Levée des brevets, licences d’office, bien commun public mondial :

quelles solutions pour accélérer la vaccination anti covid ?

La polémique Sanofi est encore tenace dans les mémoires : le directeur général de ce très connu laboratoire pharmaceutique français, Paul Hudson, avait déclaré que les Etats-Unis auraient « droit aux plus grosses précommandes » de son vaccin.

Au regard de ces événements, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres avait déclaré que le vaccin devait être considéré comme un « bien public mondial » accessible à tous.

Ces propos avaient été repris par le président de la République, Emmanuel Macron, qui avait mentionné que le vaccin serait accessible partout dans le monde et « extrait des lois du marché ».

Mais initialement, si la France a appelé les pays disposant de vaccins à les partager avec les pays les plus démunis, elle s’est opposée à l’alternative de la levée des brevets.

Ce n’est plus vrai depuis le 6 mai 2021, date du discours de l’exécutif qui s’est finalement rallié à la levée des brevets sur les vaccins et ce, juste après l’annonce des Etats-Unis favorable à cette levée.

L’OMS (organisation mondiale de la santé) alerte cependant sur les pays en développement : en effet, si les pays riches ont bien entamé les vaccinations, la situation est aujourd’hui catastrophique en inde, par exemple, où s’ouvrent des crématoires à ciel ouvert.

Il est donc demandé aux entreprises pharmaceutiques de partager leurs installations de fabrication afin d’accélérer la production des vaccins car le constat est sans appel : plus des ¾ des vaccins sont administrés dans seulement 10 pays, qui représentent près de 60% du PIB mondial. (Déclaration du directeur général de l’OMS lors d’une conférence de presse virtuelle depuis Genève).

Retour sur ce débat :

1.1 Explication de l’enjeu de la qualification de « bien public mondial » :

Charles Kindleberger, l'un des auteurs pionniers en la matière, définit les biens publics mondiaux comme « l'ensemble des biens accessibles à tous les États qui n'ont pas nécessairement un intérêt individuel à les produire. »

On peut regrouper les biens publics mondiaux en trois grandes catégories :

1) Les biens publics mondiaux naturels, tels la stabilité climatique ou la biodiversité.

2) Les biens publics mondiaux d'origine humaine, tels que les connaissances scientifiques.

3) Les « résultats politiques globaux », incluent la paix, la santé, la stabilité du système financier international…

Actuellement, une pétition émerge pour faire reconnaître le vaccin anti-covid comme un « bien public » et ainsi contourner les droits de propriété intellectuelle des entreprises qui exigent la signature de licence.

Les arguments favorables à la qualification de « bien public mondial » s’entendent : en effet, la séquence du virus SARS-Cov-2 est utilisée dans le vaccin, c’est même son élément essentiel. Cette séquence étant qualifiable de ressource mondiale accessible à tous, la logique serait de reconnaître les vaccins issus de cette ressource comme un « bien public mondial » pour reprendre les mots du journaliste du Monde, Sylvestre Huet.

En plus du fait que le vaccin utilise une séquence du virus qui est une ressource mondiale, il faut également noter que le développement du vaccin a profité de la recherche et des aides financières de l’Etat…

L’enjeu : accélérer la vaccination. En effet, la production de vaccins est actuellement insuffisante et le brevet entourant le vaccin, la ralentirait.

1.2 Le principe du brevet des vaccins

Le droit des brevets offre une protection aux inventions techniques. C’est un droit de propriété temporaire portant sur des inventions et dépendant d’un dépôt.

Concrètement, déposer un brevet permet de protéger une innovation. Une découverte médicale est donc susceptible d’être « brevetable », ce qui est le cas des vaccins. Autrement dit, pendant 20 ans, seules les entreprises ayant breveté leurs vaccins contre la covid-19 peuvent les proposer et cela fait polémique actuellement.

Pour expliquer le principe du brevet plus en détail : l’Etat accorde un monopole à un inventeur d’une durée de 20 ans pour commercialiser son invention. En échange, l’Etat demande notamment la publication de l’invention ainsi qu’une redevance annuelle.

Un brevet peut donc être « loué » à d’autres via une licence. Cette dernière permet d’encadrer les conditions d’exploitation du brevet en échange d’une redevance (royalties). Cela se comprend, car dans le cas des vaccins, la recherche et développement peut se révéler particulièrement longue et coûteuse, sans garantie d’aboutir à un produit commercialisable.

Dans le débat actuel, le brevet protégeant le vaccin est mis en cause dans l’insuffisance de production des vaccins.

Il existe toutefois une espèce de contournement à ce principe qui est « la licence obligatoire ». Elle permet à des États d’obliger à la fabrication et/ou à la livraison de médicaments en cas d’urgence sanitaire.

1.3 La licence obligatoire/La licence d’office pour contourner le brevet

Ces licences permettraient à des laboratoires concurrents d’exploiter les brevets de vaccin contre le Covid-19 qu’ils n’ont pas développés.

Prévue à l’article 31 de l’Accord sur les ADPIC (aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce), la licence « obligatoire » est délivrée en cas de « circonstance d’extrême urgence ».

En France, le code de la propriété intellectuel (CPI) dispose que les licences obligatoires sont les licences octroyées par le juge notamment dans les cas suivants :

- Non-exploitation du brevet au bout de 3 ans.

- Lorsque le titulaire d'un brevet ne peut l'exploiter sans porter atteinte à un brevet antérieur dont un tiers est titulaire, le tribunal judiciaire peut lui accorder une licence d'exploitation du brevet antérieur dans la mesure nécessaire à l'exploitation du brevet dont il est titulaire et pour autant que cette invention constitue à l'égard du brevet antérieur un progrès technique important et présente un intérêt économique considérable. (Art L613-15 CPI).

Concernant la licence administrative d’office, elle est octroyée par les pouvoirs publics si l’intérêt de santé publique l’exige ! (L613-16 et R613-10 et s. CPI).

Cependant, les conditions d’octrois sont restrictives et imposent que la licence d’office soit exigée si l’approvisionnement des produits est insuffisant (en termes de quantité ou de qualité) ou à des prix anormalement élevés.

Pour conclure, la procédure pour la licence d’office est lourde et n’a d’ailleurs jamais été appliquée en France. Il conviendrait donc de trouver d’autres solutions pour libérer les vaccins de leurs brevets et accélérer la vaccination de la population.

1.4 Le transfert de technologie et la mobilisation des capacités de production

La France a pointé du doigt un autre sujet pour accélérer la vaccination : celui du transfert de technologie, et de la mobilisation des capacités de production. Cette mobilisation se ferait via des accords de licence et des transferts de technologies.

L’Organisation Mondiale de la santé (OMS) précise que le partage des connaissances et des données liées à la vaccination contre le coronavirus pourrait permettre l’utilisation immédiate de capacités de production inexploitées.

L’OMS préconise alors des licences non exclusives pour permettre à d’autres producteurs de fabriquer leur vaccin. Ce mécanisme n’est pas nouveau et avait été mis en place pour élargir l’accès aux traitements contre le VIH/Sida et l’hépatite C.

Dans la pratique, ces licences permettraient d’offrir aux développeurs « une plateforme pour le partage des connaissances, de la propriété intellectuelle et des données » comme le précise l’ONU dans son article intitulé « Vaccins anti-Covid » du 5 février 2021.

Cela permettra de partager les connaissances sur le vaccin et donc d’exploiter les capacités de productions disponibles et qui sont pour l’heure, inexploitées. Le Docteur Tedros ajoute sur ce sujet que « l’expansion de la production à l’échelle mondiale rendrait également les pays pauvres moins dépendants des dons des pays riches ».

1.5 Le revirement français sur la levée des brevets

En France, le discours tenu jusqu’à récemment était contre la levée des brevets et favorisait l’approche par les dons. A l’instar de l’Allemagne, le gouvernement plaidait pour une aide renforcée aux pays en développement, afin de les aider à accéder aux vaccins.

Le 5 mai 2021, le Président des Etats-Unis, Joe Biden, s’est montré favorable à la levée temporaire des brevets entourant les vaccins, et ce, pour pouvoir accélérer la production. Cette nouvelle est venue bouleverser les laboratoires pharmaceutiques, fervent détracteurs de cette solution qu’ils estiment dissuasive pour la recherche scientifique qui est très couteuse.

La question de la propriété intellectuelle sur les vaccins divise… la problématique est bien de fabriquer plus de vaccins. Pour cela, une levée des brevets est nécessaire mais pas suffisante à une vaccination mondiale et rapide.

Quant à la solution de procéder par « dons » en envoyant des vaccins aux pays en développement, si cela permet de desserrer le goulot d’étranglement, sur le long terme, cela ne fera qu’accroitre la dépendance de ces pays envers les pays développés.

Aurélie PUIG