La mutation des usages commerciaux vaudra t’elle modification des facteurs locaux de commercialité ?

Certes si Lyon est la capitale de la gastronomie, cette semaine, nous partons sur Paris à la suite d’une décision rendue par sa Cour d’Appel portant sur l’activité de restauration.

Ainsi, par un arrêt du 17 février 2021, la Cour d’Appel de Paris s’est prononcée sur un litige portant sur les motifs de déplafonnement des loyers commerciaux au regard d’une activité de restauration à emporter et vente par internet avec livraison gratuite.

La crise sanitaire inédite de la Covid 19 a mis en évidence l’impérieuse nécessité pour les entreprises de se transformer en profondeur, de manière agile et réactive, pour s’adapter aux nouvelles contraintes. De très nombreux articles ont traité de la question.

Mais avons-nous anticipé toutes les conséquences sur ces mutations des usages commerciaux ?

L’affaire portée devant la Cour d’Appel de Paris a bien sur pris racine avant la survenue de la pandémie. C’est en effet une décision rendue le 6 octobre 2017 par le Juge des loyers commerciaux qui a été soumise à l’analyse de la Cour.

Mais l’arrêt rendu au mois de février dernier doit être appréhendé à l’aune de la situation actuelle. Le cadre juridique est régi par les articles L 145-1 et suivants du code de commerce. Plus particulièrement, les enjeux portaient sur les questions liées à la déspécialisation décrites à l’article L 145-47 qui prévoit que le locataire commercial peut adjoindre à l'activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires et ce notamment sous conditions d’information préalable du bailleur.

Les conséquences de la déspécialisation sont fondamentales car lors de la première révision triennale du loyer suivant l’information du bailleur, il peut être tenu compte, pour la fixation du loyer, des activités commerciales adjointes, si celles-ci ont entraîné par elles-mêmes une modification de la valeur locative des lieux loués. C’est dire l’importance de l’enjeu.

Au cas d’espèce, le bailleur reprochait au locataire commercial, qui exerçait une activité de restauration et d’alimentation générale selon les termes du bail, d’avoir sans autorisation, adjoint à cette activité, une activité de restauration à emporter et vente par internet avec livraison gratuite.

Une très abondante jurisprudence a permis de classer les ajouts d’activité selon qu’ils relèvent d’une véritable déspécialisation qui nécessite l’information du bailleur ou bien d’une activité naturellement incluse à l’activité prévue au bail, notamment en raison d’une évolution normale technique ou commerciale.

Le locataire commercial invoquait logiquement quant à lui, que l’évolution des usages commerciaux a fait que l’activité de vente à emporter et la livraison à domicile est devenue une activité incluse à celle de restauration. Là encore, la jurisprudence est intervenue à maintes reprises pour affiner la réflexion sur l(activité de vente à emporter.

Mais la crise sanitaire y apporte un éclairage nouveau, conforté par les diverses mesures gouvernementales qui ont permis de soutenir les mutations des usages commerciaux pendant la période. Comme par exemple l’autorisation donnée, pour la période de crise sanitaire, par décret du 23 mars 2020, aux restaurants d’ouvrir exclusivement pour des activités de vente à emporter et de livraison. Il est permis de penser que la pandémie va profondément bouleverser certains usages commerciaux. Les entreprises, de tous types, qui auparavant opéraient en flux tendus, se sont mises à la planification pour mieux anticiper les conséquences des confinements successifs, passés, en cours, et espérons-le par pour le futur. La digitalisation des entreprises et les services logistiques, sont venus au soutien des activités dites traditionnelles. Qu’elle plus belle illustration dans notre capitale de la gastronomie, que l’initiative prise par le restaurant Paul Bocuse qui a transformé son parking en drive pour permettre à ses clients de récupérer leur diner de la Saint valentin !

Cette mutation des usages commerciaux aura un impact sur les facteurs locaux de commercialité. Rappelons que l’article R 145-6 du code de commerce les définit ainsi :

« Les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire. »

La vente à emporter et la livraison ont une incidence directe sur les facteurs de commercialité car elles peuvent modifier la zone de chalandise et entraîner des aménagements à proximité des locaux commerciaux. Mais elles apparaissent, dans le contexte inédit que nous connaissons, comme le prolongement naturel d’activités ayant muté pour répondre aux besoins de la clientèle.

Cela ne sera pas sans poser de questions dans l’avenir car les bailleurs pourraient avoir le sentiment qu’on leur impose sous couvert d’activité incluse, une véritable déspécialisation qui n’ose porter son nom, sans pour autant que cela impacte le prix des loyers.

Rendons une nouvelle fois hommage à Monsieur Paul ! Paul Bocuse disait toujours qu’un local commercial devait respecter la règle des E, Emplacement, Emplacement, Emplacement.

Et s’il fallait désormais parler de l’EDDIL : Emplacement, Drive, Digital, Internet et Livraison !

Olivier COSTA