Le point de départ de la prescription à la consolidation du dommage, y compris en cas d’aggravation

Dans un arrêt du 1er juin 2016, n°382490, le Conseil d’Etat apporte une précision d’importance en matière de prescription de la réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale. En effet, la Haute juridiction administrative affirme que la consolidation de l’état de santé de la victime du dommage corporel correspond au point de départ de la prescription, et ce également en cas d’aggravation de son état de santé.

En l’espèce, un enfant âgé de treize mois reçoit une injection d’un vaccin antivariolique en mars 1964. Par la suite, il présente une méningo-encéphalite, qui engendre une surdité bilatérale, un retard de développement, ainsi que des troubles psychomoteurs sévères. Le 18 mai 2006, la mère, en son nom propre et au nom de sa en sa qualité de curatrice, saisit l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) d’une demande de prise en charge de leurs préjudices au titre de la solidarité nationale en application de l’article L. 3111-9 du Code de la santé publique. Sur la base de la date de consolidation de l’état de santé du fils, fixée par un rapport des experts de l’ONIAM au 11 février 1981, le directeur de l’ONIAM invoque la prescription quadriennale pour rejeter la demande de l’intéressée dans une décision du 6 janvier 2010.

Dès lors, le Tribunal administratif de Rennes est saisi par la mère pour l’annulation de cette décision et la condamnation de l’ONIAM en réparation des préjudices de son fils. Le Tribunal administratif, par un jugement du 6 février 2013, rejette la demande de la requérante. Puis, la Cour administrative d’appel de Nantes, par un arrêt du 3 juillet 2014, a renvoyé le pourvoi au Conseil d’Etat en vertu de l’article R. 351-2 du Code de justice administrative.

Dans ce présent arrêt, le Conseil d’Etat affirme tout d’abord une dualité du délai de prescription. - D’une part, le nouveau délai de prescription qui figure dans la nouvelle rédaction de l’article L. 1142-28 du Code de la santé publique par l’intervention de la loi Santé de 2016. En vertu de cette disposition, « les demandes formées devant l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (…) se prescrivent en dix ans à compter de la consolidation du dommage ». - D’autre part, la prescription de quatre ans prévue par la loi du 31 décembre 1968

La disposition de la nouvelle loi de 2016 s’applique lorsque « le délai de prescription n’était pas expiré à la date de la publication de la présente loi ». Néanmoins « lorsqu’aucune décision de justice irrévocable n’a été rendue, l’ONIAM applique le délai prévu au I aux demandes d’indemnisation présentées devant lui à compter du 1er janvier 2006 ». De cette manière, les juges concluent que le délai de prescription applicable à l’espèce n’est pas de quatre ans prévu par la loi de 1968, comme invoqué par le directeur de l’ONIAM, mais bien celui de dix ans, prévu par la nouvelle loi de 2016.

Ensuite le Conseil d’Etat rappelle que la consolidation de l’état de santé de la victime d’un dommage corporel est le point de départ du délai de prescription pour l’ensemble des préjudices directement liés au fait générateur. Toutefois les préjudices, à la date de ladite consolidation, doivent présenter, outre un lien direct avec le fait générateur, un caractère certain. Ceci, selon les juges du Conseil d’Etat, permettrait « de les évaluer et de les réparer, y compris pour l’avenir. ». Par ailleurs, la Haute juridiction administrative ajoute, dans cet arrêt du 1er juin 2016, que l’expiration de la prescription ne s’oppose pas à ce que la victime puisse obtenir réparation pour « des préjudices nouveaux résultant d’une aggravation directement liée au fait générateur du dommage et postérieure à la date de consolidation. ». Dès lors, il semblerait qu’à partir de l’aggravation de l’état de santé de la victime, si cette dernière est consolidée, elle fait courir un nouveau délai de prescription de l’action en réparation.

Dans ce présent arrêt, le Conseil d’Etat annule le jugement du Tribunal administratif de Rennes. Il fait suite à la jurisprudence constante en termes de détermination du point de départ de la prescription à la date de la consolidation, CE, 7 juillet 1997, n°143528, et ce pour tous les préjudices directement liés au fait générateur, y compris ceux subis à la suite d’une vaccination obligatoire, CE, 11 juillet 2012, n°345365. Cet arrêt du 1er juin marque une certaine dichotomie de l’action en réparation du préjudice, entre d’une part, la consolidation des « premiers préjudices » et d’autre part, celle des nouveaux préjudices résultant d’une aggravation. Cette solution, largement favorable aux victimes, se justifie particulièrement lorsque leurs préjudices résultent de faits tels que les vaccinations obligatoires.