Pertes d'exploitation des restaurateurs : première condamnation d'Axa en Cour d'appel

Manifestement, Axa n'est pas dans son assiette. Alors que les Tribunaux de première instance peinent à s'accorder pleinement, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence est la première à se prononcer sur l'indemnisation sollicitée par les restaurateurs à la suite des pertes d'exploitation subies par leurs établissements au cours des différentes fermetures administratives liées à la crise sanitaire.

Et c'est sans équivoque qu'elle se prononce en faveur du restaurateur lésé.

En effet, le 25 février 2021, la Cour d'appel a rendu un arrêt au raisonnement particulièrement détaillé concernant la clause d'indemnisation prévue aux contrats souscrits auprès de la compagne d'assurance Axa.

1/ Rappel des faits

Rappelons en effet que nombres de restaurateurs ayant souscrit des contrats d'assurance multirisque professionnels auprès de la compagnie Axa se sont retournés contre elle après s'être vus opposé un refus de prise en charge de leurs pertes d'exploitation résultant des fermetures administratives successives liées à la crise sanitaire. Afin de motiver ce refus, la compagnie Axa oppose un raisonnement intégralement fondé sur la rédaction de la clause d'indemnisation des pertes d'exploitation et de la clause d'exclusion afférente. En l'espèce, le contrat souscrit, à l'instar des autres contrats de même nature proposés par cette compagnie, contient une clause rédigée en ces termes :

« La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :

1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même

2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication.

Durée et limites de la garantie :

La garantie intervient pendant la période d'indemnisation, c'est-à-dire la période commençant le jour du sinistre et qui dure tant que les résultats de l'établissement sont affectés par ledit sinistre, dans la limite de trois mois maximum. Le montant de la garantie est limité à 300 fois l'indice. L'assuré conservera à sa charge une franchise de 3 jours ouvrés ». Au regard de cette rédaction, tout laissait à croire que la prise en charge des pertes d'exploitation subies par le restaurateur concerné devaient être prises en charge par son assureur. C'était toutefois sans compter sur la clause d'exclusion rédigée en ces termes : « Sont exclues les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ». C'est précisément la clause dont usera la compagnie Axa pour justifier l'ensemble des refus de prise en charge auprès de ses assurés. La compagnie AXA refusait ainsi d'indemniser son assuré au motif pris que la décision administrative avait forcé à la fermeture non seulement son établissement mais également l'ensemble des établissements du territoire.

2/ Eclaircissements apportés par la Cour d'appel

Tout d'abord la Cour d'appel prend soin de nous livrer une définition pour le moins intéressante de l'épidémie, ce dont se gardait bien le contrat d'assurance qui lui était soumis. La Cour précise donc qu'il y a lieu de considérer qu'une épidémie est le résultat du « développement et de la propagation rapide d'une maladie contagieuse dans une population, cette population peut être celle d'un lieu limité, mais aussi d'un village, d'une ville, d'une région, d'un ou de plusieurs pays ». Sur cette base, la Cour effectue didactiquement un rappel des textes applicables dans le cas présent. Elle rappelle ainsi qu'au regard des articles 1170 et 1171 alinéa Zef du Code Civil dans leur rédaction en vigueur depuis le 1er octobre 2016 que doivent être réputées non écrites toutes les clauses qui ont pour effet de vider de leur substance les obligations essentielles prévues au contrat et qu'il en va de même pour toutes les clauses déterminées à l'avance ayant pour conséquence de créer un déséquilibre entre les parties. La Cour parfait son raisonnement en rappelant qu'en matière de contrat, il convient de privilégier l'interprétation en faveur du débiteur.

Sur cette base, la Cour retient que l'exclusion de garantie sur laquelle repose le refus d'Axa doit être réputée non écrite en ce sens qu'elle visait à vider de sa substance l'obligation principale d'indemnisation des pertes d'exploitation.

Elle a ainsi confirmé la provision attribuée en première instance au restaurateur, à savoir un somme de 23.000€, ainsi que les mesures d'expertise ordonnées.

Une décision à laquelle elle a entendu donner une portée résonnante puisqu'elle a pris soin non seulement de préciser que les mesures d'expertises devraient être réalisées sous astreinte mais également de condamner la compagnie d'assurance au paiement de la somme inhabituelle de 7.000€ au titre des frais de procédure engagés (art. 700 CPC).

Mais la Cour de ne s'arrête pas là, et prend également acte des nouvelles périodes de fermeture administrative dont l'établissement assuré a fait l'objet dans l'intervalle, étendant la mission d'expertise prononcée à ces périodes et accordant au restaurateur le bénéfice d'une provision complémentaire à hauteur de 27.000€. Arrêtons-nous également sur deux précisions apportées par la Cour qui ne laissent nul doute sur ses intentions. La Cour souligne dans un premier temps, que la compagnie Axa a elle-même proposé à son assurée, à l'issue de la procédure de première instance, la régularisation d'un nouvel avenant apportant une définition plus précise des notions de pandémie et d'épidémie et excluant les garanties de perte d'exploitation en découlant, contribuant par là-même à souligner le manque évident de clarté de sa clause initiale. Elle souligne enfin que la Compagnie Axa se garde bien de justifier d'un seul cas dans lequel elle aurait procédé à l'indemnisation de l'un de ses assurés.

On conçoit en effet assez mal comment une épidémie aurait pu ne contraindre à la fermeture qu'un unique établissement sur l'ensemble du territoire.

Il s'agit donc d'une décision aux enjeux forts si l'on prend en compte le fait que ce sont près de 15.000 restaurateurs qui bénéficient d'un contrat similaire.

La Compagnie Axa s'est pour sa part contentée d'indiquer par un communiqué de presse du même jour prendre acte de la décision rendue et étudier attentivement les motivations développées par la Cour rappelant qu'elle s'est engagé à soutenir autant qu'il est possible ses clients à travers de nombreuses actions depuis près d'un an.

Il demeure encore que la Compagnie Axa pourrait envisager de saisir la Cour de Cassation de cette décision et qu'en tout état de cause de nombreuses décisions restent encore à venir sur le sujet.

Elise PERONO