Fin de vie : le Conseil constitutionnel réaffirme la possibilité pour le médecin de s’affranchir des directives anticipées « inappropriées »

Une directive anticipée est un document écrit, daté et signé, à travers lequel une personne exprime ses intentions quant aux soins médicaux qu’elle souhaite, ou non, recevoir dans le cas où elle se trouverait dans l’incapacité d’exprimer sa volonté. Ce document permet ainsi à son auteur d’anticiper la fin de sa vie et d’exprimer sa volonté sur les conditions de celle-ci.

En France, la possibilité de rédiger des directives anticipées a été introduite par la loi n°2005-370 du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti ».

Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, le 23 avril 2005, l’article L. 1111-11 du Code de la santé publique disposait, en son premier alinéa, que :

« Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l'arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment ».

Ce droit a ensuite été renforcé par la loi n°2016-87 du 2 février 2016, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite « loi Claeys-Leonetti ». Consultatives jusqu’en 2016, les directives anticipées sont alors devenues, à travers cette nouvelle loi, opposables aux médecins.

Le troisième alinéa de l’article L. 1111-11 du Code de la santé publique précise cependant que :

« Les directives anticipées s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement, sauf en cas d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ».

Très récemment, la question de l’opposabilité des directives anticipées aux médecins a précisément fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, déposée par l’avocat de la famille d’un patient de 43 ans, hospitalisé dans le service réanimation de l’hôpital de Valenciennes, après avoir été écrasé par le camion qu’il était en train de réparer. Après avoir subi de multiples fractures ainsi qu’un arrêt cardiorespiratoire ayant entraîné une absence d’oxygénation de son cerveau pendant 7 minutes, le patient a été plongé dans le coma.

A l’issue d’une procédure collégiale, l’équipe médicale a considéré son état de santé comme insusceptible d’amélioration. Elle a alors pris la décision d’arrêter tout traitement, estimant que les thérapeutiques invasives constituaient une obstination déraisonnable, ayant pour effet de le maintenir artificiellement en vie, avec des conditions de survie qualifiées de « catastrophiques ».

Or, il s’avère que le patient avait rédigé, avant son accident, une lettre manuscrite qu’il avait remise à son médecin traitant et dans laquelle il précisait qu’en cas de coma prolongé jugé irréversible, il souhaitait être maintenu en vie, même artificiellement.

Faisant valoir ses directives anticipées, la famille de la victime a saisi le Conseil constitutionnel d’une QPC le 10 novembre dernier, afin de contester les dispositions du troisième alinéa de l’article L. 1111-11 du Code de la santé publique.

Selon ces derniers, ces dispositions méconnaissaient les principes de sauvegarde de la dignité humaine et de liberté personnelle, en ce que leurs termes imprécis laissaient une marge d’appréciation trop importante au médecin, qui prenait seul sa décision et n’était pas soumis à un délai de réflexion préalable.

Le Conseil constitutionnel a toutefois considéré que cet article était conforme à la Constitution, et ne méconnaissait ni le principe de sauvegarde de la dignité humaine, ni la liberté personnelle.

Pour justifier une telle décision, le juge constitutionnel a notamment retenu que les dispositions contestées n’étaient ni imprécises ni ambigües, en ce qu’elles ne permettaient au médecin de s’affranchir des directives anticipées que si elles étaient « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » du patient. Il a en outre souligné que la décision du médecin ne pouvait être prise qu’à l’issue d’une procédure collégiale destinée à l’éclairer et que cette décision était inscrite au dossier médical du patient et portée à la connaissance de ses proches. Enfin, le Conseil constitutionnel a rappelé que la décision du médecin de déroger aux directives anticipées du patient était, de toute façon, soumise au contrôle du juge.

Cette position confirme la faculté d’appréciation des directives anticipées par l’équipe médicale et pose une nouvelle fois la question de la volonté du malade face au pouvoir du médecin…

Cons. Const., 10 novembre 2022, n°2022-1022 QPC

Marianne DENIAU