LES ASPECTS JURIDIQUES POSES PAR LE DEMANTELEMENT DE LA JUNGLE DE CALAIS (LE CAMP DE LA LANDE)

La situation actuelle posée par les migrants réfugiés clandestinement ou dans l’attente d’un aval de leur demande d’asile, et – pour une part – expulsés ou – pour les autres – conduits dans les Centre d’Accueil et d’Orientation (CAO) n’est in fine, dans une acception européenne, que l’implacable résultante de conventions bilatérales franco-britanniques dont la conformité au droit dérivé de l’UE est discutable, et de la non-adhésion du Royaume-Uni aux accords de Schengen.

PRESENTATION DU CADRE NORMATIF AYANT PERMIS LA CREATION DU CAMP DE LA LANDE

Conventions bilatérales franco-britanniques

Dans l’optique de conserver un contrôle de ses frontières en dépit de la perte de sa qualité insulaire - du fait de la construction du tunnel sous la Manche -, le Royaume-Uni a signé avec la France le protocole de Sangatte le 25 juillet 1991, soit près de trois ans avant l’ouverture du tunnel. Portant l’exercice des pouvoirs régaliens des deux pays dans le cadre de l’exploitation du Shuttle, cet accord permet l’installation de contrôles frontaliers des côtés britanniques et français et l’aménagement de la répartition des réfugiés entre les deux pays en vertu du droit d’asile. Le protocole additionnel au protocole de Sangatte signé le 29 mai 2000 permet quant à lui la mise en place de bureaux de contrôle de police aux points d'entrée et de sortie. Le droit de l'État de départ s'applique dans celui d'arrivée dans le traitement des demandes d'asile. L'expulsion sans délai des personnes depuis l'État d'arrivée vers l'État de départ est rendu possible. Modifié le 18 juin 2007, des zones de contrôle des personnes sont défini (en gare d’Ebbsfleet) ou redéfinis (en Gare de St Pancras et Paris gare du Nord). Enfin, le traité du Touquet vient parachever cette liste de conventions. Signé le 4 février 2003 et entré en vigueur le 1er février 2004 cet accord permet le port d’arme de service aux agents des douanes, polices de l’air et des frontières français en territoire britannique ainsi que dans les trains. Si, dès 1997 le Conseil de l’Union européenne avait relevé la contrariété de ces accords avec le droit dérivé de l’UE , c’est davantage a posteriori que ces traités vont véritablement entrer en contradiction avec l’uniformisation européenne de la question du droit d’asile.

Le règlement du Parlement européen et du Conseil européen n°604-2013 Dublin III

En effet, le Règlement Dublin III du 26 juin 2013 établit les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride. Plus simplement, ce texte normatif traite du règlement juridique du droit d’asile en vertu de la Convention de Genève - du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés – dans l’Union européenne pour des tiers formant une demande d’asile dans un pays et étant interpellés dans un autre Etat membre. Le principe étant que le pays dans lequel la demande d’asile a été formulée est celui chargé de son instruction et de la décision finale.

Concrètement, un citoyen syrien quitte son pays pour se rendre au Royaume-Uni. Il est intercepté en Allemagne et y demande asile. Il est alors relâché et informé que sa demande sera traitée rapidement. Il continue alors son trajet, ayant toujours pour but de gagner le Royaume-Uni, mais est, une nouvelle fois, intercepté en France. Il présente alors ses documents administratifs et notamment la demande d'asile. En vertu du règlement Dublin III, les forces de l'ordre françaises contactent les autorités allemandes pour envisager le retour en Allemagne, dans la mesure où c'est dans ce pays qu'a été enregistrée la demande initiale d'asile. Le Syrien est alors assigné à résidence le temps de l'instruction de la procédure. Dès que l'Allemagne a accepté de récupérer le Syrien (« procédure de réadmission »), celui-ci est expulsé du territoire français au profit du pays de la demande d’asile. C’est donc dans ce contexte juridique que l’ampleur prise par l’implantation de la jungle de Calais a été possible.

L’EVOLUTION DE LA SITUATION DANS LE CAMP DE LA LANDE

Devant l’afflux continu de migrants dans les années 90 fuyant leur pays pour gagner la Grande-Bretagne et transitant par la France, s’est rapidement posée la question de l’hébergement de ces personnes, et des conditions sanitaires et sécuritaire de cette organisation. La Croix-Rouge entreprend alors de gérer le centre d’accueil de Sangatte ouvert en 1999 qui, arrivant rapidement à saturation, ferme ses portes en 2002. L’offre entraînant la demande, il résulte du démantèlement du centre une baisse du nombre de migrants, de 1.800 en 2002 à 400 recensés fin 2005. Entre 2005 et 2009 des campements sauvages sont évacués et leur habitants placés en rétention administrative.

A partir du printemps 2014, une vague de migrants méditerranéens arrive du fait des conflits et de la situation dramatique au Moyen-Orient, s’ajoutant aux précédents, pour la plupart afghans, soudanais, érythréens. En réaction, Bernard Cazeneuve fait ouvrir le 2 septembre 2014 le centre d’accueil Jules Ferry. Le nombre de migrants ne cesse alors d’augmenter jusqu’à atteindre son paroxysme en août 2016. Les associations sur place recensent alors 9106 personnes, dont 865 mineurs, 676 non-accompagnés.

Dénonciation par les associations des conventions franco-britanniques

Au-delà des questions sanitaires induites par l’entassement de tant de personnes dans des conditions plus que précaires (épidémie de gale en 2014, pas d’accès à l’eau potable, pas d’espace sanitaire hygiénique), s’ajoutent des problèmes liés à la violence : viols, rixes entre migrants et/ou non-migrants, attaques contre les pompiers, les policiers.

En décembre 2014 Médecins du Monde, le Secours catholique et Emmaüs appellent à la renégociation des traités franco-britannique pour aboutir à une clarification de la situation des demandeurs d’asile présents à Calais et souhaitant gagner le Royaume-Uni. C’est dans cette lignée que la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) a fermement dénoncé les traités et accords du Touquet et de Sangatte.

« […] Certaines stipulations contenues dans ces accords bilatéraux sont relatives à la détermination de l’État responsable du traitement de la demande d'asile. C'est le cas de l'article 4 du protocole additionnel de Sangatte et de l'article 9 du Traité du Touquet . Pour la CNCDH l'application de ces stipulations aboutit en pratique et en droit à écarter les dispositions du règlement Dublin III […], alors pourtant que la France et le Royaume-Uni sont tenus par le droit dérivé de l'UE et que le service juridique du Conseil de l'UE avait, dès 1997, souligné la contrariété de ces deux articles à l'ancienne Convention de Dublin. Enfin et surtout, du fait de l'externalisation des contrôles frontaliers britanniques sur le sol français, le Royaume-Uni ne sera quasiment jamais compétent pour traiter des demandes d'asile, les conditions fixées par les stipulations précitées ne pouvant en pratique que très difficilement être réunies. Par voie de conséquence, les accords et arrangements administratifs bilatéraux empêchent le dépôt des demandes d'asile dans ce pays. La CNCDH y voit une atteinte à la substance même du droit d'asile. Elle s'étonne que la France n'ait pas supprimé les stipulations des arrangements administratifs incompatibles avec les dispositions du règlement Dublin III et que la Commission européenne n'ait pas relevé ces incompatibilités conformément à l'article 36 de ce règlement. […] »

Pour autant, les parties aux traités et accords ne prévoient pas de revenir sur ces textes. Cependant, réunis le 3 mars 2016 pour une rencontre franco-britannique relative à cette crise migratoire à Amiens, le Royaume-Uni s’est engagé à débloquer 22.000.000€ destinés à des infrastructures prioritaires de sécurité à Calais pour soutenir le travail des forces de l’ordre françaises, à la gestion de centres d’hébergement et à l’éloignement des migrants économiques qui ne sont pas en besoin de protection , ou encore à la lutte contre les réseaux de passeurs.

Enfin, il est à remarquer qu’au vu du nombre d’enfants non-accompagnés présents dans le camp de la Lande, surgissait l’inéluctable contravention à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), traité international adopté par l’Assemblée générale de l’ONU le 20 décembre 1989, notamment à ses articles 20 et 22. L’article 20 dispose en substance qu’un enfant coupé temporairement ou définitivement de son milieu familial a droit à une protection et aide spéciales de l’Etat (placement en famille d’accueil, dans un établissement ad hoc, adoption). L’article 22 envisage le cas où l’enfant cherche à obtenir le statut de réfugié ou devrait être considéré comme tel, prévoyant de la protection et assistance humanitaire appropriées. Que, s’il n’est possible de retrouver ses pères et mère ou tout membre de sa famille, alors l’enfant jouira des droits susmentionnés à l’article 20.

Démantèlement du camp

La solution finalement retenue pour endiguer la surpopulation du camp, les problèmes sanitaires et sécuritaire consiste en un démantèlement complet de la jungle de Calais et de la répartition des migrants dans des centres d’accueil et d’orientation répartis en France, de la rétention administrative et expulsion des migrants non-éligibles au droit d’asile (1789 depuis le début de l’année) , à l’accueil des mineurs dans des centres adaptés.

Aussi, faisant suite à l’annonce du ministère de l’Intérieur, la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio prit, le vendredi 21 octobre, un arrêté d’expulsion de tous les occupants du camp de la Lande, donnant 72 heures aux occupants sans droit ni titre de quitter les lieux.

Au soir du 24 octobre, Bernard Cazeneuve a déclaré, à la fin de la première journée de démantèlement que 2318 migrants ont été mis à l’abri. 1918 majeurs ont quitté Calais à bord de 45 bus pour rejoindre 80 centres d’accueil et d’orientation situés dans 11 régions de France (450 sont ouverts en tout), et 400 mineurs ont été orientés et eux aussi mis à l’abri au centre d’accueil provisoire dans l’attente de l’instruction de leur dossier, rejoignant les 200 qui s’y trouvaient déjà. 600 mineurs isolés sont désormais en sécurité au sein du CAP (Centre d’Accueil Prioritaire). Une première étape est donc franchie aujourd’hui, elle s’est passée dans le calme et la maîtrise, et nous devons bien entendu continuer.

Construction d’un mur en France financé par l’Angleterre

Le 20 septembre 2016 débute la construction d'un mur anti-intrusion le long de la rocade portuaire de Calais. La construction de ce mur est financée par le Royaume-Uni et celui-ci devrait mesurer 4 mètres de hauteur et un kilomètre de long. Il vise à empêcher les migrants de gagner la Grande-Bretagne en s'introduisant dans les camions qui passent par l'autoroute qui est de l'autre côté du mur.

Conclusion

In fine, outre l’aspect humanitaire découlant de la situation dramatique de la jungle de Calais, se posent en filigrane des questions pratiques qui témoignent de la difficulté d’un sujet aussi sensible.

1. Convention de Dublin du 15 juin 1990

2. Avis sur la situation des migrants à Calais et dans le Calaisis », Journal officiel de la République française, no 0157,‎ 9 juillet 2015

3. […] lorsqu’une personne présente une demande tendant à bénéficier de la qualité de réfugié ou de toute autre protection prévue par le droit international ou par le droit interne de l’Etat de départ, lors du contrôle effectué dans la gare de l’Etat de départ par les agents de l’Etat d’arrivée, cette demande est examinée par les autorité de l’Etat de départ conformément à ses règles et procédures de droit interne. Les mêmes dispositions sont applicables lorsque la demande est présentée après que la personne a franchi ce contrôle et avant la fermeture des portes du dernier arrêt prévu dans une gare située sur le territoire de départ. Dans le cas où une telle demande est effectuée postérieurement à la fermeture des portes, elle est traitée par l’Etat d’arrivée selon ses procédures et règles de droit interne.

4. Lorsqu'une personne émet une demande d'asile ou sollicite toute autre forme de protection prévue par le droit international ou le droit national de l'Etat de départ au cours d'un contrôle effectué dans l'Etat de départ par les agents en poste de l'Etat d'arrivée, la demande est examinée par les autorités de l'Etat de départ conformément à la procédure nationale de cet Etat. Les mêmes dispositions sont applicables lorsque la demande est faite après l'accomplissement des formalités d'un tel contrôle et avant le départ du navire. Lorsque la demande est faite après le départ du navire, celle-ci est examinée par l'Etat d'arrivée conformément à son droit national.

5. Déclaration de M. Bernard CAZENEUVE, Ministre de l’Intérieur – Hôtel de Beauvau, le 24 octobre 2016.

6. Déclaration de M. Bernard CAZENEUVE, Ministre de l’Intérieur – Hôtel de Beauvau, le 24 octobre 2016.