Le costume sur-mesure de l’avocat

Les avocats « revêtent, dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession ».

Il n’est pas ici question de porter le costume de leur propre personne, et pour cause.

Le port de la robe d’avocat matérialise le passage de la sphère privée au monde professionnel au sein duquel les avocats endossent la mission de représenter les justiciables et de défendre leurs intérêts.

Loin d’être un simple symbole de prestige, le costume dans lequel se glisse l’avocat lorsqu’il franchit les portes du tribunal est l’une des modalités essentielles de l’exercice de la profession dont les 5 piliers sont la dignité, la conscience, l’indépendance, la probité et l’humanité.

Or, l’indépendance de l’avocat suppose la neutralité dans l’expression de son opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique.

L’uniformité du costume entre avocats y joue alors un rôle crucial.

Mais à mesure que l’on y adjoint des accessoires, et en particulier des signes rappelant l’appartenance à une certaine religion, l’égalité entre avocats et partant, entre justiciables, s’en trouve altérée.

C’est le danger qu’a entendu contenir le Conseil de l’ordre des avocats du Barreau de Lille par le biais de son règlement intérieur.

Depuis sa délibération du 24 juin 2019, celui-ci proscrit le port, avec la robe, de décoration ou de signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique.

Cette délibération a fait l’objet d’un recours à l’initiative d’une élève-avocate et d’un avocat revendiquant le droit de porter le voile en audience.

Le 2 mars dernier, la Cour de cassation saisie de cette affaire a considéré que l’interdiction incarnée par cette délibération était hors de toute discrimination, adéquate et proportionnée à l’objectif recherché, à savoir la protection de l’indépendance de l’avocat et le maintien du droit à un procès équitable.

La Haute Cour a tenu à rappeler qu’en qualité d’auxiliaires de justice, les avocats concouraient au service public de la justice dont le fonctionnement, à l’instar de tout autre service public, est organisé autour des principes de continuité, d’égalité et de mutabilité.

Pour que l’égalité soit effective, aucune distinction ne doit être faite entre usagers quant à l’accès au service public comme au service rendu lui-même.

Appliqué à la justice, l’égalité exclue le traitement différencié.

Dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle que l’égalité entre justiciables est intrinsèquement liée à celle des avocats auxquels ils confient leur défense : « revêtir un costume uniforme contribue à assurer l’égalité des avocats et, à travers celle-ci, l’égalité des justiciables, élément constitutif du droit au procès équitable. »

Dès lors en effet qu’il porte la parole de son client et qu’il en incarne en quelle que sorte la personne, l’avocat « se doit d’effacer ce qui lui est personnel. »

C’est en partant de ce constat que la Cour de cassation a choisi de favoriser le droit au procès équitable de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme sur les propres libertés individuelles des avocats.

Nous comprenons ainsi qu’indépendance et liberté d’exercice ne vont pas toujours de pair lorsque des droits fondamentaux sont en jeu.

Tout à la fois révélateur ou neutralisateur d’opinion, le costume de l’avocat n’a rien d’obsolète et doit continuer d’honorer la profession comme rempart contre les inégalités pouvant œuvrer jusqu’à la barre.

Il convient néanmoins de garder à l’esprit que la règlementation interne est propre à chaque Ordre des avocats et qu’en l’absence d’interdiction…

Doit-on alors en déduire de fait que la faculté offerte aux avocats de porter des signes ostensibles a été élevée au rang de principe, l’interdiction rétrogradée en exception.

Il serait alors singulier de constater que la neutralité ne procède plus de l’existence-même du service public de la justice au sein duquel les avocats opèrent, mais d’un choix délibéré de leur Ordre.

Curieuse inversion des rôles !

Les Avocats se verraient-il alors dotés du pouvoir d’être les auxiliaires de justice pour l’aider à retrouver ses propres fondamentaux ?

Louise ROUSSELET