Panneau sens interdit compromettant l’accès à une propriété privée : comment revendiquer l’existence d’une servitude de passage ?

Cette question se pose lorsqu’une propriété privée est uniquement accessible depuis une section de voie interdite à la circulation publique, en raison de la présence d’un panneau de sens interdit. Un récent arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 17 décembre 2020 est venu y apporter plusieurs éléments de réponse.

Il est intéressant de connaître la configuration des lieux dans lesquels le litige a trouvé naissance, pour en comprendre ensuite les enjeux juridiques.

En l’espèce, la voie à l’extrémité de laquelle se situe la propriété litigieuse fait l’objet d’une signalisation d’interdiction à la circulation en direction de celle-ci.

Plus encore, cette signalisation est démunie de restriction au profit des riverains et ne comporte au demeurant aucune mention relative aux destinataires de l’interdiction (locataires, visiteurs).

Il était ainsi fait défense à tout véhicule d'emprunter cette voie dans le sens de la propriété enclavée, y compris pour son propriétaire lequel, bien que riverain, craignait ainsi d’être verbalisé étant donné que l’accès ne peut s’effectuer par une autre voie de largeur suffisante et accessible au public.

Il ne s’agissait donc pas d’une simple règlementation de l’accès, mais bien d’une prohibition pure et simple d’utilisation des véhicules indépendamment de la qualité de leurs conducteurs.

Considérant, de manière tout à fait légitime, que l’on doit être libre d’aller et venir de chez soi c’est-à-dire d’exercer le droit réel immobilier dont l’on est titulaire, le propriétaire de la parcelle enclavée a revendiqué devant les tribunaux l’existence d’une servitude de passage sur une parcelle appartenant à un autre riverain. En d’autres mots, le propriétaire a réclamé le droit de circuler sur la voie privée de son voisin pour ne pas avoir à emprunter le sens interdit.

Le cas échéant, cette servitude aurait été accordée par le propriétaire du fonds servants au profit du propriétaire du fonds dominant.

Ce dernier a en l’espèce obtenu gain de cause en appel, la Cour s’appuyant sur l’existence d’un panneau de sens interdit sans aucune restriction et l’absence de démonstration, par le riverain en défense, de l’inexistence de la décision administrative à l’origine de cette signalisation.

La Cour de cassation a relevé que la charge de la preuve avait été renversée à tort par les juges d’appel, en contradiction avec les règles d’administration de la preuve.

Elle rappelle au contraire que c’est au propriétaire qui revendique une servitude de passage de démontrer qu’aucune autre voie n’est disponible et non à la partie adverse de rapporter la preuve du contraire. En l’occurrence, il appartenait au propriétaire de la propriété enclavée de démontrer que son accès depuis la voie publique se heurtait à un obstacle insurmontable.

Cet obstacle peut être matériel lorsqu’il tient à la configuration des lieux, à la présence d’un mur ou d’arbres rendant la voie infranchissable, ou bien juridique lorsque son utilisation est prohibée par une décision administrative.

Il s’agira le plus souvent d’un arrêté municipal prévoyant, pour rendre l’interdiction visible et effective, l’apposition d’une signalisation d’interdiction en bordure de voie.

Ainsi, le propriétaire souhaitant revendiquer l’existence d’une servitude de passage au profit de son fonds enclavé sera tenu :

1/ De faire la démonstration de ses allégations, sans attendre que la preuve du contraire soit rapportée par la partie adverse le cas échéant ;

2/ En établissant à cette fin :

• L’existence de l’obstacle juridique empêchant l’accès à la propriété litigieuse, au moyen de la production de la décision administrative corrélative ;

• L’absence d’alternative à cet obstacle, en l’occurrence celle d’une autre voie praticable lui permettant de contourner le sens interdit.

L’objectif étant de matérialiser l’état d’enclave effectif du fonds.

Louise ROUSSELET