Le partenariat n’exclut pas la concurrence

Issu du décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791, le principe de la liberté du commerce et de l’industrie implique, outre la liberté d’entreprendre et la liberté d’exploitation, le principe de la libre-concurrence. Ce principe, en vertu duquel tout entrepreneur peut librement agir en concurrent afin de capter la clientèle des autres pour peu que ses actes soient licites, est consacré par les termes du livre IV de notre Code de Commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

Mais qu’en est-il de l’application de ce principe entre les partenaires commerciaux, ?

C’est toute la question à laquelle la Chambre commerciale de la Cour de Cassation s’est attachée à répondre par un arrêt du 9 septembre dernier (n° 18-18251).

Rappelons tout d’abord que la Cour de Cassation définit le partenaire commercial comme « la partie avec laquelle l'autre partie s'engage, ou s'apprête à s'engager, dans une relation commerciale ». Dans cette espèce, une société a reconnu a deux anciens salariés dont le contrat de travail avait été conventionnellement rompu la faculté de créer une entreprise concurrente en vue de créer un partenariat commercial.

Mais les difficultés surviennent rapidement et la société assigne ses deux anciens salariés pour des faits de concurrence déloyale. Cette dernière leur reproche de s’être appropriés, alors que leur contrat de travail n’avait pas encore pris fin, une liste de clients lui appartenant. La société reproche encore à ses anciens salariés et partenaires d’avoir agi au mépris des dispositions prévues au contrat de partenariat prévoyant les modalités aux termes desquelles les parties s’interdisaient tout détournement de clientèle. La société reproche enfin à ses anciens salariés de lui avoir dissimulé des invitations qui lui étaient exclusivement destinées visant à participer à la création d’un réseau d’experts.

Reconventionnellement, les salariés reprochent à la société dont ils étaient issus d’avoir fait usage de leur nom et de leur profil sur son site internet alors même que leur contrat avait d’ores et déjà été rompu, induisant ainsi une confusion dans l’esprit des clients potentiels.

La Cour de Cassation statue alors sur chacun de ces point en prenant soin de rappeler préalablement que le principe de liberté du commerce implique que « le démarchage et la prospection de clientèle sont libres dès lors qu’ils ne s’accompagnent pas d’un acte déloyal ».

La Cour rejette ainsi le pourvoi de la société au motif pris qu’il n’est pas établi que la liste de clients en cause lui appartenait, la société étant dans l’impossibilité de prouver que ladite liste provenait d’un fichier établi par ses seuls soins .

Les demandes formées par les salariés sont elles aussi rejetées, la Cour de Cassation ayant constaté que, d’une part leur nom n’avait été utilisé que peu de temps après la rupture de leur contrat, mais d’autre part que la nouvelle société formée par les salariés ne disposaient pas d’une clientèle propre susceptible d’être détournée et qu’en conséquence elle n’a subi aucun préjudice résultant des agissements de la société d’origine.

Avec cet arrêt la Cour de Cassation rappelle avec force le principe de libre-concurrence en confirmant que pour être répréhensibles encore faut-il que les actes de concurrence commis soient emprunts de déloyauté. Et plus encore, qu’il convient de rapporter la preuve incontestable de cette déloyauté. Quant au démarchage de clientèle, la Cour de Cassation rappelle que celle-ci ne saurait être caractérisée dès lors que la société qui s’en prétend victime ne peut justifier d’une clientèle propre.

Ce principe vaut même l’égard des partenaires et la seule invocation d’un contrat conclu prévoyant une clause de non détournement de clientèle ne saurait faire échec à ce principe. Il serait en effet tout à fait impossible de renier toute faculté de concurrence à des partenaires commerciaux et de présumer du caractère déloyal d’agissement commis à l’encontre de l’un d’eux, sauf à renier un principe devenu essentiel aux rapports commerciaux.