Comment régir ses relations commerciales établies en période de crise sanitaire?

La crise sanitaire est venue fragiliser la relation commerciale avec vos partenaires commerciaux. Il est donc indispensable de connaître les règles relatives à la rupture des relations commerciales établies (préavis légal, force majeure, imprévision…), ainsi que les bonnes pratiques pour vos nouveaux contrats ou leur renégociation. Quoiqu’en pensent d’aucuns, les mesures contraignantes adoptées par le Gouvernement afin de lutter contre la propagation du virus et les conséquences économiques en résultant ont frappé de plein fouet les relations commerciales établies entre les partenaires commerciaux dans différents secteurs d’activité.

Comme cela avait été abordé dans nos précédents articles sur le thème de la force majeure, la particularité de cette crise tient à la soudaineté de son apparition. En outre, malgré un certain nombre de mesures à destination des entreprises impactées et le processus accéléré de vaccination, la crise sanitaire et économique semble, aujourd’hui, s'inscrire dans la durée avec son lot d'incertitudes qui perdurent en raison du maintien des mesures restrictives gouvernementales.

Avant même la crise que nous traversons, les ruptures brutales de relations commerciales suscitaient un vif débat contentieux. L’initiative de rompre une relation commerciale établie comportait déjà une part non négligeable de risque juridique et financier. En effet, après avoir caractérisé la brutalité de la rupture, ces contentieux s’accompagnaient souvent de contingences importantes concernant le montant de la compensation de la victime, qui dépendait à la fois de la durée du préavis et de la marge qui aurait été réalisée pendant ce préavis.

En période de crise sanitaire de la Covid-19, le risque de rupture des relations commerciales établies est-il similaire ?

Toute relation commerciale doit être considérée comme établie dès lors qu'elle présente un degré de stabilité et de régularité, et ce, quelle que soit sa forme : un ou plusieurs contrats successifs mais également la succession d'exécutions de commandes.

Une fois établie, sa cessation doit s'opérer en respectant un délai de préavis suffisant tenant compte de la durée de ladite relation. A défaut, la victime de la rupture dite “ brutale ” est fondée à engager la responsabilité de son partenaire auteur de la rupture (article L. 442-1, II du Code de commerce). Chaque année, plus de trois cents jugements au fonds se rapportaient à l’article L.442-1-II du Code de commerce (anciennement L.442-6-I-5°) relatif aux ruptures brutales et en particulier sur l’appréciation de la durée du préavis. L’application de l’ancien article L.442-6 ayant pu conduire à certaines dérives, le législateur a plafonné la durée du préavis en cas de litige. Le nouvel article L.442-1, issu de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, prévoit en effet que la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut pas être engagée en raison d'une durée insuffisante de préavis dès lors qu'un préavis de dix-huit mois a été respecté. Cette réforme avait pour ambition notamment de réduire les litiges en matière de rupture des relations commerciales établies, et désengorger ainsi les juridictions.

Il importe de rappeler que les dispositions de l’article du code de commerce n’a pas vocation à sanctionner la rupture proprement dite. En effet, même si elle n’apparaît pas clairement dans le Code civil, la liberté contractuelle constitue le principe fondateur du droit des contrats. Essentielle au bon développement des relations économiques, et plus largement à l’épanouissement des personnes, elle implique la liberté de contracter ou de ne pas contracter, mais également la liberté de choisir son cocontractant et de déterminer librement le contenu de l’accord dans le respect des règles impératives. Ainsi, ce principe permet de présumer du libre choix que chacun dispose, tant au stade de la formation, qu’au stade de l’exécution et de la rupture du contrat. Ainsi, en vertu de l’article L.442-1-II du Code de commerce seule la rupture abusive ou brutale, lourde de conséquences, est sanctionnée.

Cette règle d'ordre public tend, ainsi, à garantir aux partenaires commerciaux une certaine prévisibilité et il ne saurait y être dérogé même en période de crise sanitaire. En d’autres termes, la crise sanitaire ne constitue par une dérogation en matière de respect d’un préavis suffisant. Au demeurant, si la brutalité de la rupture est retenue, le préjudice de la victime sera déterminé en fonction de la marge perdue pendant la durée du préavis non respecté. La jurisprudence a évolué s’agissant de la nature des charges à considérer pour calculer cette marge perdue. Dans une décision rendue le 28 juin 2017, la Cour d’appel de Paris (RG 14/26044) a rappelé que l’appréciation de la marge perdue doit se faire in concreto, tout en précisant que « la référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture ». Cette approche, plus juste économiquement, nécessite en tout état de cause une analyse ad hoc des charges supportées par la victime. En effet, la variabilité des charges dépend de nombreux facteurs, comme l’horizon temporel considéré, le volume d’activité perdu, ou l’organisation de l’entreprise.

Mais qu’en est-il du partenaire commercial victime de la crise sanitaire se trouvant dans l’incapacité de respecter un préavis suffisant : devra-t-il voir sa responsabilité engagée ?

Cette question qui est sur toutes les lèvres, trouve une réponse dans la jurisprudence. Il a été jugé à de nombreuses reprises qu'une baisse de volumes d'achats ou de commandes pouvait être considérée comme une “ rupture partielle ” des relations commerciales, et susceptible d'engager la responsabilité de son auteur vis-à-vis de son partenaire. A titre d’exemple, seule «une réduction substantielle et sensible du volume d'affaires, peut être considérée comme une rupture » (CA Paris 5 janvier 2017 n°15/032234). Néanmoins, la jurisprudence est venue nuancer ce principe de responsabilité lorsqu'il apparaît que : « la conjoncture économique n'est de nature à exonérer de sa responsabilité l'auteur de la rupture brutale d'une relation commerciale établie qu'à condition qu'elle soit constitutive d'un cas de force majeure » et « la conjoncture économique n'est de nature à exonérer de sa responsabilité l'auteur de la rupture brutale qu'à condition d'être accompagnée de circonstances de nature à établir que cette rupture n'a pas été délibérée, telles la volonté affichée de poursuivre la relation ou bien la modification par le cocontractant de l'économie de la convention ».

Le principe de la responsabilité peut donc être atténuée si la rupture brutale résulte de “ circonstances extérieures comme cela a déjà été accepté lors de la crise financière de 2008 où il a été jugé que la rupture sans préavis n'était pas imputable à la société, « laquelle justifiait d'une diminution significative de son activité […] consécutive à la crise économique et financière de 2008 » (Cour de Cassation, Chambre Commerciale, 6 février 2019, n° 17-23361).

Cela étant, si cette solution pourrait être retenue dans le cas d'une crise sanitaire, cela ne constituerait pas un motif légitime automatique de rupture. Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter à l’arrêt précité où les juges ont observé que « la société Icade justifiait d'une diminution significative de son activité de promotion immobilière durant la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2009, consécutive à la crise économique et financière de 2008 ».

Dès lors, l'auteur de la rupture totale ou partielle sans ou avec un faible préavis doit être en mesure de justifier l'impact direct de la crise sur son activité ainsi que sa corrélation avec ladite baisse ou rupture avec un faible préavis.

Quelles sont les possibilités permettant de maîtriser les conséquences de la crise sanitaire non anticipable de la Covid-19 sur les relations commerciales établies ?

Lorsque le contrat est silencieux ou à défaut de contrat, il faut déterminer si l’auteur de la rupture peut invoquer certaines dispositions du Code civil, notamment :

- La force majeure (article 1218 du Code civil), est devenue envisageable pour la partie empêchée d'exécuter ses obligations d'invoquer les conséquences de l'épidémie pour s'exonérer de sa responsabilité à l'égard de son cocontractant. A ce sujet je vous invite à vous reporter à notre article suite à l’Ordonnance de Référé du 20 mai 2020 rendu par le Tribunal de commerce de PARIS « Covid-19 : Admission de l'exception de force majeure du fait d’un bouleversement des conditions économiques antérieures ayant entrainé des pertes significatives » (voir notre H14 publiée le 17 juillet 2020).

- L'imprévision (article 1195 du Code civil), si le contrat est postérieur à la réforme du droit des contrats de 2016, pourra également permettre aux partenaires commerciaux de solliciter une renégociation du contrat dans l'hypothèse où le changement de circonstances liées à la crise sanitaire serait de nature à rendre l'exécution du contrat excessivement onéreuse.

- L'exception d'inexécution (art.1220), permettant de préserver les intérêts de la partie devant faire face à l'inexécution de son cocontractant.

Si ces exceptions d’inexécution ne sont pas applicables, il est recommandé de se rapprocher de son partenaire pour trouver un accord et négocier un préavis raisonnable, et ce d’autant à l’aune des décisions récemment rendues où l’on constate que les magistrats observent le comportement des parties pour rendre leurs décisions.

Il n’en demeure pas moins que le contrat constitue généralement un outil pour anticiper les risques de litiges et gérer les situations créées par une crise économique voire sanitaire. Aussi, il incombe aux futures partenaires commerciaux de veiller à la rédaction de leur contrat de manière à prévenir le risque de litige lié à une rupture de la relation contractuelle existante en raison des conséquences économiques générées par une crise sanitaire ou économique. Aujourd’hui, en l’absence de telles dispositions, la renégociation des contrats devient une solution plus qu’actuelle pour procéder à un aménagement immédiat de votre contrat.

La crise santaire est venue bouleverser les conditions contractuelles qui s’imposent aux différentes parties d’un contrat : la renégociation de son contrat est-elle nécessaire ?

La crise sanitaire que nous traversons vient nous alerter sur la nécessité de privilégier la renégocation de nos contrats, en particulier si les contrats sont complexes et que la partenaire commercial est stratégique. Et ce d’autant que depuis la réforme du droit des obligations en date du 1er octobre 2016, le Code civil, en son article 1195, permet la renégociation ou la révision du contrat en cas d’imprévision. Désormais, les parties sont soumises, de manière supplétive, à un devoir de renégociation en cas de changement de circonstances, si ce changement est imprévisible lors de la conclusion du contrat et rend l’exécution excessivement onéreuse. La renégociation du contrat ne doit pas être abordée comme une solution hostile mais comme une opportunité d’aménager les clauses pour un développement à venir différent et pour trouver une nouvelle dynamique commune. La renégociation implique d’identifier les besoins de chacune des parties pour ensuite cibler l’alternative qui préservera au mieux les intérêts respectifs des cocontractants.

Aussi, pour renégocier son contrat, il est recommandé de se faire assister par un professionnel du droit pour encadrer et optimiser la mise en application du nouveau contrat.

En cas d’échec de la renégociation, qui peut parfois générer des tensions, il convient de privilégier les modes alternatifs de règlement des litiges, telle que la médiation pour vous permettre de trouver une solution amiable et, si possible, équilibrée. Dans un second temps, si la médiation n’aboutit pas, les parties peuvent choisir de rompre le contrat, ou trouver un accord pour s’en remettre au juge, qui procédera à l’adaptation ou mettra fin au contrat.

Sandra NICOLET