« Amazon : Colis piégé ! »

Ordonnance du 14 avril 2020 du Président du Tribunal Judiciaire de Nanterre

Alors que les ventes en ligne atteignent des nombres record, la société américaine Amazon spécialiste du e-commerce profite de cet essor considérable au niveau mondial. Cette dernière allait jusqu’à annoncer en mars dernier l’augmentation du salaire horaire minimum de ses salariés dans le monde et l’embauche de cent-mille collaborateurs aux Etats-Unis pour faire face à la recrudescence d’activité provoquée par la crise sanitaire du nouveau Coronavirus.

Mais tandis que l’économie toute entière est dramatiquement affectée par les mesures de sécurité rendues nécessaires par l’expansion de l’épidémie, une telle croissance d’activité doit impérativement avoir pour corollaire la préservation de la santé des salariés.

Or c’est précisément là l’objet de la question portée par l’Union Syndicale Solidaire et l’Association les Amis de la Terre.

En effet, l’Union Syndicale Solidaire estimant que la société Amazon France avait méconnu ses obligations en matière de préservation de la sécurité de ses salariés, a saisi le Président du Tribunal Judicaire de Nantes afin que celui-ci ordonne la fermeture totale de ses six entrepôts français.

En effet, dès le début du mois d’Avril, la société Amazon France était mise en demeure, par la DIRRECTE d’avoir à mettre en œuvre toutes les mesures de prévention préconisées par le Ministère de la Santé afin de préserver la sécurité de ses salariés.

Des injonctions émanaient également de l’Inspection du Travail dans le même sens.

L’Union Syndicale considérait toutefois que la société Amazon France n’avait, d’une part, pas pris toutes les mesures nécessaires au respect de son obligation de sécurité y compris en ce que l’évaluation des risque n’avait pas été suffisamment étayée et, d’autre part, ne respectait pas l’interdiction prononcée de réunir plus de cent personnes en lieu confiné.

La société Amazon France faisait pour sa part valoir qu’un ensemble de mesures mises en œuvre au sein de ses établissements afin de garantir la sécurité de ses collaborateurs : organisation du travail, création d’équipes chargées du contrôle du respect des règles de sécurité et gestes barrières,… La décision rendue par le Président du Tribunal le 14 avril dernier s’avère plus nuancée constatant que la société Amazon France n’est pas restée passive face à la crise, que l’organisation du travail avait été « constamment modifiée », mais révélait toutefois des carences importantes. Ainsi, la société Amazon France, si elle n’a été pas contrainte d’avoir à cesser purement et simplement son activité, a été condamnée à réduire son activité aux stricts produits alimentaires, d’hygiène et médicaux, dans l’attente d’avoir à réaliser une évaluation des risques en collaboration avec les organes sociaux. Cette sanction a été assortie d’une astreinte considérable d’un million d’euros par jour de retard et par infraction constatée. L’ordonnance s’avère particulièrement éloquente sur l’obligation de prévention et de sécurité incombant à l’employeur dans le cadre de la crise sanitaire actuelle.

I/ L’édiction de principes

A travers cette Ordonnance, le Président du Tribunal, édicte deux principes majeurs :

1/ Tout d’abord : l’autorisation des rassemblements de plus de cent personnes dans l’entreprise. Si les dispositions du décret du 23 mars 2020 interdisent toute réunion ou activité de plus de cent personnes dans certains types d’établissements, le Président du Tribunal souligne que ce décret ne pose aucune limité à la liberté d’entreprendre. En conséquence, cette interdiction ne saurait s’appliquer au cas d’espèce.

2/ En second lieu, la décision rendue vient souligner un principe non moins important : le dialogue avec les organes sociaux. En effet, la société Amazon France avançait que des visites quotidiennes des sites pouvaient être réalisées à la demande des représentants du personnel et qu’un document d’évaluation des risques était régulièrement mis à jour à raison d’une fois par semaine au moins. Le Président du Tribunal, estime toutefois que ces mesures ne sont pas suffisantes et que l’évaluation des risques ne peut en aucun cas être réalisée sans le soutien des représentants du personnel et en particulier les Comités Sociaux et Economiques (CSE) de chaque site. Cependant, il convient de ne pas s’arrêter aux principes ci-dessus évoqués. L’on constate en effet au travers de l’Ordonnance rendue le 14 avril dernier que le Président du Tribunal n’a prononcé qu’une interdiction temporaire de fournir des produits non-nécessaires à la vie quotidienne. Il convient donc de s’interroger sur le devenir des entreprises commercialisant des produits non-nécessaires à la vie quotidienne aujourd’hui fermées pour peu que celles-ci mettent en œuvre toutes les mesures nécessaires à la sécurité de leurs salariés. En ce sens, l’Ordonnance du 14 avril dernier apporte de nombreuses précisions sur les différents points auxquels l’employeur doit accorder une vigilance toute particulière.

II/ Les précisions apportées sur les obligations de l’employeur

L’Ordonnance rendue établi par ailleurs une liste exhaustive des manquements de l’employeur : - L’insuffisance de sécurité liée à la gestion des entrées des sites où se regroupent de nombreux salariés au niveau de portiques tournants ;

- L’insuffisance des mesures prises pour pallier les risques inhérents à l’utilisation des vestiaires lesquelles avaient été réservés aux salariés utilisant les transports en commun ou se déplaçant en moto portant ainsi préjudices aux autres salariés lesquels étaient contraints d’entreposer leurs affaires personnelles les unes contre les autres sur des rambardes ;

- L’insuffisance liée à la mise en œuvre et la communication autour des protocoles de nettoyage ;

- L’absence de mesures prises pour remédier aux risques liés à la manipulation des colis alors même qu’un document interne reconnait l’existence du risque de persistance du virus sur les supports en carton ;

- Le non-respect des mesures de distanciation sociale préconisées ;

- L’insuffisance des actions de contrôle du respect des mesures barrières et des règles de sécurité et ce en dépit des équipes de contrôles qui avaient été mobilisées ;

- L’absence de mise en œuvre de mesures de sensibilisation à l’égard des salariés ;

- L’absence de mesures d’évaluation des risques psycho-sociaux induits par le risque épidémique et les réorganisations nécessaires ;

Il ne pourra qu’être constaté que l’Ordonnance se veut particulièrement détaillée et riche en informations concernant les mesures à mettre en œuvre et que la portée de cette décision sera rendue éminemment importante au regard non seulement du contexte mais également du caractère notoire de la défenderesse.

III/ Quelle portée pour cette ordonnance ?

Afin de comprendre les enjeux d’une telle décision il convient au préalable de porter un regard vers le montant de l’astreinte prononcée. En effet la condamnation sous astreinte à hauteur d’un million d’euros par jour de retard et par infraction constatée est extrêmement dissuasive et démontre l’importance que le Magistrat a entendu donner à sa décision. En effet, le cas d’Amazon France n’est pas isolé et la question de la sécurité des salariés se posera à de multiples reprises. La crise sanitaire a en effet contraint de nombreuses entreprises dont l’activité était nécessaire à la vie quotidienne à s’adapter, faire preuve de renouveau, parfois proposer un nouveau service de livraison à domicile, et ainsi de mettre en œuvre des mesures strictes de sécurité afin d’assurer la protection de leurs salariés. Concernant le cas particulier d’Amazon France, cette dernière a étendu les prescriptions du Tribunal en suspendant temporairement l’ensemble de l’activité de ses établissements.

Son Directeur Général, Frédéric DUVAL, a toutefois d’ores et déjà annoncé avoir interjeté appel de la décision rendue. Bien plus encore, celui-ci s’est engagé à poursuivre l’activité d’Amazon France à travers son réseau international et ses vendeurs externes. Il est donc à prévoir que la portée de la décision rendue in fine sera considérable et avec certitude appliquée à d’autres cas d’espèce.

Celle-ci sera sans nul doute constitutive d’un guide et d’une ligne directrice pour la reprise d’activité prévue le 11 mai prochain.