Du caractère abusif de certaines clauses de déchéance du terme et de l’examen d’office du juge

Dans deux arrêts rendus le 22 mars 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation vient d’apporter des précisions sur le caractère abusif de certaines clauses de déchéance du terme dans des contrats de prêt conclus entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur.

En outre, elle a pu préciser que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle.

A l’appui de son raisonnement, elle vient rappeler la position de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur les clauses de déchéance du terme sans préavis d’une durée raisonnable quant au caractère abusif desdites clauses.

1.

Les contrats de prêt constituent une source de contentieux récurrente en droit de la consommation. Ce contentieux concerne notamment certaines stipulations contractuelles visant à permettre une déchéance du terme plus rapide pour l’établissement bancaire, notamment sans mise en demeure préalable.

Ces clauses suscitent bien des interrogations quand on les analyse à l’aune de l’économie juridique du contrat. Les juges doivent en effet apprécier le caractère abusif ou non d’une clause, tout en identifiant les critères de déséquilibre significatif du contrat. En outre, ces clauses, d’une fréquence très importante, interrogent aussi quand on les met à l’épreuve du droit des clauses abusives issu de la directive 93/13/CEE. La première chambre civile de la Cour de cassation n’hésite pas, par ailleurs, avec d’autres juridictions d’États membres de l’Union européenne à renvoyer diverses questions préjudicielles à la Cour de justice.

Aussi, deux arrêts rendus le 22 mars 2023 par la Cour de cassation nous intéressent aujourd’hui en particulier dès lors qu’ils viennent apporter des réponses au sujet des clauses de déchéance du terme. Au demeurant, la Cour de cassation a étayé sa motivation en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

D’aucuns ont d’ailleurs mis en exergue l’importance bien particulière des solutions que ces deux arrêts du 22 mars 2023 dégagent en ce qu’ils sont publiés au Bulletin mais également aux Lettres de chambre. Nul doute, que les établissements bancaires, tout comme les emprunteurs, y prêteront une attention poussée dès lors que les deux décisions prononcent une cassation pour violation de la loi, à savoir de l’ancien article L. 132-1 du code de la consommation devenu L. 212-1 du même code.

2.

Dans ces deux affaires, un établissement bancaire consent un prêt immobilier. Dans la première espèce (n° 21-16.044), le contrat comporte une clause de déchéance du terme stipulant la résiliation de plein droit du contrat de prêt, huit jours après une simple mise en demeure adressée à l’emprunteur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire, en cas de défaut de paiement de tout ou partie des échéances à leur date ou de toute somme avancée par le prêteur. Dans la seconde (n° 21-16.476), le prêt comporte une clause de soumission à l’exécution forcée immédiate autorisant la banque, en cas de défaillance de l’emprunteur, à exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt. Dans les deux espèces, des échéances du prêt n’ayant pas été réglées, des procédures d’exécution forcée sur les immeubles respectifs des emprunteurs ont été engagées mais ces derniers ont invoqué le caractère abusif des clauses.

Les juges d’appel ont exclu tout caractère abusif. Mais les emprunteurs n’ont pas adhéré à la solution des juges d’appel. Pour les emprunteurs, dans la première espèce, la clause serait abusive en « ce qu’elle autorisait le prononcé par l’organisme prêteur de la déchéance du terme huit jours seulement après mise en demeure d’avoir à régler les impayés éventuels, peu important leur montant, et sans prévision d’un mécanisme de nature à permettre la régularisation d’un tel retard de paiement ». Dans la seconde, pour l’emprunteuse, les juges auraient dû écarter d’office l’application d’une telle clause d’exécution forcée immédiate.

Les deux arrêts d’appel sont cassés, le premier au visa de l’article L. 132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, le second, au visa de ce même article, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

3.

De surcroit, il est intéressant de noter que la Cour de cassation a enrcichi son analyse en se reportant à celle de la CJUE. La Cour de justice a pu s’intéresser aux clauses de déchéance du terme à travers l’arrêt du 26 janvier 2017 Banco Primus SA, aff. C-421/14. Dans cet arrêt, la CJUE a pu avancer, au numéro 67, quatre critères pour vérifier le caractère éventuellement abusif des clauses de déchéance du terme, à savoir :

1. La mise en jeu de la déchéance du terme dépend de l’inexécution d’une obligation présentant un caractère essentiel dans le rapport contractuel. 2. L’inexécution en elle-même doit présenter un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt. 3. La faculté déroge au droit commun des contrats en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques. 4. Le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier à l’exigibilité du prêt.

Il importe de souligner que ces critères ne sont ni cumulatifs ni alternatifs. Il n’en demeure pas moins qu’ils doivent être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national doit examiner pour apprécier ce caractère abusif. Autrement dit, selon l’approche jurisprudentielle de la CJUE, les parties à un contrat de prêt ne peuvent y insérer une clause qui prévoit, de manière expresse et non équivoque, que la déchéance du terme de ce contrat peut être prononcée de plein droit en cas de retard de paiement d’une échéance dépassant un certain délai sans faire l’objet d’une négociation individuelle. Par ailleurs, le rôle du juge national devient essentiel puisqu’il est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, énonce encore la Cour de cassation.

En définitive, en reprenant nos arrêts commentés, il sera noté que dans la première espèce, la Cour de cassation en conclut que « la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement ». Il a été retenu que le délai de huit jours accordé en l’espèce ne pouvait apparaître comme un préavis d’une durée raisonnable. Et, dans la seconde, la Haute Juridiction a considèré qu’il appartenait à la cour d’appel d’examiner d’office le caractère abusif de la clause autorisant la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d’une échéance à sa date, sans mise en demeure ou sommation préalable ni préavis d’une durée raisonnable.

La Cour de cassation précise ainsi que « dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et que l’appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible ».

Ces deux arrêts revêtent une importance particulière, la première chambre civile de la Cour de cassation ayant rappelé la position de la Cour de justice de l’Union européenne sur les clauses de déchéance du terme sans préavis d’une durée raisonnable quant au caractère abusif desdites clauses. De plus, la question de la renonciation à la mise en demeure préalable à la déchéance du terme vient questionner cette jurisprudence de la Cour de justice.

Il sera noté que la solution admise par le droit français reste centrée sur une certaine liberté contractuelle puisque les parties peuvent renoncer à la mise en demeure préalable à la condition que le non-professionnel ou le consommateur comprenne l’enjeu de la clause laquelle doit être claire, expresse et non équivoque, d’une part, et permettant, d’autre part, d’informer le consommateur des conséquences que peut avoir l’inexécution de ses obligations et ce dans un délai raisonnable.

Sandra NICOLET