La multipropriété des clubs de football européen : vers un assouplissement de l’interdiction ?

Chaque fois qu’un investisseur, déjà propriétaire d’un club de football européen, s’engage dans des pourparlers pour le rachat d’un autre club européen, le débat sur l’interdiction de la multipropriété des clubs, par l’UEFA, refait surface.

Récemment, tant le rachat du club anglais, Manchester United, par le propriétaire de l’OGC Nice ou celui du Paris Saint-Germain (PSG), que le rachat du club alsacien, RC Strasbourg, par le copropriétaire du club londonien, Chelsea FC, ont relancé les discussions sur l’assouplissement de l’interdiction, par l’Union des associations européennes de football (UEFA), de la multipropriété des clubs de football.

En effet, l’UEFA - association regroupant et représentant les fédérations nationales de football ayant pour rôle de gérer et développer le football à l'échelon continental – a posé un principe, dans l’optique de préserver l’intégrité de ses compétitions, selon lequel deux clubs ayant le même propriétaire ne peuvent participer à une compétition interclubs.

Avant d’étudier le contenu et les enjeux de ce principe, il convient de préciser sont champs d’application.

En effet, ce principe s’applique aux « compétitions interclubs », autrement dit, les trois compétitions européennes organisées par l’UEFA : la Champions League, l’Europa League ainsi que l’Europa Conference League.

Ce principe est posé par l’article 5.01 du Règlement de l’UEFA Champions League qui énonce trois catégories de critères à respecter pour les clubs qui participent à l’une des compétitions précitées.

Le premier critère concerne les clubs qui sont interdits, directement mais aussi indirectement, d’être membres, d’être impliqué dans la gestion, de détenir un pouvoir dans la gestion administrative et/ou activités sportives ou encore de détenir ou négocier des titres, de tout autre club participant à une compétition interclubs.

Le second critère, plus large dans les personnes susceptibles d’être concernés, interdit à toute personne d’être impliquée, directement ou indirectement, dans la gestion, l’administration et/ou les activités sportives de plus d’un club participant à une compétition interclubs.

Enfin, le dernier critère pose l’interdiction à toute personne morale ou physique d’avoir le contrôle ou d’exercer une influence dans plus d’un club participant à une compétition interclubs. Etant précisé que la notion d’influence est définit au présent article comme, notamment, la détention de la majorité des droits de votes des actionnaires ou encore le droit de nommer ou révoquer la majorité des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance.

Tout l’enjeu de ce principe demeure dans la sanction au non-respect de l’un de ces critères. En effet, l’article 5.02 du Règlement de l’UEFA Champions League sanctionne le club qui ne respecte pas les critères précités par l’interdiction de participer à une compétition interclubs de l’UEFA par l’un des deux clubs.

Ainsi, l’un des deux clubs, propriété de la même personne, admis pour participer à la compétition interclubs sera sélectionné selon trois critères, suivant un ordre hiérarchique.

Premièrement, le club autorisé à participer sera celui dont les résultats sportifs lui permettront de se qualifier à la compétition la plus prestigieuse des trois précitées. Il s’agit, en l’occurrence, de la Champions League puis de l’Europa League et enfin l’Europa League Conference.

Ensuite, si les deux clubs sont qualifiés dans la même compétition interclubs, ces derniers seront, alors, départagés selon leur meilleur classement national.

Concrètement, l’UEFA n’a statué qu’une seule fois sur l’application de l’article 5 du Règlement de l’UEFA Champions League.

En effet, cela concernait le groupe Red Bull ayant racheté, en 2005, le SV Austria Salzbourg qui deviendra le Red Bull Salzbourg. Puis, en 2009, Red Bull a racheté le club amateur du SSV Markanstädt, club qui évoluait alors en 5ème division allemande et deviendra le RB Leipzig.

La problématique de la multipropriété du groupe Red Bull s’est alors posée lors de la saison 2017-2018, lorsque le Red Bull Salzbourg et le RB Leipzig ont tous les deux été qualifiés pour participer à l’UEFA Champions League.

L’Instance de contrôle financier des clubs de l’UEFA (ICFC) a estimé, dans une décision du 16 juin 2017, qu’il n’y avait pas de violation de l’article 5 : « à la suite d’une enquête approfondie, et suite à plusieurs modifications de la structure de gouvernance et de structure effectués par les clubs (concernant les entreprises, le financement, le personnel, les accords de sponsoring, etc.), l’ICFC a estimé qu’aucune personne physique ou morale n’avait une influence décisive sur plus d’un club participant à une compétition interclubs de l’UEFA. »

Pour se conformer aux exigences de l’article 5, le groupe Red Bull a dû modifier sa gouvernance au sein des deux clubs. Pour ce faire, si le groupe Red Bull a conservé son contrat de partenariat avec le Red Bull Salzbourg, il n’en est, désormais, plus le propriétaire, ayant quitté toute fonction dirigeante au sein de ce dernier.

Depuis la création de cet article 5, face à l’intérêt grandissant de la multipropriété des clubs, la tendance est désormais vers une volonté d’assouplir cette interdiction, comme en témoigne la déclaration du Président de l’UEFA, Alexander Cerafin, selon laquelle “Nous ne devrions pas simplement dire non aux investissements pour la propriété de plusieurs clubs, mais nous devons voir quel type de règles nous fixons dans ce cas, car les règles doivent être strictes.”.

L’ouverture à la multipropriété permettra indéniablement d’augmenter, encore plus que ce n’est déjà le cas aujourd’hui, la compétitivité des championnats et des clubs de football. Toutefois, ce principe a été instauré en qualité de garde-fou de l’éthique du football et ses compétitions.

Permettre à des groupes financiers, des fonds d’investissement, de prendre possession de plusieurs clubs et de les faire s’affronter conjointement, altérera incontestablement et durablement la concurrence, l’équité et l’équilibre compétitif.

Cette ouverture à la multipropriété devra nécessairement être effectuée dans le respect des règles européennes sur le droit de la concurrence, tant le déséquilibre du marché risque d’être biaisé, à travers ces ententes importantes, entre acheteurs, multipropriétaires de clubs, et vendeurs.

Kenny BROUSSE