Précisions sur l’évaluation du préjudice économique de l’enfant après le décès de l’un de ses parents divorcés

Par un arrêt récent du 19 janvier 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de statuer sur une question inédite.

En effet, à travers cette décision, la haute juridiction est venue apporter des précisions quant à la méthode d’indemnisation du préjudice économique subi par un enfant, en raison du décès de l’un de ses parents divorcés.

En l’espèce, depuis le divorce de ses parents en 2007, une jeune fille vivait chez sa mère, son père versant à cette dernière une pension alimentaire, afin de contribuer à l’entretien et l’éducation de leur fille. La mère est malheureusement décédée en 2015, ayant été victime d’un assassinat et suite à cet évènement tragique, la jeune fille âgée de 22 ans a emménagé chez son père.

La nomenclature Dintilhac, qui s’impose comme référence en matière de réparation des dommages corporels, prévoit la possibilité d’indemniser le préjudice constitué par la perte de revenus des proches – plus communément appelé « préjudice économique » - en cas de décès de la victime directe.

Partant, dans les faits de l’arrêt qui nous intéresse, la jeune fille âgée de 22 ans avait saisi la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI), afin d’obtenir l’indemnisation des préjudices qu’elle subissait en raison du décès de sa mère, et notamment de son préjudice économique.

La CIVI a fait droit à la demande de la jeune fille, lui allouant diverses sommes en réparation de ses préjudices. La CIVI mettait alors cette indemnisation à la charge du Fonds de Garantie des victimes de Terrorisme et autres Infractions (FGTI).

Toutefois, le FGTI a interjeté appel de la décision rendue par la CIVI, contestant le calcul opéré par la commission pour octroyer à la victime indirecte une indemnisation de son préjudice économique.

Par un arrêt du 17 décembre 2020, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a alors infirmé la décision de la CIVI, rejetant l’indemnisation de la jeune fille au titre du préjudice économique.

Pour ce faire, la cour d’appel a considéré que, si le décès de la mère mettait certes un terme à la pension alimentaire versée par le père pour l’entretien de sa fille, l’obligation alimentaire du père survivait tout de même au décès de la mère, jusqu’à la majorité économique de l’enfant.

La cour d’appel en a alors déduit qu’il n’y avait pas lieu d’indemniser le préjudice économique de la jeune fille, dans la mesure où les revenus que continuait à lui verser son père après le décès de sa mère compensaient largement les revenus de sa mère, pension alimentaire comprise, avec lesquels elle vivait avant le décès de celle-ci.

La Cour de cassation, saisie de cette question par la requérante initiale, n’était néanmoins pas du même avis.

Par son arrêt du 19 janvier dernier, la haute juridiction a effectivement censuré l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, fondant sa solution sur le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a ainsi considéré que : « Le préjudice économique d’un enfant résultant du décès de ses parents doit être évalué sans tenir compte ni de la séparation ou du divorce de ces derniers, ces circonstances étant sans incidence sur leur obligation de contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ».

En conséquence, elle en conclut que l’évaluation du préjudice économique suppose nécessairement de prendre en considération : « comme élément de référence, les revenus annuels de ses parents avant le décès, en tenant compte, en premier lieu de la part d’autoconsommation de chacun d’eux et des charges fixes qu’ils supportaient dans leur foyer respectif, et en second lieu, de la part de revenu du parent survivant pouvant être consacrée à l’enfant ».

Or, en l’espèce, la cour d’appel d’Aix-en-Provence s’était cantonnée à comparer la part des revenus de la mère – incluant la pension alimentaire versée par le père – qui pouvait être dédiée à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, avec le montant que son père lui consacrait après le décès de sa mère.

C’est donc à juste titre que la haute juridiction a sanctionné l’erreur méthodologique commise par la cour d’appel.

A travers cette décision inédite qui mérite d’être saluée, la Cour de cassation adopte toutefois une position relativement classique, consistant à veiller au respect du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime et à s’assurer d’une évaluation in concreto du préjudice économique de la victime indirecte.

Cass. Civ. 2ème, 19 janvier 2023, n°21-12.264 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000047023632?init=true&page=1&query=&searchField=ALL&tab_selection=juri

Marianne DENIAU