Droit comparé sur la définition donnée au licenciement économique en France et au Royaume-Uni

Au XIXème siècle, Anselem Feuerbach, peintre et intellectuel souhaitant bâtir une nouvelle science du droit comparé disait :

« Pourquoi l’anatomiste à t-il son anatomie comparée, alors que le juriste n’a pas encore sa jurisprudence comparée ? Les sources les plus riches de découvertes dans les sciences empiriques sont la comparaison et la combinaison. Seulement grâce à plusieurs contrastes peut-on comprendre pleinement ce qui est contrasté ; seulement par la considération des similarités et des différences et de leurs raisons peut-on rendre manifestes les particularités et l’essence intime de chaque objet. Comme la philosophie de la langue est basée sur la comparaison des langues, ainsi la substance de la jurisprudence universelle, de la science de la législation, doit être tirée de la comparaison des lois et coutumes des nations, les plus proches et les plus éloignées, de tout temps et de tous lieux ».

En effet, c’est depuis la génèse du « comparatisme » telle que vue comme une attitude de l’environnement intellectuel moderne européen du XIIème siècle, que le droit comparé a pu affirmer son identité comparative.

Les débats sur la méthodologie du droit comparé ont été ravivés non seulement par l’étatisation du droit et sa cristallisation dans des ordres juridiques séparés et autonomes, mais également, par l’attitude se voulant « scientiste » des théoriciens du droit.

Il incombait aux juristes de pousser les frontières territoriales afin d’analyser les différentes familles juridiques pour mieux comprendre leur dynamiques de développement, trouver des similitudes et les confronter aux forces et faiblesses de son droit national.

Cette rationalisation des différents droit a contribué à l’harmonisation et à la coordination de certaines règles applicables entre les différents pays. Les traités internationaux de même que la construction européenne sont en quelque sorte des résultats de cette comparaison.

Aussi, une analogie entre le droit anglais et le droit français est davantage intéressante depuis que le Royaume-Uni, pays du Common Law, a définitivement quitté l’Union européenne le 31 décembre 2020, cette rupture marquant un refus manifeste d’extratéritorialité du droit européen et une volonté de retrouver une souveraineté totale.

C’est ainsi que les divergences entre le droit anglais et le droit français sur la définition donnée au licenciement économique seront analysées, la France s’alignant sur la définition donnée au licenciement économique par l’Union européenne.

Ainsi, le 30 septembre 2021 marquait la fin du chômage partiel en Angleterre, instrument de soutien aux employeurs instauré durant cette période sanitaire et induisant consécutivement une crainte de voir multiplier des licenciements pour motifs économiques.

Eu égard au fait que le rôle du législateur tend à se développer davantage au Royaume-Uni par l’instauration de règles écrites, le droit de ce pays de Common Law reste toutefois dominé et alimenté par les règles jurisprudentielles, lesquelles sont façonnées par les juges à travers leurs nombreuses décisions.

A contrario, la France dispose de règles écrites et codifiées dans la loi. Les juges sont liés par la loi et ne peuvent la créer dès lors que ce pouvoir est attribué aux législateurs.

Partant, en droit français, l’article L.1233-3 du Code du travail vient définir le licenciement pour motif économique comme suit :

« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : 1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés. (…) ».

Il ressort dudit article trois conditions à remplir afin que le licenciement économique soit qualifié comme tel et qu’il revêt une cause réelle et sérieuse.

Parmi ces conditions :

Une cause qualificative : les motifs du licenciement ne doivent pas être inhérents au salarié ;

Une cause justificative : la cause réelle et sérieuse doit être justifiée par un élément matériel à l’instar d’une suppression de poste, d’une transformation d’emploi, d’une réorganisation de l’entreprise, d’une cessation d’activité, de difficultés économiques etc.

Un élément causal : Pour être valable, le licenciement économique doit justifier l’existence d’un lien de modification de poste ou du contrat à titre d’exemple).

A cet effet, la loi n°2016-1088 du 1er décembre 2016 relative au travail est venue préciser les conditions dans lesquelles une entreprise pouvait recourir à ce type de licenciement en donnant un certain nombre d’indicateurs économiques :

• Baisse des commandes ou du chiffre d’affaires significative (caractère significatif essentiel à démontrer) ; • Perte d’exploitation ; • Dégradation de trésorerie ; • Dégradation de l’excédent brut d’exploitation ; • Tous autres éléments de nature à justifier des difficultés économiques dont l’évolution est aussi significative.

A ces deux éléments, la loi travail, est également venue ajouter deux autres éléments déjà posés par la jurisprudence antérieure : • La réorganisation de l’entreprise nécessaire à sa compétitivité ; • La cessation d’activité de l’entreprise.

En droit anglais, le licenciement pour motif économique autrement dit « Redundancy » est prévu par la loi « Employment Rights Act » de 1996. Cette dernière vient lister les différentes situations venant caractériser ce type de licenciement.

A cet effet, un tel licenciement est caractérisé pour un salarié dès lors que : • L’employeur à cesser ou à l’intention de cesser l’activité pour laquelle le salarié avait été embauché, ou d’exploiter cette activité sur le lieu où le salarié travaillait ; • L’entreprise n’a plus ou à moins besoin des fonctions particulières exercées par le salarié pour l’activité, ou de ses fonctions à l’endroit où le salarié travaillait.

Par ailleurs, ce licenciement est défini dans la loi « Trade Union and Labour Relation Act » de 1992 comme étant « non inhérent à la personne du salarié », tel que posé dans le droit français.

Force est de constater qu’à l’inverse du droit français, la loi anglaise ne précise aucunement le contexte économique pouvant justifier dudit licenciement. Le juge anglais ne se fonde ainsi que sur la surface des motifs invoqués et de leur existence, à l’instar de la cessation d’activité, de la délocalisation, mais pas des circonstances ayant conduit à ce contexte économique.

En effet, suivant la loi anglaise, l’employeur n’a pas à transmettre des informations détaillées sur la situation financière de son entreprise alors que les juges français vont se montrer pointilleux sur l’existence d’une cause économique réelle et sérieuse.

Ainsi, il appert que le législateur n’accorde que peu d’importance aux causes économiques du licenciement en droit anglais.

En outre, la loi anglaise semble intégrer le licenciement en cas de cessation d’activité dès lors qu’elle a un caractère temporaire, alors même que la haute juridiction française écarte le licenciement pour motif économique en cas de cessation d’activité lorsqu’elle n’est pas définitive. (Gemmell v Darngavil Brickworks Ltd 1967).

En revanche, la Cour de Cassation a pu estimer que la fermeture d’un établissement hôtelier à raison de travaux pour une durée de 6 mois ne constituait pas une cessation d’activité de l’entreprise. Tout licenciement pour motif économique serait alors démuni de cause réelle et sérieuse. (Cass.soc, 15 octobre 2002, n°01-46.240).

Enfin, il apparaît que le droit anglais intègre la délocalisation comme motif justifiant d’un tel licenciement et ce, quand bien même le contrat du salarié prévoit la possibilité de travailler dans divers endroits appartenant à l’entreprise. (Hollister v National Farmers Union 1979).

En droit français, la délocalisation ne justifie pas un licenciement économique, sauf à ce qu’une telle délocalisation soit justifiée par une cause économique avérée (difficultés économiques, sauvegarde de la compétitivité).

Ainsi, une légère baisse de l’activité ou le fait que l’entreprise n’ait plus ou à moins besoin des fonctions particulières exercées par le salarié pour l’activité, ne permettent pas de rompre aussi aisément un contrat de travail.

Et pour cause, le droit français en son article L2233-4 du Code du travail prévoit deux obligations pour l’employeur :

• En premier lieu, l’obligation d’adaptation, laquelle doit permettre au salarié de se voir proposer des formations complémentaires afin de pouvoir évoluer vers un autre poste ;

• En second lieu, l’obligation de reclassement afin pouvoir assurer le maintien contractuel du salarié en lui proposant un autre emploi ou d’autres fonctions en lieu et place du licenciement. L’emploi proposé doit toutefois être équivalent à celui occupé précédemment et relever de la même catégorie.

A cet effet, la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement a également posé le principe selon lequel la rémunération du poste proposé devait être équivalente à l’ancien poste occupé.

L’employeur doit d’ailleurs tenir compte de la volonté du salarié sur son reclassement, en particulier au niveau de la zone géographique (Cass.soc. 11 mai 2017 n°15-23.339). Si ce dernier ne recherche pas à reclasser le salarié, il se verra ainsi opposer un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Partant, le droit français, lequel s’inscrit dans la continuité du droit européen, se montre peut-être-t-il plus soucieux du sort des salariés, dès lors que ce type de licenciement ne doit se présenter qu’en dernier recourt et comme mesure inévitable, à l’inverse d’un droit anglais qui se veut plus flexible et qui tend davantage à mettre en avant a liberté de l’employeur dans sa manière de gérer l’entreprise.

Cette analogie montre ainsi que le droit anglais à une vision différente du droit français et par extension du droit européen sur la situation du salarié, ce qui, peut expliquer en partie cette fissure avec l’Europe.

Bien que cette vision divergente du licenciement pour motif économique ne constitue qu’un qu’exemple parmi tant d’autres, force est de constater que l’ harmonisation des règles juridiques anglaises avec ses anciens partenaires européens n’a été que temporaire. Cette rupture doit ainsi faire l’objet de nouvelles comparaisons afin de mieux en comprendre la cause, voir, d’anticiper les prochaines…

Alicia COLLOT