Séparation des parents et résidence alternée :

dans quelles mesures le recours à ce mode de résidence doit-il devenir une règle ?

Afin de garantir des droits égaux aux enfants, quel que soit le statut de leurs parents, la loi n°2002-205 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale a consacré la notion de résidence alternée dans le Code civil : « La résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un deux » (l’article 379-2-9 de ce code).

Quels sont les chiffres de la mise en application de cette règle ? En 2020, seuls 12% des enfants de parents séparés vivaient en résidence alternée, alors que ce chiffre atteignait 40% chez certains pays voisins de la France (Enquête de l’INSEE, parue le 3 mars 2021).

En réaction à ce constat, deux propositions de lois visant à consacrer une présomption légale de résidence alternée ont été faites en 2021 (Propositions de loi n° 3852 du 9 février 2021 et n° 4557 du 12 octobre 2021).

Si celles-ci n’ont pas abouti, il nous paraît intéressant de questionner l’intérêt et les limites que pourrait comporter l’adoption d’une telle présomption.

A première vue, la présomption de résidence alternée s’inscrirait dans l’esprit du principe de coparentalité, consacré par l’article 18 de la Convention relative aux droits de l’enfant, comme le principe « selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement ».

En outre, une telle présomption pourrait contribuer à réduire l’instrumentalisation des enfants au moment de la séparation des parents.

En effet, bien souvent, les parents refusent la mise en place d’une résidence alternée en raison d’un conflit trop important entre eux qui rend impossible le dialogue, pourtant nécessaire à la bonne organisation de cette garde alternée.

Or, le but même de la garde alternée, comme le rappelait le tribunal de grande instance de Pontoise en 2008, devrait être « d’inciter les parents à s’entendre dans l’intérêt de leur enfant […] leur faire prendre conscience de la nécessité de reconnaître la place de l’autre auprès de leur enfant » (TGI Pontoise, ord., 28 fév févr. 2008, n° 06-07776).

Il est également important de souligner que cette présomption ne pourrait, en aucun cas, faire obstacle au contrôle par le juge de l’intérêt de la mise en place d’une résidence alternée.

A cet égard, l’article 388-1 du Code civil dispose : « Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut […] être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet ».

En vertu de cet article, le juge peut évaluer les éventuelles difficultés que pourrait susciter la mise en œuvre d’une résidence alternée, avant de la prononcer. Les difficultés rencontrées peuvent par exemple concerner l’éloignement entre les domiciles des parents, le lieu de scolarisation des enfants ou la contrainte d’un hébergement adapté.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a par ailleurs rappelé, dans sa résolution n° 2079 du 2 octobre 2015, que la présomption de résidence alternée ne devait pas empêcher le juge de considérer les possibles cas d’abus, de négligences et de violences domestiques.

Aussi, s’il estime qu’un des parents représente un danger pour l’enfant, la présomption de résidence alternée n’empêchera aucunement le juge d’établir la résidence de l’enfant au domicile de l’autre parent.

A la lumière de ces éléments, force est de constater qu’en matière de résidence alternée, l’intérêt de l’enfant est placé au cœur de la motivation des juges.

L’article 372-2-6 du Code civil, en son premier alinéa, dispose d’ailleurs que : « Le juge du tribunal judiciaire délégué aux affaires familiales règle les questions qui lui sont soumises […] en veillant spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs ».

Il revient donc aux juges, lorsqu’ils prononcent une décision concernant la résidence de l’enfant, de concilier in concreto, des intérêts contradictoires, à savoir la stabilité des repères de l’enfant (en lui évitant notamment la fatigue liée à la double domiciliation) et la possibilité d’être élevé par ses deux parents pour bénéficier d’apports éducatifs complémentaires.

Cependant, des différences d’appréciation demeurent entre les juges du fond. Cela s’explique notamment par le fait que la Cour de cassation laisse à leur appréciation souveraine la notion de l’intérêt de l’enfant.

De plus, statuer sur la résidence de l’enfant lors de la séparation de ses parents suppose de faire appel non seulement à des considérations juridiques, mais aussi à une dimension sociologique et même psychologique. C’est pourquoi de telles décisions font nécessairement appel à la subjectivité du juge.

Afin de réduire cette part de subjectivité, plusieurs solutions ont été envisagées par la doctrine. Il serait par exemple intéressant de développer la collégialité des décisions en première instance, afin de ne pas figer des situations qu’il est difficile de remettre en cause en appel.

Enfin, l’une des solutions proposées serait de modifier l’article 373-2-9 du Code civil, afin de faire expressément de la résidence alternée une modalité de résidence privilégiée de l’enfant. Cette solution a d’ailleurs été adoptée dans le Code civil belge, qui pose, depuis 2006, une présomption de résidence alternée de l’enfant en cas de séparation de ses parents.

Une telle présomption pourrait ainsi permettre au « couple parental » de survivre au « couple conjugal ».

Cécile CREVANT