L’Etat ne peut opposer des documents d’urbanisme pour se dégager de ses engagements à « laisser construire »

Les faits ayant donné lieu à cette décision de la Cour européenne des droits de l'Homme sont remarquables tant par les enjeux économiques, patrimoniaux et environnementaux qui sont en présence, que par la difficile conciliation du droit privé de propriété avec la défense de l'intérêt général qu'elle met en relief. Les héritiers du propriétaire de l'île de Porquerolles ont cédés leurs terrains à l'État tout en conservant ceux sur lesquels ils avaient établi leurs résidences principales et un hôtel que l'un d'eux exploitait, ainsi que les droits à construire en échange d’une promesse d’un droit à construction.

Les permis de construire correspondant ayant reçu des réponses négatives, et un plan d'occupation des sols, qui classait l'île en zone inconstructible, ayant entre-temps été approuvé, les héritiers ont formé devant les juridictions administratives des demandes en annulation des refus de permis de construire et devant le juge judiciaire des demandes de résolution de la vente et de dommages-intérêts.

La CEDH, après avoir analysé les différents événements, et malgré la position des autorités françaises qui soutenaient que les héritiers ne pouvaient ignorer qu'en tout état de cause leurs projets devraient être conformes aux règles d'urbanismes, estime que les agissements de l'État témoignent de son engagement à garantir aux requérants un « droit à construire ». Plus particulièrement, la Cour « ne peut suivre le Gouvernement dans son argumentation lorsqu'il prétend que l'État n'a pas pu leur concéder des droits définitifs, au motif qu'il n'aurait pas pu s'engager à garantir aux requérants le droit de construire en faisant fi des règles d'urbanisme susceptibles de changer dans le futur ». Par conséquent, « la Cour estime, dans les circonstances de l'espèce, que les requérants étaient titulaires de droits de construire aux termes des actes de vente et qu'ils avaient une espérance légitime de pouvoir exercer ces droits dans les conditions contractuelles. Ils sont dès lors titulaires d'un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole n° 1 ».

L'existence d'un « bien » étant acquise, la Cour conclue à la violation du droit de respect du droit de propriété en considérant que « dans l'hypothèse où les constructions prévues dans les contrats auraient effectivement été en opposition avec la préservation du site de Porquerolles, les autorités auraient dû proposer aux requérants une compensation matérielle ou financière en réparation du préjudice subi du fait du non-respect des actes de vente».

La Cour européenne indemnise ainsi le préjudice matériel subi par les requérants à hauteur de 800 000 et 700 000 €.