La caractérisation de la contrefaçon pénale d’un dessin et modèle

Le 1er avril 2014, la chambre criminelle de la Cour de cassation (n° 12-86504) a dû se prononcer sur la contrefaçon d'un soutien gorge du maillot de bain Mishi (ci-après le Modèle) par la Redoute. En effet, la Redoute était poursuivie pour contrefaçon de dessins et modèles, compte tenu de la mise en vente d'un maillot de bain similaire à celui du Modèle déposé par la société Création Méditerranée auprès de l'INPI le 7 juillet 2005 et publié le 23 septembre 2005. Le 11 septembre 2012, la Cour d'appel d'Aix en Provence a reconnu la responsabilité pénale de la Redoute au visa de l'article L 121-2 du code pénal pour contrefaçon de dessins et modèles au motif que le maillot de bain était une “copie servile du modèle protégé et l'a condamnée, à 50 000 euros d'amende. La Redoute a formé un pourvoi en cassation contestant d'une part, le caractère valable du Modèle au regard du manque de nouveauté de celui-ci et d'autre part, l'absence de détermination de la personne agissant pour son compte et pouvant engager sa responsabilité pénale au sens de l'article L 121-2 du code pénal. Quand bien même les moyens invoqués par la Redoute se fondent principalement sur la protection du Modèle et la contrefaçon de celui-ci, la cassation opérée ne s'est pas effectuée sur ce point. En effet, la Cour de cassation a inversé le raisonnement adopté par la Cour d'appel en se prononçant en premier lieu et exclusivement sur la responsabilité pénale de la Redoute. La Cour ne s'attache pas au respect par la Cour d'Appel des conditions de protection et de contrefaçon du Modèle compte tenu que cette dernière n'a même pas recherché “par quel organe ou représentant le délit reproché à la personne morale avait été commis pour son compte”. L'appréciation de l'intérêt de cet arrêt ne peut s'effectuer que si l'on s'attarde quelques instants sur la motivation première de la Cour d'appel et les raisons de la cassation afférente. A ce titre, la Cour d'Appel a procédé en deux étapes afin de reconnaitre la responsabilité de la Redoute dans la contrefaçon du Modèle. En effet, elle a tout d'abord déterminé et ce, au regard des articles L 511-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle (CPI) si le Modèle faisait l'objet d'une protection par le droit des dessins et modèles avant de s'attacher à la caractérisation des actes de contrefaçon. Elle a dès lors rappelé qu'un Modèle ne peut être éligible à la protection accordée par le droit des dessins et modèles que s'il satisfait à deux conditions: la nouveauté et le caractère propre. Dans ces conditions, la Redoute invoquait la nullité du Modèle compte tenu de l'absence de nouveauté de celui-ci en se fondant sur des listings de vente produits par la partie civile et qui faisaient état d'une divulgation du Modèle déjà en 1998, soit sept ans avant leur dépôt auprès de l'INPI. La Cour d'appel n'a pas entendu cet argument et a considéré que “le modèle proposé à la vente par la société La Redoute, bien qu'elle s'en défende, n'est qu'une copie servile du modèle protégé”. Dans un deuxième temps, la Cour d'appel a relevé que le Modèle ne présentait pas “sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente”, caractérisant la contrefaçon du Modèle en “tous ses éléments matériel et intentionnel.” La cassation est prononcée au regard de l’absence de détermination par la Cour d’Appel de la personne physique qui au sein de la Redoute avait pu réaliser cette infraction. La cassation de la décision de la Cour d'appel a pour mérite de rappeler fermement les conditions d'engagement de la responsabilité pénale des personnes morales au sens de l'article L 121-2 du code pénal et de mettre un terme, à nouveau, au mouvement initié en 2006 par la chambre criminelle qui reconnaissait la responsabilité des personnes morales sans aucune identification de la personne physique à l'origine de la commission de l'infraction. Revenons brièvement sur cette évolution, source de la censure de la Cour de cassation dans cet arrêt. Il n'est pas inutile de rappeler que la responsabilité des personnes morales n'est qu'une responsabilité par reflet, exigeant la démonstration d'une infraction commise pour le compte de cette dernière (que cela soit dans un intérêt matériel, moral, économique…) par une personne physique, organe ou représentant de la personne morale. Si dans un premier temps, la jurisprudence a refusé de condamner une personne morale en cas d'absence d'identification de la personne physique, cette position a basculé en 2006. En effet, et à plusieurs reprises, la Cour de cassation a reconnu la responsabilité pénale de la personne morale, sans identifier la personne physique, mais seulement au regard de présomption de commission de l'infraction nécessairement par un organe ou un représentant de la société (notamment Cass crim 1er décembre 2009 n° 09-82.140 et Cass crim 16 mars 2010 n° 09-82.041). La présomption de commission de l'infraction par une personne physique était justifiée par la jurisprudence au regard des conditions et circonstances de survenance des infractions. Elle est même allée jusqu'à reconnaitre la responsabilité pénale du Centre Hospitalier Universitaire de Nice (CHU) sans aucune référence à un organe ou un représentant mais au regard “d'une défaillance manifeste du service de l'accueil de l'hôpital” (Cass crim 9 mars 2010 n°09-80543). Ce n'est qu'en 2011 dans un arrêt du 11 octobre 2011 (n° 10-87212) que la chambre criminelle de la Cour de cassation opéra un revirement de jurisprudence en refusant de confirmer la responsabilité pénale de la société EDF pour homicide involontaire au motif que la Cour d'Appel n'a pu s'expliquer sur “le statut et les attributions des agents mis en cause propres à en faire des représentants de la personne morale”. Depuis cet arrêt, la Cour de cassation n'a cessé de mettre l'accent sur le respect du principe de l'interprétation stricte des conditions de la responsabilité des personnes morales et c'est cet arrêt du 1er avril 2014 s'inscrit dans cette lignée. En effet, tel que sus indiqué, la Cour d'appel ne s'était nullement appesantie sur la réalisation de la contrefaçon du Modèle par une personne physique de la Redoute mais avait focalisé son attention sur la caractérisation même de la contrefaçon du Modèle au regard du code de la propriété intellectuelle. Dans ces conditions, la Cour d'appel avait scrupuleusement rappelé les conditions de protection et de contrefaçon d'un dessin ou modèle en énonçant les divers articles et principes applicables pour conclure très brièvement que le “délit est donc constitué en tous ses éléments matériel et intentionnel”. Nul doute que sans la caractérisation du substratum humain, la Redoute ne peut voir sa responsabilité pénale engagée quand bien même son maillot de bain n'était “qu'une copie servile du modèle protégé”. Il en résulte que même si la contrefaçon d'un dessin et modèle peut être passible de poursuites et sanctions pénales, la démonstration de la réalisation de cette infraction au regard des règles du CPI doit nécessairement être faite de concert avec les dispositions pénales. La simple démonstration d'actes de contrefaçon ne peut suffire à justifier la condamnation pénale de la personne morale poursuivie. La poursuite pénale de la contrefaçon de dessins et modèles nécessite d'agir avec circonspection…