Cautionnement : la disproportion écartée en l’absence élément permettant d’apprécier la réalité d’une situation patrimoniale

Cour de cassation, Chambre commerciale financière et économique, 30 août 2023, n° 21-20.222

1.

Dans un arrêt du 30 août 2023, la Cour de cassation rappelle les règles en matière d’appréciation du caractère disproportionnée d’un cautionnement.

Il est constant qu’il incombe à la caution de démontrer le caractère disproportionné de son engagement. En effet, ce principe a été encore évoqué dans un récent arrêt de la Cour de cassation en ces termes : « il incombe à la caution qui entend opposer au créancier la disproportion manifeste de son engagement par rapport à ses biens et revenus, à la date de sa souscription, d’en rapporter la preuve » (Cass. com du 15 mars 2023, n°21-20.017). La disproportion avait été écartée en l’absence de preuve de la réalité d’une situation patrimoniale.

Plus précisément, pour apprécier le caractère disproportionnée d’un cautionnement le juge va se fonder sur les indications relatées dans la fiche de renseignements, remplies par la caution ou au nom de la caution qui a en général certifié exacte et sincère les informations portées sur cette fiche.

Aussi, dans le cadre de l’arrêt qui nous intéresse aujourd’hui, afin de déterminer la valeur des biens de la caution au jour de la conclusion de ses engagements, les juges vont user de la faculté de se fonder sur les indications non contestées d'une fiche de renseignements, nonobstant son établissement plusieurs mois avant la conclusion des engagements litigieux, en les confrontant avec les éléments de preuve versés aux débats.

2.

Les faits et la procédure étaient les suivants.

Par acte du 28 décembre 2007, une banque a consenti à une société une ouverture de crédit d'un montant de 560 000 €, remboursable intégralement au plus tard le 30 septembre 2009, garantie par le cautionnement solidaire des consorts D., dans la limite de 280 000 €, chacun. Par un acte du 19 mars 2010, le montant de l'ouverture de crédit a été porté à 600 000 euros et l'échéance prorogée au 30 septembre 2010.

Par des actes du 19 mars 2011, les consorts D. se sont rendus cautions solidaires en garantie du remboursement de ce crédit, chacun dans la limite de 336 000 euros. Par un acte du 23 avril 2013, Mme D. s'est en outre rendue caution solidaire de la société, au profit de la banque, dans la limite de 48 000 euros et pour une durée de trente-six mois.

Alléguant que le prêt consenti à la société n'avait pas été intégralement remboursé à son échéance, la banque a assigné en paiement les consorts D. En défense, les consorts D. lui ont opposé la disproportion de leurs engagements.

L’affaire a ensuite était évoquée devant la cour d’appel. Les consorts D. invoquaient alors le fait que « qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ; que pour apprécier la proportionnalité de l'engagement de caution à ses biens et revenus à la date de conclusion du cautionnement, le juge ne peut se référer à la fiche de renseignements remplie par la caution qu'à la condition que celle-ci soit contemporaine de la souscription du cautionnement ; »

La Cour d’appel a rejeté les demandes des consorts D. tendant à voir juger disproportionnés leurs engagements de caution et les a condamnés solidairement à payer à la banque une somme de 178 220,16 euros.

Ils ont alors formé un pourvoi en cassation soutenant qu’en se fondant sur les énonciations d'une fiche de renseignements remplie vingt mois avant le premier cautionnement et plus de trois ans avant le second, quand le juge ne pouvait tenir compte d'une fiche de renseignements qui n'était pas contemporaine de la souscription des engagements de caution, la cour d'appel avait violé l'article L. 341-4 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

La Cour de cassation rejette le pourvoi.

3.

La Haute Juridiction rappelle qu’il appartient à la caution, personne physique, qui entend se prévaloir du caractère manifestement disproportionné du cautionnement à ses biens et revenus, lors de la souscription de son engagement, d'en apporter la preuve.

Après avoir relevé que la fiche de renseignements du 27 janvier 2010 avait été établie vingt mois avant la conclusion des cautionnements et considéré que ce seul document ne permettait pas de déterminer l'étendue des revenus et patrimoine des consorts D., la cour d’appel a retenu que ces derniers ne contestent toutefois pas être, comme mentionné dans la fiche, nus-propriétaires de deux biens immobiliers. Elle a retenu également que madame D. était propriétaire en propre de dix immeubles. Elle en a déduit qu'après actualisation de la fiche patrimoniale sur la base des pièces produites par les consorts D., la valeur nette du patrimoine immobilier détenu par Mme D. s'élevait à un certain montant.

Selon la Cour de cassation, la cour d'appel qui, en l’état de ces appréciations, pouvait se fonder sur les indications non contestées d'une fiche de renseignements, fût-elle établie plusieurs mois avant la conclusion des engagements litigieux, en les confrontant avec les éléments de preuve versés aux débats afin de déterminer la valeur des biens de la caution au jour de la conclusion des engagements litigieux, a pu retenir que la caution ne démontrait pas que ses engagements étaient manifestement disproportionnés à ses biens et revenus.

Telle est la précision apportée par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans cet arrêt du 30 août 2023.

4.

Il est en outre intéressant de l’analyser en lien avec un autre arrêt de la Cour de cassation du même jour où elle a retenu cette fois-ci que le cautionnement litigieux était manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution (Cour de cassation - Chambre commerciale, 30 août 2023, n° 22-13.270).

Il a été d’une part rappelé que « qu'en l'absence d'anomalie apparente, le créancier n'a pas à vérifier l'exactitude et l'exhaustivité des déclarations de la caution quant à ses biens et revenus ; qu'en cas d'évolution significative de la situation financière de la caution entre la date de ses déclarations et celle de la conclusion du cautionnement dont le créancier ne pouvait avoir connaissance, il revient à la caution d'en informer spontanément ce dernier ».

D’autre part, il a été rappelé les termes de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016, à savoir qu’un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Dans cette affaire, la fiche de renseignements datait du 1er juillet 2006 et le cautionnement litigieux du 07 novembre 2007. Or, la situation financière et patrimoniale de la caution avait évolué entre le 1er juillet 2006, date d'établissement de cette fiche, et le 7 novembre 2007, date du cautionnement litigieux.

La Cour de cassation, compte tenu de l'ancienneté de la fiche de renseignement par rapport à la date du cautionnement, et que la caution justifie avoir, entre le 18 août 2006 et le 30 octobre 2007, souscrit treize engagements de caution au profit d'autres établissements bancaires, en a déduit qu'à la date à laquelle il a été souscrit, le cautionnement litigieux était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

La Cour de cassation a donc estimé qu’ « En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, dont il ressort que la banque n'a pas vérifié qu'à la date où il était consenti, le cautionnement M. [L] n'était pas disproportionné à ses biens est revenus, et dès lors que, à supposer même qu'une caution soit tenue d'un devoir de loyauté à l'égard de la banque, son éventuel manquement à un tel devoir n'est pas de nature à écarter l'application de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016, la cour d'appel a exactement jugé que la banque était déchue du droit de se prévaloir de l'engagement de caution de M. [L], en raison de sa disproportion ».

Dans ces deux arrêts, la question centrale est est celle de la preuve de la disproportion.

A l’aune de ces arrêts, il est donc intéressant de relever que la fiche de renseignements constitue un document de référence en matière d’appréciation du caractère disproportionnée d’un cautionnement. La banque aurait pu se fonder sur une fiche patrimoniale établie près d’un an avant la date de la signature de l’acte de caution. En effet, la fiche versée aux débats par les banques ne sont là que comme « substitut » à la preuve que la caution doit apporter. Or, dans cette affaire, la caution a rapporté la preuve de la modification de son patrimoine.

En définitive, dès lors que les fiches de renseignements sont versées, elles constituent certes un support d’analyse pour les juges qui peuvent se fonder sur les indications non contestées d'une fiche de renseignements, fût-elle établie plusieurs mois avant la conclusion des engagements litigieux, mais dont le contenu peut être en remis en cause en les confrontant avec les éléments de preuve versés aux débats afin de déterminer la valeur des biens de la caution au jour de la conclusion des cautionnements litigieux.

Sandra NICOLET