qui en déduisent que l’action en restitution de l’emprunteur était donc bien recevable.

En définitive, une telle décision constitue un apport jurisprudentiel important, marquant une solution inédite d’un emprunteur sur le terrain des clauses abusives. Au demeurant, elle permet d’assurer un niveau élevé de protection aux consommateurs. De par cette décision, la Cour de cassation ouvre le droit à l’ensemble des consommateurs concernés par ces prêts, sous réserve de l'analyse préalable de leurs dossiers, de prétendre au bénéfice de cette jurisprudence et à l’annulation de leurs prêts.

Sandra NICOLET