ACTUALITE DES MARCHES PUBLICS : Décret du 25 mars 2016, n°2016-360 relatif aux marchés publics

Le décret d’application de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics a été publié au Journal Officiel le 27 mars 2016 avec celui relatif aux marchés de défense ou de sécurité (n° 2016-361). Cette publication était très attendue du fait de l’entrée en vigueur de la réforme prévue pour le 1er avril 2016. Cette réforme modifie le droit de la commande publique en y incorporant par la même occasion le droit européen. En effet l’ordonnance n°2015-899 intègre la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics. La France devrait donc avoir transposée la directive dans le temps impartie par l’Union Européenne (le 18 avril 2016). Une divergence avec le texte de la directive est néanmoins à signaler, s’agissant des marchés relatifs à la représentation en justice par avocat qui est admise en France alors que la directive excluait une telle prestation des marchés. Cette différence n’est cependant pas incompatible avec le droit de l’Union d’après le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, 9 mars 2016, n°393589). Du fait de la brièveté entre la publication du décret et l’entrée en vigueur de la réforme, les acteurs peuvent se trouver en proie aux doutes quant à leur capacité à appréhender les nouveautés de l’ordonnance. A l’occasion de la session d’études de l’association pour l’achat dans le service public, le 22 mars 2016, la direction des affaires juridique du ministère de l’économie (DAJ) s’y est rendue dans le but de rassurer les acheteurs et de leur assurer un accompagnement jusqu’à la maîtrise de la réforme à venir. La publication du décret d’application est l’occasion de parcourir les apports de la réforme influençant le plus les acteurs de la commande publique. 1. L’application de l’ordonnance Moins d’une semaine après la parution du décret, le nouveau régime du droit des marchés publics sera entré en vigueur soit le 1er avril 2016. La réforme est directement applicable aux marchés pour lesquels une consultation est engagée ou un avis de publicité envoyé à la publication à compter du 1er avril 2016 Les marchés passés sur le fondement d'un accord-cadre ou dans le cadre d'un système d'acquisition dynamique ne sont pas concernés dès lors que la procédure pour la passation de l'accord-cadre ou du SAD sur lequel ils reposent a été engagée avant le 1er avril. Plusieurs textes d’application sont encore attendus afin que l’ordonnance puisse entièrement s’appliquer, notamment la liste des services sociaux qui bénéficieront d'un régime allégé. 2. Précisions du décret concernant la formation des marchés L’ordonnance prévoit plusieurs modifications importantes ainsi que des précisions sur la formation du contrat de marché. Les critères d’attribution L’article 62 du décret n°2016-360 prévoit les critères sur lesquels repose l’attribution d’un marché. Parmi ces critères ont notamment été rajoutés : la qualité, la valeur technique, les caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles, l'accessibilité, l'apprentissage, la diversité, les conditions de production et de commercialisation, la garantie de la rémunération équitable des producteurs, le caractère innovant, la biodiversité, le bien-être animal (article 62). « Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché public ou à ses conditions d'exécution au sens de l'article 38 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux » Le délai de réception des offres et candidatures (article 43 du décret n°2016-360) En matière d’appel d’offre ouvert, le décret prévoit une réduction du délai minimal de réception des candidatures, ce denier passant effectivement de 52 à 35 jours (article 67 du décret). L’annonce de la diminution des délais a entrainé la crainte des acteurs de la commande publique. Concernant les candidats, ces derniers ont pu exprimer leurs craintes de ne pas avoir le temps nécessaire à la production d’une offre pleinement qualitative. Les acheteurs ont de leur côté avoué craindre que leurs soient proposées des offres insuffisamment abouties. La DAJ est venue rassurée acheteurs et candidats sur ce point en expliquant aux acheteurs que cette réduction du délai est écartée en matière de procédure négociée. L’acheteur peut donc prévoir un délai supérieur. La nécessité d’une évaluation préalable L’article 24 du décret prévoit le niveau du seuil à partir duquel la procédure doit être précédée d’une évaluation, ce seuil est de 100 millions d’euros hors taxes. « Pour le calcul du seuil fixé à l'alinéa précédent, le montant d'investissement à prendre en compte est constitué de l'ensemble des dépenses effectuées par l'acheteur pour la réalisation du projet ». La nécessité d’un contrat écrit L’article 15 du décret prévoit que l’écrit est exigé pour les marchés dont la valeur est supérieure ou égale à 25.000 euros. 3. De nouveaux outils L’ordonnance prévoit un certain nombre de mesures permettant à l’acheteur de bénéficier d’une plus grande liberté en vue de la conclusion des marchés publics. L’adaptation aux réalités pratiques, la négociation La mise en place d’une pratique plus proche des procédés utilisés en matière de marché privé est prévue à l’article 4 du décret n°2016-360. Il s’agit du « sourcing » dont l’objectif est la meilleure adaptation des marchés publics aux réalités. Cette pratique se fera sous la dénomination études et échanges préalables avec des opérateurs économiques, il s’agit en réalité d’autoriser le recours à la négociation. Cette possibilité permettra en principe de limiter les procédures infructueuses. L’ouverture des données des marchés publics va permettre également aux acteurs de mieux évaluer le poids économique de leur commande toujours dans un but d’efficience (articles 107 et suivants du décret). La possibilité de régulariser l’offre Cette possibilité est issue de l’article 59 du décret n°2016-360. L’annonce de cette mesure a suscité de nombreuses interrogations et réticences des acheteurs, la DAJ a précisé plusieurs points. D’abord que cette régularisation était facultative, puis, que dans le cas d’une régularisation d’un soumissionnaire tous les candidats devront en être avertis. Afin de clarifier la situation concernant l’interprétation de l’irrégularité l’article 59 du décret en précise la définition. La modification du contrat de marché Concernant la possibilité de modifier les contrats, l’ordonnance reprend les souplesses prévues dans la directive européenne. Cette modification est prévue aux articles 139 et suivants du décret. Selon les représentants de l’association pour l’achat dans les services public cela pourrait aboutir à la fin des avenants. Car en effet afin de faciliter la modification de ces contrats une clause de réexamen pourra être introduite de manière à anticiper et prévoir les futures modifications du contrat. Une procédure sans publicité L’article 30 du décret n°2016-360 permet de mettre en place une procédure sans publicité dans plusieurs cas énumérés dans l’article, dix cas sont expressément envisagés). Notamment en cas d’urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles pour l'acheteur et n'étant pas de son fait ne permet pas de respecter les délais minimaux exigés par les procédures formalisées. Inversion des études entre l’offre et la candidature : en cas d’appel d’offre ouvert L’article 68 du décret n°2016-360 prévoit que l’acheteur aura la possibilité d’Inverser l’examen des candidatures et de l’offre. Il pourra se faisant, commencer par étudier l’offre afin de ne contrôler que la candidature du soumissionnaire en tête de classement. 4. Responsabilisation de l’acheteur Si l’ordonnance prévoit un éventail d’outils plus large au bénéfice de l’acheteur, cette liberté est encadrée afin qu’elle n’entraine pas de rupture de concurrence, notamment en matière de « sourcing ». La prise en compte des enjeux environnementaux (article 62 du décret) L’ordonnance réaffirme que les marchés publics doivent prendre en compte l’objectif de développement durable dans les dimensions économique, sociale et environnementale (article 30 du décret). Ainsi l’acheteur devra étudier les offres avec un regard attentif au développement durable, il devra notamment privilégier les offres en fonctions de leur caractère économe en énergie ou non. Les marchés réservés (articles 13 et suivants du décret) De par le risque d’engendrer une rupture de concurrence, ces marchés sont particulièrement encadrés afin que les acheteurs agissent en toute légalité. Des marchés ou des lots peuvent être réservés aux entreprises adaptées, aux établissements et services d’aide par le travail, ou aux structures d’insertion par l’activité économique (article 36 du décret). Les marchés réservés ne peuvent mettre en concurrence les différentes structures employant des personnes handicapées ou défavorisées. Renforcement de la responsabilité De cette liberté accrue des acheteurs découle un renforcement de leur responsabilité. Une référence est faite aux conflits d’intérêts au sein du décret. En effet son article 105 prévoit que le rapport de présentation comporte, les cas de conflits d’intérêts et les mesures prises en conséquence. Afin de lutter contre les conflits d’intérêts dans le cadre des marchés publics, le champ d’application de l’infraction dite de « favoritisme » a été clairement défini par le Conseil d’Etat qui a considéré que cette infraction était susceptible de s’appliquer à tous les marchés et pas seulement ceux prévus par le code des marchés publics (Cour de Cassation. crim. 17 février 2016, n° 15-85.363). Avec cet arrêt la haute juridiction a entendu prévenir les acteurs de la commande publique qu’elle est particulièrement vigilante au respect de la concurrence. 5. Un système encadré, l’information et la formation des acteurs Etant conscient des changements et bouleversements que l’ordonnance risque d’engendrer sur les acheteurs un système d’accompagnement est mis en place. Etablir des stratégies d’achat pour former les acheteurs Puisque la responsabilisation des acheteurs grandie, il est nécessaire que les pouvoirs publics notamment par l’intermédiaires des nouvelles intercommunalités définissent les stratégies d’achats et forment leurs acheteurs. En effet la possibilité de négociation (sourcing) a besoin d’un encadrement particulier afin que cette pratique ne devienne pas contre-productive et engage la responsabilité des acheteurs pour rupture de concurrence. Le soutien et l’assistance de la Direction des affaires juridiques du ministère de l’économie La DAJ a affirmé qu’elle accompagnerait les acteurs dans la mise en place de la réforme, consciente que ces derniers n’auront pas eu beaucoup de temps pour s’y familiariser lorsqu’elle entrera en vigueur. Elle a en effet prévu la mise en ligne de fiches à destinations des acteurs dès l’entrée en vigueur de l’ordonnance. Elle a tenu à préciser que seront également mises en place des consultations par voie électronique auprès du bureau des acheteurs.