Expulsion locative : un « déconfinement » à double vitesse

Si les clauses résolutoires sanctionnant le défaut de paiement des loyers par la résiliation automatique du bail pourront reprendre effet pour les premières dès le 24 juin 2020, il n’en ira pas de même pour les expulsions à proprement parler. Le propriétaire titulaire d’un jugement l’y autorisant sera tenu d’attendre la fin de la trêve hivernale dont la période a été, en raison de la crise sanitaire, calquée sur celle de l’état d’urgence prenant fin le 10 juillet 2020.

I- Le sort des clauses résolutoires ayant dû prendre effet entre le 12 mars et le 23 juin 2020

En insérant une clause résolutoire dans un contrat, les parties décident à l’avance que celui-ci sera de plein droit résolu du seul fait de l’inexécution par l’une des parties de son obligation sans qu’il soit nécessaire de le demander au juge (qui, le cas échéant, ne fera que la constater objectivement).

Appliquée au contrat de location, cette clause offre au propriétaire n’ayant pas été payé de ses loyers la faculté de provoquer la résiliation du bail conclu avec son locataire indélicat, dès lors que ce dernier ne régularise son arriéré à l’issu d’un certain délai.

Dans le cadre des baux d’habitation, cette clause lorsqu’elle est stipulée (il ne s’agit pas d’une condition de validité du contrat) produira effet deux mois après la signification d’un commandement de payer au locataire par voie d’huissier de justice demeuré infructueux (art. 24 de la Loi n°89-642 du 6 juillet 1989).

Qu’advient-il de ces clauses lorsque le délai de deux mois a expiré au cours de la période de confinement ?

La réponse est à rechercher dans l’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, dans sa version en vigueur au 13 avril 2020 (Ordonnance n°2020-560) :

« I. ‒ Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus. »

« Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er.

Si le débiteur n'a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d'une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée. »

Exemple : suite à la signification d’un commandement de payer le 17 février 2020, le locataire était tenu de régulariser son arriéré locatif au plus tard le 17 avril 2020 (+ 2 mois) une clause de résiliation de plein droit du bail étant stipulée en cas d’inexécution à cette date. Or, le locataire n’a pas entendu donner suite au commandement de payer. Par conséquent, les effets de la clause résolutoire ont été reportés d’une durée égale au temps écoulé entre le 12 mars et le 17 avril 2020, soit de 1 mois et 5 jours, à compter du 24 juin 2020. Le bail sera réputé résiliation par acquisition de la clause résolutoire le 29 juillet 2020.

Si le locataire venait à régulariser sa dette locative d’ici le 29 juillet 2020, le propriétaire sera tenu de réitérer la délivrance d’un commandement de payer dans l’hypothèse où la défaillance du locataire venait à se répéter à l’avenir.

II- Le sort des expulsions suspendues depuis le 12 mars 2020

L’expulsion n’est pas éligible aux dispositions précédemment citées.

Parce que cette mesure consiste à faire sortir une personne d’un lieu où elle se trouve sans droit ni titre, elle ne peut être opérée durant la période de la trêve hivernale dont la finalité est, comme l’expression l’indique, de protéger les occupants de logements face au froid de l'hiver.

En temps normal, il est sursis à toute mesure d'expulsion du 1er novembre au 31 mars de l'année suivante (art. L412-6 du Code des procédures civiles d’exécution).

En raison de la pandémie du Covid-19 et pour lutter contre sa diffusion, la période de trêve hivernale a été prolongée jusqu’au 10 juillet 2020, se calquant ainsi sur la fin de l’état d’urgence.

La précarité induite pour certains par la crise sanitaire (perte d’emploi, chômage partiel), qui a pour corollaire la recrudescence d’impayés de loyers, risque néanmoins de se répercuter après cette date. Il convient toutefois de garder à l’esprit le confinement n’exonère pas le locataire du paiement de ses loyers.

Pendant cette période, le propriétaire peut d’ores et déjà engager une procédure d’expulsion, sous réserve que la clause résolutoire ait le cas échéant bien pris effet (voir supra) et, s’il dispose d’ores et déjà d’une décision de justice, de délivrer un commandement de quitter les lieux et de solliciter le concours de la force publique auprès de la Préfecture compétente.

Il n’est en outre pas rare que la défaillance du locataire se répercute sur la situation même du propriétaire pour lequel l’absence de revenus locatifs peut fragiliser son équilibre financier, par exemple lorsque le remboursement du crédit souscrit pour l’acquisition dudit logement n’a pas fini d’être remboursé.

Dans ce cas, il sera conseillé au propriétaire qui ne bénéficie pas d’une assurance loyers impayés ou de la garantie Visale* de négocier un plan d’apurement avec son locataire ou d’actionner sa caution.

Enfin et en tout état de cause, ne pourront se prévaloir de la trêve hivernale les occupants placés dans les situations suivantes : 3 - Les « squatteurs », rentrés par voie de fait dans le logement ;

- Les « squatteurs », rentrés par voie de fait dans le logement ; - Lorsque le logement fait l’objet d’un arrêté de péril et menace de s’effondrer ; - Les personnes pour qui le relogement répondant à leurs besoins familiaux est assuré ;

*Pour plus de précisions sur la garantie Visale et les conditions d’éligibilité : https://www.visale.fr/ https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F33453