Dépakine : la première action de groupe initiée dans le domaine de la santé déclarée recevable

C’est une première en France. Cinq ans après la création de l’action de groupe en matière de santé, l’une d’entre elle a prospérée contre un Laboratoire français. Cette action a été instituée par l’article 184 de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016, modifiant les articles L.1143-1 et suivants du Code de la santé publique.

Il ressort dudit article que :

« Une association d'usagers du système de santé agréée en application de l'article L. 1114-1 peut agir en justice afin d'obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des usagers du système de santé placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d'un producteur ou d'un fournisseur de l'un des produits mentionnés au II de l'article L. 5311-1 ou d'un prestataire utilisant l'un de ces produits à leurs obligations légales ou contractuelles. L'action n'est pas ouverte aux associations ayant pour activité annexe la commercialisation de l'un des produits mentionnés au même II. L'action ne peut porter que sur la réparation des préjudices résultant de dommages corporels subis par des usagers du système de santé. »

Quelques mois après la publication de cette loi, en mai 2017, l’Assocation d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsifiant (APESAC) a assigné le laboratoire Sanofi-Aventis France devant le Tribunal de grande instance de PARIS afin de voir reconnaître les conditions relatives à l’action de groupe réunies et déclarer le laboratoire responsable des conséquences dommageables causées par ses médicaments antiépileptique. Ces médicaments sont connus sous le nom de Dépakine, Micropakine, Dépakote, Dépakine Chrono et Dépamide et ont été commercialisés à partir 1967.

Ces médicaments sont constitués notamment de Valproate de sodium. Selon les données actuelles de la science, il est acquis de ce médicament présente un effet tératogène. Cela signifie qu’il peut causer des malformations congénitales au fœtus. C’est dans ce contexte que l’Association APESAC a été créée.

A la lecture des conditions édictées par l’article L.1143-1 du Code de la santé publique, l’action de groupe permet à une association d’usagers du système de santé d’obtenir la réparation du dommage subis par ces différents usagers placés dans une situation similaire, et ayant pour fait générateur le manquement d’un producteur ou d’un fournissseur concernant un produit de santé.

Eu égard à l’ancienneté de la mise en circulation de la Dépakine et de ses dérivés, deux fondements peuvent être valablement invoqués afin d’engager la responsabilité du laboratoire pharmaceutique.

Pour une utilisation avant le 22 mai 1998, date de transposition en droit français de la directive du 25 juillet 1985 concernant les produits défectueux, seul le régime de la faute peut être utilisé. Ici, il sera relevé le manquement au devoir d’information. Effectivement, le risque tératogène n’a été mentionné qu’à compter du 25 janvier 2006. En revanche, pour les prises du médicament à compter du 22 mai 1998, il peut être invoqué le régime de responsabilité des produits défectueux.

Une question relative à la recevabilité de cette action et notamment concernant la prescription de l’action était soulevée dans le cadre de cette instance. Effectivement, les actions pouvaient être prescrites si l’on regardait le délai de droit commun de cinq ans pour les actions fondées sur la faute, et le délai de trois ans pour la responsabilité du fait des produits défectueux.

Sur ce point, le Tribunal de Paris a réalisé une étude minutieuse du point de départ de ce délai. Il était notamment fait référence à l’arrêt de la Cour de cassation du 27 novembre 2019, qui fait courir le délai de prescription à la date où les demandeurs ont connaissance de la nature et de l’origine des dommages présentés par les enfants. Cet arrêt sera appliqué scrupuleusement, les juges du fond retenait le point de départ du délai de prescription au jour du dépôt du rapport d’expertise médicale, soit le 20 janvier 2020. En conséquence, aucune des deux actions ne pouvait être prescrite.

La difficulté de ce contentieux tient également au fait que ce produit contenant du Valproate de sodium présente un intérêt thérapeutique, justifiant son maintien sur le marché. Il s’agit aujourd’hui d’un médicament fréquemment utilisé pour l’épilepsie et les troubles bipolaires. Néanmoins, le manquement du laboratoire se situe très précisément sur le défaut d’information résultant de la notice d’information défaillante.

La motivation du Tribunal est à saluer car particulièrement précise et reprend chaque difficulté juridique tenant à la qualification tant de l’action de groupe, que des conditions particulières des régimes de responsabilité.

Les juges du fond concluaient notamment les éléments suivants :

« En effet, il est acquis que, selon les données de la littérature scientifique, la tératogénicité de l’Acide Valproïque en ce qui concerne les anomalies de fermeture du tube neural pouvait être qualifiée d’association probable à partir de 1984. En ce qui concerne les malformations majeures cette association pouvait être qualifiée de probable en 1990-1992. Concernant une association possible entre les troubles du comportement et notamment les troubles du spectre de l’autisme et l’exposition prénatale au Valproate, c’est considéré comme une association probable en 2008 2009. […] Le laboratoire SANOFI-AVENTIS FRANCE n’est pas fondé à se prévaloir d’une balance bénéfice – risque du valproate de sodium favorable et de ce que le médicament n’a pas été retiré du marché, ni même à contester l’affirmation de l’APESAC selon laquelle le médicament présente une défectuosité intrinsèque en raison de sa balance bénéfices-risques négative. En effet, lorsque des effets indésirables ne sont pas mentionnés sur la notice, le niveau de sécurité auquel on peut légitimement s’attendre constitue un élément de défectuosité du produit. Le produit peut donc être défectueux, indépendamment de son aptitude à l’usage auquel il est destiné. Ainsi, la présentation du médicament, dans la notice destinée aux patients, ne contenait pas l’information selon laquelle, parmi les effets indésirables possibles du médicament, il existait un risque tératogène d’une particulière gravité, et qu’il existait un risque de troubles développementaux et cognitifs, et ce jusqu’à la demande de modification de la notice de janvier 2006. Il s’en déduit que lors de la prise du médicament litigieux, du 22 mai 1998 au 25 janvier 2006 inclus pour les effets tératogènes et de janvier 2001 au 25 janvier 2006 inclus pour les troubles développementaux et cognitifs, le produit ne présentait pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et que le médicament litigieux était défectueux. »

En tout état de cause, nous assistons ici au premier succès de l’action de groupe en matière de santé apportant son lot d’interrogations juridiques.

Jugement du Tribunal judiciaire de PARIS, 05 janvier 2022, n°17/07001

Pauline FONLUPT