DU BON USAGE DE LA COUR EUROPENNE DES DROITS DE L’HOMME

Par ces temps de crises judicaires, on a pu constater une effervescence du recours devant la CEDH devenue la gardienne des libertés fondamentales.

Les pénalistes ne me contrediront pas, eux qui tous les jours s’appuient sur les arrêts Salduz et Dayanan contre la Turquie chaque fois qu’ils vont en garde à vue, et ne sont que trop ravis depuis la sortie de l’arrêt Brusco c. France , encore qu’il y ait beaucoup à dire sur la réforme de la procédure telle qu’elle a été votée par les parlementaires.

On le voit bien les requérants n’hésitent plus à saisir la Cour, chaque fois qu’ils estiment qu’il a été porté atteinte à leurs droits et libertés fondamentales.

Encore faut-il que cette saisine soit efficace, si on veut qu’elle puisse aboutir !

A cet égard, je voudrais attirer l’attention des futurs requérants sur deux points :

- la question de la recevabilité de la requête - la confidentialité de la phase de négociation

I LA RECEVABILITE DE LA REQUETE : La Cour, submergée par le nombre de requête, vient de lancer un clip vidéo (consultable sur you tube : http://www.youtube.com/watch?v=FxfCnu2m6nw) pour rappeler les conditions dans lesquelles ladite requête doit être introduite.

A cette occasion, la Cour rappelle que 800 000 000 de personnes dépendent de sa juridiction et que chaque année elle reçoit 50.000 requêtes dont 90% sont déclarées irrecevables.

Il convient de souligner que si le ministère d’avocat n’est pas obligatoire pour introduire une requête devant la Cour, s’adjoindre les conseils d’un professionnel peut toutefois se révéler bénéfique.

En effet, pour que sa requête soit recevable, le requérant devra :

- diriger sa requête contre un état membre du conseil de l’Europe, - invoquer une violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, - avoir épuisé toutes les voies de recours en droit interne, - avoir déposé sa requête dans un délai de 6 mois à compter du prononcé de la décision définitive, - justifier d’un préjudice suffisamment important.

Il est nécessaire d’avoir à l’esprit tous ces critères, si l’on veut que sa requête passe le premier barrage de la recevabilité et soit transmise au Gouvernement concerné.

A cet égard, il apparait important de clarifier le point particulier de l’épuisement des voies de recours.

Qui dit voie de recours ne signifie pas seulement avoir saisi l’ensemble des instances judicaires !

Il convient également de se demander si des instances administratives n’auraient pas pu être saisies (ex : dans le cadre du contentieux de la détention, les condamnés qui se plaignent de leurs conditions doivent saisir le juge administratif d’un référé liberté).

En outre, il faut également se demander si épuisement des voies de recours ne signifie pas que dans certains cas il ne faudra pas penser à introduire une question prioritaire de constitutionnalité, car après tout le Conseil Constitutionnel est également un gardien des libertés fondamentales inscrites dans le bloc de constitutionnalité.

Seule, la requête remplissant l’ensemble ces conditions pourra espérer être examinées par la Cour.

Le requérant devra toutefois faire preuve de patience, le délai d’examen variant entre 6 mois et deux ans en fonction du degré de priorité que la Cour accorde à la requête.

II L’EXAMEN DE LA REQUETE : Quand la Cour accepte d’examiner une requête au fond, elle la transmet au gouvernement de l’Etat mis en cause, en vertu des principes fondamentaux du droit de la défense et du débat contradictoire.

En effet, l’Etat a le droit de se défendre et comme tout justiciable dans le cadre d’une procédure, l’Etat peut proposer au requérant de transiger.

Cette phase de négociation doit, comme pour toute transaction, rester secrète et le requérant n’est pas autorisé à en faire état publiquement, encore moins par voie de presse.

Récemment des requérant français, faucheurs d’OGM, en ont fait la douloureuse expérience puisqu’ayant fait état à la presse des propositions de transactions faites par le Gouvernement français, ils ont vu purement et simplement leurs requêtes déclarées irrecevables (Décisions d’irrecevabilité Mandil c. France, Barreau et autres c. France et Deceuninck c. France du 20 janvier 2012.).

Cette situation est d’autant plus dommageable que la question qu’ils posaient à la Cour méritait d’être examinée et pose un vrai problème au regard de l’article 8 de la convention relatif au respect de la vie privée et familiale.

En l’espèce, les requérants avaient refusé de se soumettre au prélèvement ADN obligatoire après leur interpellation et ont été condamné à des peines de prison et d’amende.

Rappelons que l’on peut toujours refuser de faire le prélèvement ADN mais que ce refus est constitutif d’un délit.

Ils ont donc introduit des requêtes devant la Cour européenne des droits de l’homme soutenant que l’inscription au FNAEG (fichier national automatisé des empreintes génétiques) constitue une atteinte au respect de la vie privée.

Le gouvernement français a fait des propositions au titre du règlement amiable. Cette phase de la procédure est soumise aux règles de stricte confidentialité des négociations.

Or faisant fi de cette obligation, les requérants et leurs avocats ont délibérément divulgué à la presse les détails de cette négociation.

La sanction n’a pas manqué de tomber : les requêtes ont été déclarées irrecevables sur le fondement des articles 39§2 de la Convention et 62§2 du Règlement de la Cour.

La Cour a, notamment insisté dans sa décision sur le fait que : « La règle de confidentialité des négociations du règlement amiable revêt une importance particulière dans la mesure où elle vise à préserver les parties et la Cour elle-même de toute tentative de pression politique ou de quelque ordre que ce soit. La violation de cette règle s’analyse en un abus de procédure ».

Bien que cette décision soit excessivement regrettable, la question de l’inscription au FNAEG méritant d’être posée à la Cour, elle n’en reste pas moins juste car la Cour est la gardienne des libertés et se doit d’être impartiale dans ses décisions hors de toutes considérations politiques, et n’a rien à gagner à s’intéresser aux vulgaires règlements de comptes politiques entre les requérants et les autorités.

Mesdames et Messieurs les requérants ayez, donc, les plus grands égards pour cette institutions supranationale qui reste à l’heure actuelle la plus sure gardienne de nos libertés fondamentales.