La notion d’abus d’égalité réitérée dans arrêt de Cassation du 21 juin 2023

Dans un arrêt récent du 21 juin 2023 , la Haute Juridiction a pu revenir sur l’abus d’égalité en confirmant que le simple fait pour un associé d’une société à action simplifiée à parts égales d’empêcher, par un vote négatif, une opération essentielle pour la société dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l’autre associé, constituait un abus d’égalité.

Cette décision amène tout à la fois à rappeler la notion d’abus d’égalité, mais en sus, à s’interroger sur ce qu’il est entendu par « opération essentielle pour la société ».

En effet, les associés sont les acteurs cardinaux d’une société et le droit de vote dont ils disposent et lequel s’exerce en proportion des parts sociales ou actions détenues, sauf dispositions contraires prévues par les statuts, est primordial pour le développement de la société.

Aussi, afin d’assurer la pérennité de la société, les associés doivent toujours agir dans son intérêt social et se montrer loyaux entre eux.

A défaut de respecter ces principes, un abus pourra être relevé et sanctionné.

A ce titre, divers abus peuvent être constatés : l’abus de majorité, l’abus de minorité et l’abus d’égalité. Ce dernier abus a été repris par la Cour de Cassation dans son arrêt du 21 juin 2023.

Il est caractérisé dès lors que les associés détiennent le même nombre de parts sociales ou d’actions dans la société. Les critères sont les mêmes que pour l’abus de minorité, il y a abus d’égalité dès lors que l’associé égalitaire va s’opposer par son vote négatif à des décisions ordinaires ou extraordinaires et ce, afin de mettre en avant ses intérêts personnels au détriment de l’intérêt de la société.

En l’espèce, dans l’arrêt visé, deux personnes morales s’étaient associées pour la création d’une SAS dont elles détenaient chacune pour moitié le capital social. Ladite société avait pour objet le pilotage des transports terrestres de la société Nestlé Waters.

Or, la société Nestlé Waters a envisagé une restructuration de son système de gestion des transports, remettant consécutivement en cause les relations contractuelles qu’elle entretenait avec la SAS créée.

A ce titre, la société Nestlé Waters avait sollicité de la SAS créée qu’elle lui soumette une proposition d’offre de contrat transitoire. Le directeur général de la SAS a dès lors convoqué une assemblée générale afin qu’il soit proposé un contrat transitoire à la société Nestlé Waters. Faute d’unanimité, la résolution a été rejetée.

Invoquant un abus d’égalité et un manquement au devoir de loyauté, la SAS créée et l’un des associés ont assigné l’autre associé égalitaire aux fins de le voir condamner à verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

C’est ainsi que la haute juridiction a pu donner un indice relativement à ce qui est entendu par « opération essentielle pour la société ».

En effet, elle a pu juger que l’associé égalitaire en cause s’était opposé par son vote négatif à la mise en place d’un contrat transitoire et que de ce fait, il avait privé la SAS créée d’un contrat important. Il n’avait donc pas agi dans l’intérêt de la société.

D’autres circonstances peuvent empêcher une opération essentielle à la vie et à la survie de la société.

Parmi ces dernières :

  • - Le fait qu’un associé égalitaire souhaite que la totalité du résultat comptable soit distribuée sous forme de dividendes alors même que la société a besoin de l’autofinancement pour ses investissements et pour son fonds de roulement ;
  • - Le fait qu’un associé égalitaire se refuse de voter la constitution de réserve idoine à la société pour effectuer un investissement important ;
  • - Le refus par un associé égalitaire de voter l’approbation des comptes et le versement d’une rémunération au gérant alors qu’elle était prévue dans les statuts ;
  • - Le refus systématique d’un associé égalitaire des résolutions proposées par son associé et privant la société de voir améliorer ses résultats ;
  • - Le refus de la modification de l’objet social primordial à la poursuite de l’activité de la société ;
  • - Le refus d’augmentation du capital social nécessaire à la survie de la société.

Ainsi, à l’instar de l’abus de minorité et en cas de conflits entre les associés, un administrateur ad hoc devra être désigné afin de voter en lieu et place des associés.

Des dommages et intérêts pourront enfin être sollicités à l’encontre de l’associé en cause et ce, au visa de l’article 1240 du Code civil.

L’arrêt susmentionné et les diverses condamnations à l’encontre des associés égalitaires récalcitrants rappelle une nouvelle fois que la société dispose d’un intérêt propre et indépendant à celui de ses associés, lequel doit être privilégié. L’importance qui est accordée à l’intérêt social de la société est d’ailleurs retranscrite à l’article 1833 du Code civil de même que dans la loi PACTE adoptée le 11 avril 2019.

Alicia COLLOT