Statuts des Fédérations sportives délégataires : quelle compétence juridictionnelle ?

Dans une décision, en date du 15 mars 2023, le Conseil d’Etat se reconnaît compétent pour connaître des contestations relatives aux dispositions statutaires d’une fédération sportives délégataires qui porteraient sur l’organisation et le fonctionnement interne de cette dernière, à condition qu’elles « manifestent l’usage de prérogatives de puissance publique dans l’exercice de sa mission de service publique ».

En l’espèce, la Fédération Française de Billard avait approuvé, via son assemblée générale du 12 juin 2022, la modification de certaines dispositions de ses statuts. Plusieurs Ligues Régionales (Ligue de billard d'Ile-de France, la Ligue de billard du Centre-Val de Loire et la Ligue de billard Grand Est) avaient alors demandé l’annulation de cette modification.

Se posait ainsi la question de savoir si les dispositions statutaires de la Fédération Française de Billard contestées, relevaient de la compétence du juge administratif ou du juge judiciaire.

Pour rappel, en vertu des articles L. 131-1 et L. 131-2 du Code du sport, les fédérations sportives ont pour objet l’organisation de la pratique d’une discipline et sont constituées sous la forme d’une association.

Pour ce faire, le Ministre chargé des sports, peut délivrer aux fédérations un agrément en vue de participer à l’exécution d’une mission de service public (C. Sport, art. L. 131-8).

Afin d’exécuter cette mission de service public, la fédération sportive dite « délégataire » sera, ainsi, chargée, notamment, d’organiser les compétitions sportives à l’issue desquelles sera délivrée des titres, d’édicter les règles techniques propre à leur discipline sportive ainsi que les règlements relatifs à l’organisation des manifestations ouvertes à leurs licenciés (C. Sport, art. L. 131-15, L. 131-16).

Si, par principe, les décisions prises par les fédérations délégataires, personnes morales de droit privé, sont, des actes de droit privé, néanmoins il ressort de la jurisprudence « FIFAS » (CE, 22 novembre 1974, Fédération des industries françaises des articles de sport, req. n°89828), que les décisions prises par ces fédérations, procédant de l’usage des prérogatives de puissance publique qui leur sont conférées dans le cadre des missions prévues aux articles L. 131-15, L. 131-16 précitées, présentent le caractère d’un acte administratif.

Toutefois, le Conseil d’Etat avait fait jurisprudence, en rendant sa décision « Jujitsu » (CE, du 12 décembre 2003, 219113) .qui avait considéré que les contestations de dispositions statutaires, acte de droit privé, relevaient de la compétence du juge judiciaire. Cette décision était critiquable en ce que le Conseil d’Etat n’opérait pas de distinction, au sein des statuts, entre les dispositions relevant du fonctionnement et de l’organisation de la fédération, compétence du juge judiciaire, et celles relavant de l’exercice de ses prérogatives de puissance publique, compétence du juge administratif.

Abandonnant cette jurisprudence, dans sa décision du 15 mars 2023, le Conseil d’Etat est venu s’inscrire dans la continuité de la jurisprudence des caisses de crédit mutuel, en analysant le contenu de chaque disposition statutaire attaquée afin d’en déterminer sa nature et a fortiori la compétence juridictionnelle.

Le Conseil d’Etat a ainsi analysé les dispositions statutaires contestées par les Ligues Régionales qui s’agissaient, en l’espèce :

  • des règles relatives aux associations et autres personnes composant la fédération (art. 1.2.1 des statuts FFB),
  • de la création des organes déconcentrés au niveau régional et territorial, et le contrôle exercé par la fédération sur leur gestion et leur fonctionnement (art. 1.3 des statuts FFB),
  • des incompatibilités avec le mandat de président de la fédération (art. 2.3.3 des statuts FFB),
  • des conditions d’élection du bureau fédéral de la fédération (art. 2.3.5 des statuts FFB),
  • des commissions obligatoires de la fédération (art. 2.4.1 des statuts FFB),
  • des rétributions perçues par la fédération pour services rendus (art. 3.1 des statuts FFB).

A partir de cette analyse in concreto, la haute juridiction administrative a ainsi considéré que ces dispositions statutaires avaient trait « à l’organisation et au fonctionnement interne de la fédération » et ne manifestaient pas l’usage, par celle-ci, de prérogatives de puissance publique dans l’exercice de sa mission de service publique. Ces dispositions relèvent donc du juge judiciaire, et non de la juridiction administrative.

Cette évolution jurisprudentielle, salutaire, permet de clarifier sa position sur la méthodologie à adopter pour connaître la compétence du juge, en cas de futures contestations relatives à des statuts de fédérations sportives délégataire.

Concrètement, cela conduira à faire un tri, au sein d’un même acte - les statuts - entre les clauses relavant de la compétence du juge judiciaire et celles du juge administratif.

Toutefois, cette décision nous laisse dans l’inconnu sur la compétence du juge qui apprécierait une clause qui, à la fois, concernerait l’organisation et le fonctionnement interne de la fédération mais aussi, manifesterait l’usage de prérogatives de puissance publique.

Kenny BROUSSE