L’activité spatiale contribuant au façonnage d’un droit de l’espace : l’exemple de l’ISS

Dans son éditorial du 23 avril 2021, Me Yves BISMUTH s’interrogeait déjà sur le Droit dans l’espace et l’évolution du droit et des systèmes judiciaires.

A cet effet, il soulignait que :

« Le vide sidéral ne pourra être, pour une évolution de l’humanité, un vide juridique »

Après avoir exploré ce vide sidéral, l’astronaute français Thomas PESQUET faisait pour la deuxième fois, son grand retour sur Terre le 12 novembre 2021, après avoir passé près de 199 jours dans la station spatiale internationale (ISS).

Pour reprendre ses mots, une « harmonieuse cohabitation » entre les astronautes présents et partageant des cultures et modes de vie différents, en sus « de règles bien précises », sont capitales et même primordiales dans l’ISS, dès lors qu’il demeure impossible de quitter ce vaisseau de 109 mètres de longueur et 73 mètres de largeur, orbitant à près de 400 kilomètres au-dessus de la terre et ce, sans s’égarer parmi les étoiles et le vide spatial.

Aussi, de quelle manière la station spatiale internationale a-t-elle participé au façonnage d’un droit de l’espace ?

Pour appréhender cette question, il convient au préalable de comprendre les origines et principes de ce droit spatial, que les Etats intègrent peu à peu dans leur législation (A) puis, de voir quelles règles applicables dans l’ISS contribuent au développement de ce droit de l’espace. (B).

Ces règles s’inscrivant dans le respect des principes généraux du Traité de l’espace seront-elles suffisantes pour faire face aux projets des acteurs privés ?

A. Sur les principes généraux du droit de l’espace et l’évolution des droits nationaux

Les Hommes ont toujours regardé les étoiles et ont toujours été fascinés devant l’immensité de l’espace et pour cause, l’idée de découvrir de nouvelles planètes, de reconsidérer les dimensions d’espace et de temps, ou de découvrir une forme de vie non-terrestre, contribue à une sorte de sacralisation de l’espace.

L’ère spatiale a ainsi débuté en 1957 avec « spoutnik-1 », célèbre engin soviétique et premier satellite à rentrer en orbite. Les progrès de la science et de la technologie spatiale permettront par la suite à l’Homme : de ramener des échantillons lunaires (1969), de construire une station spatiale internationale dans laquelle la connaissance humaine, l’expérience et le savoir seraient développés et partagés entre les hommes de science (1998), de poser un robot mobile sur mars (2021).

Or, toutes ces activités extra-atmosphériques posent de nouveaux enjeux juridiques et ont amené les Organisations Internationales et les États, à réfléchir sur un droit applicable dans l’espace.

Ces réflexions ont d’ailleurs fait l’objet de traités internationaux, de résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unies, de lois spatiales internationales, de codes de bonne conduite, et ont été intégrées dans le droit international général.

De ce droit de l’espace au contour encore flou de par sa complexité, se sont pourtant dégagés certains principes, lesquels ont été établis dans la Résolution des Nations Unies 1962 (XVIII) du 13 décembre 1963 et réitérés dans le premier traité de l’espace de 1967.

Aussi, l’article 1 dudit traité stipule que :

« L’exploration et l’utilisation de l’espace extra atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes, doivent se faire pour le bien et dans l’intérêt de tous les pays, quel que soit le stade de leur développement économique ou scientifique ; elles sont l’apanage de l’humanité tout entière. L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, peut être exploré et utilisé librement par tous les États sans aucune discrimination, dans des conditions d’égalité et conformément au droit international, toutes les régions des corps célestes devant être librement accessibles. Les recherches scientifiques sont libres dans l’espace extra atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, et les États doivent faciliter et encourager la coopération internationale dans ces recherches. »

Ainsi, se dégagent de cet article, les principes généraux de non-appropriation de l’espace, de patrimoine commun de l’humanité, de liberté d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique mais en sus de coopération internationale.

Il en résulte qu’un travail de transposition de ces principes doit se faire dans les législations nationales pour veiller à leur respect.

A cet effet et comme a pu l’exposer Me BISMUTH dans son éditorial du 23 avril 2021, Dubaï s’est doté d’un « Tribunal de l’espace » afin de gérer les litiges commerciaux et une loi française du 3 juin 2008 n°22008-518 relative aux opérations spatiales, s’est également inscrite dans la continuité du droit international et européen susmentionné.

En effet, cette loi vient encadrer les activités spatiales tout en prévoyant des sanctions applicables aux opérateurs spatiaux en cas de manquement à leurs obligations ou en cas de mise en danger des intérêts des accords français et internationaux.

A ce jour, d’autres projets de loi relatifs à la législation spatiale sont en cours, ce qui montre que ce droit se désacralise peu à peu.

En effet, l’exploration et l’utilisation de cet espace extra-atmosphérique sont majoritairement attribuées aux astronautes, lesquels doivent mettre en exergue les principes généraux prévus dans le traité de l’espace.

Ainsi, le respect desdits principes ne peut se faire que par une « coopération internationale » réglementée. Cette règlementation permettra ainsi de compléter et d’affiner les contours de ce droit de l’espace qui tend encore à se développer.

Les règles de droit internationales applicables dans l’ISS sont un bon exemple, dès lors qu’elles participent au développement de ce droit de l’espace.

B. L’activité spatiale contribuant au développement du droit de l’espace : l’exemple de l’ISS

En 2020, Scott KELLY, astronaute retraité de la Nasa affirmait au National Geographic :

« A bord de l’ISS, vous avez cette impression que nous sommes tous des citoyens de la planète et pas d’un pays en particulier. Nous faisons tous partie de cette chose que l’on appelle l’humanité ».

C’est, semble-t-il, dans cet esprit que le droit de l’espace s’est créé et tend aujourd’hui à se développer davantage.

En effet, force est de constater que la volonté de préserver cet espace commun et partagé, conduit les États et Organisations internationales à règlementer les activités spatiales tel qu’il l’a été développé précédemment.

D’ailleurs, pour certains scientifiques et chercheurs en politique de l’espace, l’ISS serait :

« Le meilleur exemple de coopération internationale de tous les temps »,

Et ce, eu égard aux divergences et clivages politiques qui animent les gouvernants. Aussi, l’accroissement de ces activités spatiales contribue au développement de ce droit spatial.

En effet, cette grande infrastructure a fait l’objet d’un Accord intergouvernemental (IGA), signé le 28 janvier 1998 par différentes puissances étatiques, lesquelles ont participé à la construction et mise en orbite de l’ISS.

Parmi les pays partenaires et signataires, l’on retrouve les États-Unis d’Amérique, la Russie, le Japon, le Canada et les 11 membres de l’agence spatiale européenne (ESA) à savoir l’Allemagne, la France, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Grande Bretagne, la Suède et la Suisse.

Ce traité définit ainsi les droits et les obligations desdits partenaires au regard de la conception des modules et de ses équipements, de l’utilisation des installations de l’ISS et de la gestion de la station.

Partant selon l’article VIII du traité, « chaque partenaire conserve sous sa juridiction et sous son contrôle, les éléments qu’il immatricule et les personnels dans ou sur la Station spatiale qui sont ses ressortissants ».

En effet, les différents modules installés sur l’ISS disposent chacun d’une immatriculation laquelle est rattachée à son pays d’origine, créant de facto « des frontières » dans la station spatiale internationale. Cette obligation d’immatriculation des modules provient d’ailleurs du traité de l’espace.

A titre d’exemple : si un astronaute français circule dans un module immatriculé au Japon le droit de ce pays lui sera applicable en cas de litige.

En revanche, il existe une complexité pour les modules européens, dès lors que l’ESA associe 11 pays, lesquels ont désigné cette Agence comme organisme en charge d’appliquer les immatriculations des modules pour leur compte.

Relativement aux modules venant de pays européens, et bien que les législations nationales européennes soit assez homogènes sur les principes fondamentaux, chaque pays signataire est libre de revendiquer l’application de sa législation.

En l’absence de jurisprudences existantes, les contentieux entre partenaires européens ne sont pas impossibles, bien que l’accord entre les partenaires prévoit un régime de responsabilité entre participants basé sur une renonciation à recours entre États.

Aussi, cette harmonieuse cohabitation semble rendue possible par la présence de règles spécifiques encadrant l’activité spatiale.

Enfin, ce qui à ce jour est accessible à une minorité d’hommes peut devenir, grâce aux progrès scientifiques, accessible à une majorité.

Les récents vols dans l’espace extra-atmosphérique des fusées VIRGIN et BLUE ORIGINE rendus possible par des puissances privées, montrent ainsi qu’un tourisme de l’espace doit être appréhendé et anticipé par des règles juridiques bien établies.

En outre, il semblerait qu’une société aux Etats-Unis travaille à ce jour sur une technologie capable d’exploiter une ressource spéciale présente sur le sol lunaire : le régolithe.

Or, il apparait que le procédé d’extraction qui serait utilisé et la commercialisation de ces biens extraterrestres soient en contradiction avec les principes généraux prévus dans Traité de l’espace de 1966.

Le tourisme et le commerce spatial voulus par les acteurs privés devanceront-ils le droit spatial ?

Force est de constater qu’avec ces nouvelles activités spatiales et ces nouveaux projets privés, les règles juridiques jusqu’alors utilisées et bien appliquées dans l’ISS ne soient pas suffisantes et devront être transposées, revisitées et étayées par les faiseurs de droit.

Aussi le Cabinet BISMUTH Avocats saura se montrer réceptif et vous tiendra régulièrement informé des nouvelles évolutions se rapportant au droit de l’espace.

Alicia COLLOT