La compliance environnementale : une préoccupation stratégique pour les entreprises

A l’occasion de la Journée mondiale de l'environnement 2022, dont le thème est « Une seule Terre », mettant l'accent sur un mode de vie durable en harmonie avec la nature, il nous est apparu essentiel de rappeler que la compliance, et notamment environnementale, est désormais reconnue comme une préoccupation stratégique pour les entreprises, et ce quel que soit le secteur dans lequel elles exercent leur activité.

Initialement, cette notion stratégique était cantonnée aux activités du secteur bancaire et financier, puis elle s'est étendue et à cet égard la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite Sapin 2 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, introduit de manière transversale en droit français des instruments de compliance (programme de conformité, devoir de transparence, ligne anti-corruption…) et l'a institutionnalisée.

Cela étant, certaines entreprises s’interrogent encore sur la pertinence de cette fonction.

La fonction de compliance, pour quoi faire ?

Il s’agit avant tout pour les entreprises de mettre en place une gestion efficace de la conformité pour leur éviter non seulement des sanctions financières, mais surtout de contribuer à protéger leur réputation et celle de leurs propres employés.

En outre, les récents contentieux climatiques qui, forts de leur impact, ne concernent plus seulement les états mais visent désormais les personnes morales de droit privé, lesquelles peuvent alors être contraintes de modifier leurs comportements en interne afin de lutter contre les atteintes portées à l'environnement et le changement climatique, et ce faisant, vont s'inscrire comme de véritables acteurs de la compliance environnementale qui se dessine en filigrane.

D’aucuns se souviennent du protocole de Kyoto signé le 11 décembre 1997 lors de la troisième conférence des parties à la convention (COP 3) au Japon qui avait fixé des objectifs spécifiques aux pays industrialisés, soit les plus gros émetteurs de GES, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Ce protocole visait à réduire, entre 2008 et 2012, d'au moins 5 % par rapport au niveau de 1990 les émissions de six gaz à effet de serre : dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d'azote et trois substituts des chlorofluorocarbones. Un système de « bon point » pour la transition énergétique par le biais de certificats d’économies d’énergies avait été instauré.

Néanmoins, les exigences ont dû être sans cesse réajustées. Compte tenu des spécificités des préoccupations environnementales, il n'est donc pas surprenant que la problématique de la compliance puisse s'y manifester.

Il est désormais constaté qu’une large part de la communication des entreprises, qu'elle soit destinée à leurs clients ou qu'elle s'inscrive dans une logique de positionnement global, se trouve désormais axée sur les questions environnementales.

L’impact du contentieux grandissant en matière environnementale sur les stratégies internes des entreprises

Afin d'anticiper au mieux ce nouveau risque contentieux, les entreprises sont contraintes d'identifier en interne les sources probables de ces risques et d'y remédier en amont, impulsant de fait un nouveau mouvement vers une compliance environnementale.

Il suffit pour s’en convaincre de s’intéresser à l'actualité judiciaire relative aux contentieux climatiques dont la force contraignante et l'effet d'entraînement ne peuvent plus être ignorés.

C'est ainsi qu'en France, dans une affaire sans précédent compte tenu à la fois de ses enjeux et du soutien qu'elle a reçu de la société civile, le tribunal administratif de Paris a condamné l'État français pour son inaction en matière de changement climatique et l'a contraint à compenser le dépassement du plafond des émissions de gaz à effet de serre (GES) fixé par le premier budget carbone (2015-2018) au 31 décembre 2022 au plus tard.

Dans le même sens, le tribunal du district de La Haye, aux Pays-Bas, a condamné la société Shell le 26 mai 2021 pour son manquement à son standard of care et a enjoint la Royal Dutch Shell de réduire ses émissions de GES dans le monde de 45 % d'ici 2030 par rapport à 2019.

Ce contentieux Shell mérite notre attention du fait de la prise en compte par le juge du fond du respect des droits humains dans le contexte particulier de l'urgence climatique. Le juge retient en effet que « le respect des droits humains ne doit pas être réalisé de façon abstraite en mettant à la charge des entreprises une responsabilité “passive” » mais exige une action « proactive » de la part de celles-ci et déclare que chaque entreprise doit faire sa part et respecter les droits humains. Ce jugement a permis de jeter les bases de la « contribution à l'effort climatique des acteurs privés ».

Compliance : quelles opportunités pour les entreprises ?

Aujourd’hui, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à avoir pris conscience de l'importance des enjeux climatiques et de la nécessité de modifier leurs comportements pour y remédier. Elles se doivent de tirer les enseignements qui s'imposent non seulement compte tenu de l'augmentation des obligations en matière environnementale, mais également en raison de la multitude des contentieux climatiques.

Cette préoccupation environnementale est bien évidemment à intégrer dans une stratégie globale de développement de l’entreprise : les dirigeants d’entreprise ne peut nier la diffusion de la culture de concurrence qui règne sur les marchés économiques.

Il n’en demeure pas moins que les entreprises doivent éviter d'avoir un rôle passif inadapté aux enjeux actuels de réduction des émissions de GES qui serait susceptible de leur être reproché ultérieurement. Dès aujourd'hui des mesures nécessaires peuvent être réfléchies afin de se conformer au mieux aux obligations existantes, en mettant en place des mesures en interne telle qu'une coopération efficace entre leurs différents départements (on pense notamment aux fonctions directement concernées par ces problématiques : fonctions juridiques, compliance officer, ressources humaines, risque, audit interne), voire envisager la création d'un département dédié à la compliance environnementale.

En définitive, pour quelles raisons les entreprises doivent-elles s’intéresser à la compliance environnementale ?

  • Pour demeurer attractive et maintenir sa réputation : les valeurs que les entreprises promeuvent occupent une place de plus en plus importante en particulier pour les salariés en quête de davantage de bien-être au travail, mais aussi dans le sens à donner à leurs tâches, et pour les clients dont le jugement est porteur de conséquences notamment en termes de réputation.
  • Pour obtenir des financements et rassurer les actionnaires : les investisseurs sont de plus en plus regardants sur la façon dont les entreprises prennent en compte les conséquences environnementales et sociales de leurs activités. Le marché de la dette dite durable a été particulièrement actif en 2021, les investisseurs s’orientant davantage vers l’achat de Sustainability Bonds ou obligations durables dont le produit contribue à financer des projets nouveaux ou existants ayant des objectifs en matière environnementale, sociale et/ou de gouvernance (ESG).
  • Pour gagner en compétitivité et conquérir de nouveaux marchés : il a été constaté que les clients sont de plus en plus demandeurs en termes d’engagement et de transparence des entreprises quant à leurs actions en matière environnementale et sociale. Les entreprises doivent adopter une démarche de responsabilité sociétale. Elles orientent leurs activités dans un objectif de croissance verte : il s'agit de favoriser un développement durable et soutenable sur le long terme. C’est ainsi que certaines banques prônent l’économie verte analysée comme « un moyen de poursuivre la croissance économique et le développement, tout en prévenant la dégradation de l’environnement, l’appauvrissement de la biodiversité et la pénurie des ressources naturelles ». Ou encore, des industriels qui changent leur image en rappelant qu’à une époque où l’écologie est au centre des attentions, l’électricité verte représente une source d’énergie renouvelable d’avenir.

Il en ressort que même si la compliance peut s’avérer être source de contraintes, elle représente surtout des opportunités pour les PME, TPE et Start up non nécessairement assujetties aux obligations de mise en conformité réglementaire.

Cette dynamique s’inscrit dans une démarche certes volontaire, mais qui pourra, à terme, s’avérer payante d’un point de vue concurrentiel. Par conséquent, il est important que l’entreprise ait fait un travail de réflexion préalable propre à son activité pour mettre en place une politique de prévention et de contrôle adaptée.

La compliance va bien au-delà de la simple conformité. Elle constitue une ligne de conduite qui demande une approche structurée et réfléchie, elle sous-tend aussi un effort dans la durée pour optimiser le développement économique de l’entreprise tout en s’inscrivant dans une démarche de progrès environnemental.

Pour ce faire, l’avocat détient un rôle particulier tel que cela ressort de l’article 17 de la loi Sapin 2 précitée qui « établit l’obligation pour les grandes entreprises de mettre en place un programme de détection et l’avocat va avoir à cœur de procéder régulièrement à une revue, un audit, à l’établissement de process spécifiques au sein des entreprises, à leur fiabilité et sincérité ».

La compliance nous pousse à un changement de paradigme important. Depuis la loi Sapin 2, qui a fait entrer la conformité en droit français, les avocats sont de plus en plus sollicités par les entreprises sur les processus de compliance.

Nul doute que l’avocat et sa déontologie, c'est-à-dire la règle morale, évoluent à l’aune de la compliance. Si l'avocat était traditionnellement le défenseur de son client, il a vu son rôle de conseil des personnes physiques ou morales renforcé. Une évolution organique de la profession en termes de clients et de problématiques s'est opérée au fil du temps. L'avocat est soumis à un devoir de vérité qui intervient pour assurer la sécurité du contrat et la sécurité juridique, pour une société plus morale. L'avocat se trouve confronter à une forme de dilemme… Il a la tâche délicate de ne pas devenir un dénonciateur ou d’adopter une posture contraire aux valeurs de l'avocat tout en restant tenu par le secret professionnel, y compris dans le cadre de la compliance.

L’avocat a donc pour rôle de participer à la rédaction du code de conduite organisant le processus de la compliance au sein de l'entreprise. Il va contribuer à la réflexion, avec les organes de l'entreprise et le dirigeant, de la mise en place d'une telle « charte éthique ». L'avocat en supervisant la sécurité juridique par un établissement de la vérité, doit plus que jamais avoir des réflexes d'avocat en intervenant comme un interlocuteur, désormais, habituel dans la relation entre l’entreprise et les régulateurs.

Sandra NICOLET