Responsabilité du fait des produits défectueux en matière de médicaments : rappel de l’exigence d’une notice suffisamment précise

Par un arrêt du 29 mars 2023, la Cour de cassation est venue rappeler les critères d’appréciation de la défectuosité des produits de santé.

En l’espèce, un patient présentant une fibrillation auriculaire avait été traité pendant près de cinq mois par un médicament appelé Amiodarone, dont le principe actif est la Cordarone. A priori, cette prescription était cohérente, puis ce traitement est généralement utilisé dans la prévention et la correction de troubles du rythme cardiaque, ce qui était effectivement le cas du patient en question.

Néanmoins, dans les mois qui ont suivi le début de ce traitement, ce patient a malheureusement présenté une hypoxie sévère et une pneumopathie interstitielle diffuse, et est finalement décédé d’une fibrose pulmonaire.

Les ayants-droit du défunt ont alors sollicité la condamnation solidaire du médecin cardiologue ayant prescrit le traitement, en raison d’une faute dans la prise en charge du patient, et du laboratoire ayant produit l’Amiodarone, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Condamnés en appel, le praticien et le laboratoire ont porté cette affaire devant la Cour de cassation.

Il convient ici de s’intéresser tout particulièrement au moyen invoqué par le laboratoire, qui faisait grief aux juges du fond d’avoir retenu sa responsabilité sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Le laboratoire soutenait en effet que le producteur d’un médicament n’aurait pas l’obligation de reproduire à l’identique, dans la notice du médicament destinée aux patients, le contenu du résumé des caractéristiques du produit (RCP), qui est quant à lui destiné aux seuls prescripteurs.

Le laboratoire faisait ainsi valoir que la notice rédigée remplissait son objet, en ce qu’elle laissait apparaître « des informations suffisamment précises en ce qui concerne tant les manifestations dont il convient de surveiller l’apparition que la marche à suivre en cas de survenue de ces symptômes […] peu important que les termes médicaux permettant de qualifier les symptômes en cause n’ait pas été utilisés ».

Toutefois, en l’espèce, le résumé des caractéristiques du produit destiné aux prescripteurs mentionnait, au titre des effets indésirables des « cas de pneumopathie inertielles et alvéolaires diffuses et de bronchite oblitérante organisée pouvant évoluer en fibrose pulmonaire », là où la notice rédigée par le laboratoire se contentait de mentionner des « problèmes respiratoires (essoufflement, fièvre, toux) ».

Se posait alors la question de savoir si l’inadéquation de la notice destinée aux patients, avec le résumé des caractéristiques du produit destiné aux professionnels de santé, était de nature à caractériser la défectuosité du médicament.

La haute juridiction, saisie de cette question, a répondu par l’affirmative, retenant ainsi la défectuosité de l’Amiodarone, en raison de l’insuffisante précision de sa notice.

Pour rappel, les alinéas 1 et 2 de l’article 1245-3 du Code civil disposent que :

« Un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ».

Or, s’agissant des médicaments et autres produits de santé, le manque d’informations dans les notices destinées aux prescripteurs ou aux destinataires de ces produits concernant leurs effets indésirables, les prive de la sécurité qu’ils sont censés offrir.

Partant, la Cour de cassation a considéré que la simple mention d’un risque de survenance de problèmes respiratoires relativement mineurs, à savoir « essoufflement, fièvre, toux » sur la notice de l’Amiodarone, constituait une information insuffisamment précise, ne garantissant pas à ce médicament la sécurité qu’on pouvait en attendre.

A travers cette décision récente, la Cour de cassation rappelle qu’en matière de défectuosité des produits de santé, peu importe que le prescripteur ait ou non correctement informé son patient des risques attachés au médicament, ou que la notice ait été modifiée ultérieurement, il incombe dans tous les cas au fabricant de faire état de ces risques aux utilisateurs, dès la mise sur le marché du médicament, à travers sa notice.

Il s’agit là d’une solution déjà connue puisqu’il y a plusieurs années, la haute juridiction s’était déjà prononcée en ce sens s’agissant de la responsabilité du fabricant d’un vaccin susceptible de faire naître la sclérose en plaques (Cass. 1re civ., 22 nov. 2007, n°06-14.174). De la même façon, dans cette affaire, le risque d’effets indésirables mentionné dans la notice à destination des médecins n’avait pas été repris dans la plaquette d’information destinée aux patients. Pour cette raison, la Cour de cassation avait alors conclu à la défectuosité du produit de santé, qui ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait raisonnablement s’attendre.

Une telle position est d’ailleurs régulièrement adoptée par la Cour de cassation. On se souvient notamment de l’affaire du Levothyrox, dans laquelle la Cour de cassation avait retenu la responsabilité des sociétés Merck, en raison d’un manque de précision dans la rédaction de la notice. En l’espèce, la notice de la nouvelle version du Levothyrox mentionnait la présence de « mannitol et d'acide citrique, dans un texte dense et imprimé en petits caractères ». La Haute juridiction avait retenu que cette mention était insuffisante, alors que : « ce changement aurait pu être présenté de manière positive au regard de sa finalité de stabilisation du principe actif et signalé efficacement sur les boîtes et par des mentions apparentes dans la notice ou un document supplémentaire joint à celle-ci » (Cass. 16 mars 2022, n° 20-19.786).

Cass. 1re civ., 29 mars 2023, n°22-11.039, D

Marianne DENIAU