Consécration de l’autonomie des postes de préjudice d’angoisse de mort imminente et du préjudice d’attente des proches

Nous l’annoncions dans notre 82e édition de notre Hebdomadaire, la Cour de cassation a enfin tranché en faveur de la reconnaissance autonome de deux nouveaux postes de préjudices, appelant une indemnisation distincte.

Effectivement, les évènements dramatiques de ces dernières années ont mis en exergue le fait que la nomenclature Dintilhac ne prenait pas suffisamment en compte la spécificité de certains préjudices, issus notamment des catastrophes collectives ou d’actes terroristes.

Ces évènements traumatiques collectifs induisent chez la victime des séquelles physiques et morales jusqu’à lors non prises en compte individuellement. Ce type d’évènements ont permis de mettre en exergue un préjudice d’angoisse, qui sera alors qualifié de « souffrance morale et psychologique liée à la conscience de mort imminente. »

A l’instar des situations dramatiques nouvelles auxquelles pouvaient être confrontées les victimes, la Cour de cassation n’avait effectivement d’autres choix que de se saisir de la qualification et des contours de ces postes de préjudices encore méconnus de la nomenclature Dintilhac. Le préjudice d’angoisse commençait à naître auprès des juridictions.

Au vu de ces nouvelles avancées, le Professeur Stéphanie Porchy-Simon, se voyait confié par la Secrétaire d’état chargée de l’aide aux victimes, la question de l’indemnisation des victimes d’attentats. Il ressortait de ce rapport (2017) la création de deux préjudices distincts :

- Le préjudice situationnel d’angoisse des victimes directes défini comme un : « préjudice autonome lié à une situation ou à des circonstances exceptionnelles résultant d’un acte soudain et brutal, notamment d’un accident collectif, d’une catastrophe, d’un attentat ou d’un acte terroriste, et provoquant chez la victime, pendant le cours de l’événement, une très grande détresse et une angoisse dues à la conscience d’être confronté à la mort. »

- Le préjudice situationnel d’angoisse des proches défini comme « le préjudice autonome lié à une situation ou à des circonstances exceptionnelles résultant d’un acte soudain et brutal, notamment d’un accident collectif, d’une catastrophe, d’un attentat ou d’un acte terroriste, et provoquant chez le proche, du fait de la proximité affective avec la victime principale, une très grande détresse et une angoisse jusqu’à la fin de l’incertitude sur le sort de celle-ci ».

A la lecture de ce rapport, le Fonds de garantie établissait une sorte de fourchette d’indemnisation pour le préjudice d’angoisse, qualifié rapidement de ridiculement faible.

Dans le même temps, les différentes chambres de la Cour de cassation ne s’harmonisaient pas pour cette reconnaissance autonome des préjudices. Si la chambre criminelle considérait rapidement que le préjudice d’angoisse de mort imminente constituait un préjudice autonome, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation l’incluait dans le poste de souffrances endurées. Aucun consensus n’était intervenu avant ces deux arrêts de la chambre mixte du 25 mars 2022.

La chambre mixte met donc fin à ce débat et consacre l’autonomie du préjudice d’angoisse de mort imminente ressenti par la victime directe avant sa mort, lequel ne sera plus imputé sur les souffrances endurées. La Chambre mixte confirme la position de la Cour en retenant que : « pour caractériser l'existence d'un préjudice distinct « d'angoisse de mort imminente », il est nécessaire de démontrer l'état de conscience de la victime en se fondant sur les circonstances de son décès. Il retient que la nature et l'importance des blessures, rapportées au temps de survie de la victime, âgée de seulement vingt-sept ans, dont l'état de conscience a conduit sa famille à juger possible son transport en voiture légère jusqu'à l'hôpital, démontrent que [R] [X] a souffert d'un préjudice spécifique lié à la conscience de sa mort imminente, du fait de la dégradation progressive et inéluctable de ses fonctions vitales causée par une hémorragie interne et externe massive, et que le premier juge a procédé à sa juste évaluation. C'est, dès lors, sans indemniser deux fois le même préjudice que la cour d'appel, tenue d'assurer la réparation intégrale du dommage sans perte ni profit pour la victime, a réparé, d'une part, les souffrances endurées du fait des blessures, d'autre part, de façon autonome, l'angoisse d'une mort imminente. »

De la même manière, le préjudice d’attente et d’inquiétude des proches de la victime directe sera indemnisé de manière autonome et non plus inclus dans le préjudice d’affection.

Pour celui-ci, la Chambre mixte de la Cour de cassation précise que : « Les proches d'une personne, qui apprennent que celle-ci se trouve ou s'est trouvée exposée, à l'occasion d'un événement, individuel ou collectif, à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, éprouvent une inquiétude liée à la découverte soudaine de ce danger et à l'incertitude pesant sur son sort. La souffrance, qui survient antérieurement à la connaissance de la situation réelle de la personne exposée au péril et qui naît de l'attente et de l'incertitude, est en soi constitutive d'un préjudice directement lié aux circonstances contemporaines de l'événement. Ce préjudice, qui se réalise ainsi entre la découverte de l'événement par les proches et leur connaissance de son issue pour la personne exposée au péril, est, par sa nature et son intensité, un préjudice spécifique qui ouvre droit à indemnisation lorsque la victime directe a subi une atteinte grave ou est décédée des suites de cet événement. »

La cour de cassation vient ainsi enrichir les postes de préjudice indemnisables évoqués par la nomenclature Dintilhac. Il convient de rappeler que dès le rapport Lambert-Faivre, l’idée même d’une nomenclature souple était mise en avant. En effet, malgré le fait que la nomenclature tente d’être la plus exhaustive possible, il n’en demeure pas moins qu’elle ne peut être limitative. Il est certain qu’avec une telle flexibilité, le principe de la réparation intégrale est garanti de la meilleure des façons.

Dans son introduction, le rapport Dintilhac faisait déjà mention de cette souplesse en indiquant : « les membres du groupe de travail tiennent à souligner que cette nomenclature, qui recense les différents postes de préjudice corporel, ne doit pas être appréhendée par les victimes et les praticiens comme un carcan rigide et intangible conduisant à exclure systématiquement tout nouveau chef de préjudice sollicité dans l’avenir par les victimes, mais plutôt comme une liste indicative - une sorte de guide - susceptible au besoin de s’enrichir de nouveaux postes de préjudice qui viendraient alors s’agréger à la trame initiale. »

Il apparait clairement que les auteurs de la nomenclature ont été conscients des risques liés à l’édition d’une telle norme, certes indicative, mais largement utilisée. L’articulation des différents postes de préjudice établie par la nomenclature peut être analysée comme les mailles d’un filet, tentant d’englober le préjudice subi par la victime.

Fort heureusement, la jurisprudence permet de compléter cette norme, en répondant aux évolutions économiques et sociétales, créatrices de nouveaux préjudices pour les victimes directes et indirectes.

La portée de ces arrêts de la chambre mixte est donc une aubaine pour le droit de la réparation du préjudice corporel, en ce qu’elle favorise une nouvelle fois le principe fondateur de réparation intégrale.

Cass., ch. mixte, 25 mars 2022, n° 20-15624 Cass., ch. mixte, 25 mars 2022, n° 20-17072

Pauline FONLUPT