Cautionnement : devoir de mise en garde et nouvelles précisions sur la preuve d’un risque de surendettement.

L’article 2299 du Code civil, issu de la réforme des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, fait peser sur les créanciers professionnels un devoir de mise en garde au profit des cautions personnes physiques.

Cette obligation n’est, toutefois pas nouvelle. Elle avait, en effet, été instituée, sous l’empire du droit antérieur, par la jurisprudence, notamment au profit des cautions non-averties.

Dans son arrêt du 9 mars 2022, la Cour de cassation a apporté des précisions sur l’obligation de mise en garde de la banque à l’aune de la preuve du risque de surendettement apportée par la caution.

Elle a en effet précisé que « pour établir que le banquier dispensateur de crédit était tenu, à son égard, d'un devoir de mise en garde, la caution non avertie doit établir qu'à la date à laquelle son engagement a été souscrit, celui-ci n'était pas adapté à ses capacités financières ou qu'il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel résultait de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur. La circonstance que la banque a octroyé le prêt sans disposer d'éléments comptables sur l'activité prévisionnelle de l'emprunteur ne dispense pas la caution d'établir l'inadaptation de ce prêt aux capacités financières de l'emprunteur ».

Cass. com., 9 mars 2022, n° 20-16.277

Avant de nous intéresser aux circonstances dans lesquelles pèsent sur le banquier un devoir de mise en garde (2.), il est opportun de rappeler en quoi consiste un tel devoir (1.).

1. En quoi consiste le devoir de mise en garde du banquier ?

Le banquier dispensateur de crédit est tenu à un devoir de mise en garde, et a l’obligation d’alerter l’emprunteur non averti, mais également la caution quant à ses capacités financières et aux risques d’endettement pouvant naître de l’octroi du prêt.

Autrement dit, la mise en œuvre de cette obligation se fait préalablement à l’octroi du prêt, étant précisé, une nouvelle fois, que ce devoir de mise en garde n’est exercé qu’à l’égard des emprunteurs et cautions non avertis.

Pour mémoire, le devoir de mise en garde est une conception jurisprudentielle consacrée le 29 juin 2007 par un arrêt de la Chambre mixte de la Cour de cassation au profit des emprunteurs non avertis, la solution étant devenue une constante en la matière depuis (Ch. mixte, 29 juin 2007 n°05-21.104). Il s’agit d’une obligation de moyens consistants pour un établissement de crédit de prévenir l’emprunteur d’un risque d’endettement potentiel découlant de l’octroi du prêt au regard de ses capacités financières.

De surcroit, la jurisprudence est venue préciser la notion de « caution non avertie ». La caution non avertie est généralement un profane qui se porte caution pour un membre de sa famille ou un proche sans être en mesure d’apprécier le risque découlant de son engagement. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les dirigeants de société ne sont pas d’office considérés comme étant des cautions averties du fait de leur statut professionnel.

En effet, la Cour de cassation a énoncé le principe selon lequel le dirigeant caution est considéré comme averti sous réserve qu’il soit impliqué dans la gestion de la société cautionnée. Et encore, la Cour de cassation a récemment renforcé ce principe en précisant que le devoir de mise en garde du banquier dispensateur de crédit n'est pas due au dirigeant de la société garantie ayant exercé ses fonctions pendant quatre ans avant de souscrire un acte de cautionnement (Cass. Com. 3 févr. 2021, n° 18-24.334).

Par ailleurs, le banquier est tenu à une obligation de mise en garde en fonction de la complexité du financement. Il doit exercer ce devoir en se renseignant sur la situation financière et personnelle de l’emprunteur et caution non avertie, et par la suite le prévenir s’il encourt un risque d’endettement.

En effet, il résulte également de la jurisprudence que l’assujettissement du banquier dispensateur de crédit au devoir de mise en garde suppose un risque d’endettement excessif, cumulativement à la qualité de profane du client.

Ainsi, aucun devoir de mise en garde ne tient le banquier lorsqu’à la date de la conclusion du contrat, le crédit fût adapté aux capacités financières de l’emprunteur et au risque d’endettement né de l’octroi du prêt. La juridiction du fond n’a même pas à rechercher si l’emprunteur fût ou non averti, dans ce type de cas précis (Cass. Com., 7 juillet 2009, n°08-13.536).

2- Dans quelles circonstances pèsent sur le banquier un devoir de mise en garde ?

Pour être dû, le devoir de mise en garde requiert l’existence d’un risque d’endettement excessif de la caution non-avertie (Cass. com. 3 nov. 2015, n°17-17.727).

Lorsque, en revanche, ce risque fait défaut, la Cour de cassation considère qu’aucun devoir de mise en garde ne pèse sur le créancier (Cass. com. 12 mai 2009, n°08-15.253).

La question qui alors se posait était de savoir comment apprécier le risque d’endettement excessif de la caution.

À l’analyse, il peut résulter :

- Soit de l’inadéquation de l’engagement pris par la caution au regard de sa capacité financière, - Soit de l’inadéquation de l’obligation souscrite par le débiteur principal au regard de ses facultés contributives.

A ce sujet, la Cour de cassation dans son arrêt du 15 novembre 2017 avait instauré l’enseignement selon lequel, quand bien même l’engagement souscrit par la caution est proportionné au regard de ses facultés contributives personnelles, le devoir de mise en garde reste dû dès lors que l’obligation souscrite par le débiteur principal est inadaptée à sa capacité financière (Cass. com. 15 nov. 2017, n°16-16.790).

Dans son arrêt du 09 mars 2022, après avoir rappelé cette jurisprudence, la Cour de cassation a apporté des précisions relatives à la preuve du risque de surendettement.

En l'espèce, une banque a consenti un prêt à une société. Le président et associé majoritaire de la société s'est rendu caution du remboursement de ce prêt. La société ayant été mise en liquidation judiciaire le 15 mai 2016, avec une date de cessation des paiements fixée au 29 février 2016, la banque a assigné en paiement la caution qui lui a opposé d'avoir manqué à son devoir de mise en garde à son égard.

La cour d’appel a débouté la caution de ses demandes et l’a, en conséquence, condamnée à payer un certain montant à la banque. La caution a donc formé un pourvoi en cassation.

La chambre commerciale de la Cour de cassation rejette ce pourvoi.

Dans cette décision de justice, la Haute juridiction rappelle d’abord que pour établir que le banquier dispensateur de crédit était tenu, à son égard, d'un devoir de mise en garde, la caution non avertie doit établir qu'à la date à laquelle son engagement a été souscrit, celui-ci n'était pas adapté à ses capacités financières ou qu'il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel résultait de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur (cf. l’arrêt du 15 nov. 2017 précité).

Elle ajoute ensuite que la circonstance que la banque a octroyé le prêt sans disposer d'éléments comptables sur l'activité prévisionnelle de l'emprunteur ne dispense pas la caution d'établir l'inadaptation de ce prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

Enfin, elle constate que l'arrêt d’appel a :

• estimé que la caution ne produit aucun document comptable relatif à cette société lors du démarrage de son activité et que, selon la déclaration de créance du 30 mars 2016, les échéances du prêt cautionné avaient été payées jusqu'à la date de l'ouverture de la procédure collective.

• retenu que le patrimoine déclaré à la banque à la date du cautionnement s'évalue, après déduction des emprunts encore en cours, à la somme totale de 301.243,93 euros et que, sans même tenir compte de ses revenus déclarés, il ne peut davantage être considéré que son engagement n'était pas adapté à ses capacités financières.

La Haute juridiction a donc procédé à une analyse des documents comptables produits par la caution et du patrimoine déclaré à la Banque.

Dans l’arrêt rapporté, la Cour de cassation applique une solution classique en y apportant une précision sur la charge de la preuve.

Selon la Haute juridiction, il en résulte que la caution n'apportait pas la preuve lui incombant que le prêt litigieux était inadapté aux capacités financières de la société ou à ses propres capacités financières et la cour d'appel a pu retenir qu'il ne pouvait être reproché à la banque d'avoir manqué à son devoir de mise en garde.

C’est à la caution qu’il appartient de démontrer l’existence d’un risque d’endettement excessif et que donc un devoir de mise en garde pèse sur l’établissement bancaire. En définitive, il est intéressant de relever que ce devoir de mise en garde s’inscrit dans une tendance générale de la protection du faible au fort par le droit et de l’accroissement permanent du devoir de conseil. Les mêmes critères se retrouvent en effet dans les contrats où l’intensité du devoir de conseil varie en fonction de la qualité du client, et du caractère déterminant de l'information, ayant « un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ».

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Cela étant, et pour conclure, il importe de souligner que l’ordonnance du 15 septembre 2021 n’a pas seulement redéfini le domaine du devoir de mise en garde, elle a également modifié ses conditions d’exercice.

Pour mémoire, sous l’empire du droit antérieur, le devoir de mise en garde était dû lorsqu’existait un risque d’endettement excessif résultant notamment de l’inadéquation de l’engagement de la caution avec sa capacité financière.

Désormais, le risque d’endettement endettement excessif ne doit s’apprécier qu’au regard de la seule situation financière du débiteur principal.

L’article 2299 du Code civil prévoit en ce sens que le devoir de mise en garde est dû « lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier ».

Cette définition permet, en effet, de mieux délimiter la frontière entre le devoir de mise en garde et le principe de proportionnalité qui était devenue poreuse.

En résumé, désormais, le devoir de mise en garde joue lorsque le risque d’endettement excessif de la caution résulte de l’inadéquation de l’obligation souscrite par le débiteur principal avec sa capacité financière.

Le principe de proportionnalité s’applique lorsque le risque d’endettement excessif de la caution résulte de l’inadéquation de son engagement avec sa capacité financière.

Sandra NICOLET