Les procès peuvent désormais être filmés en France

Ne nous y trompons pas, il s’agit véritablement d’un changement majeur en France, où il était strictement interdit de photographier et de filmer les audiences depuis 1954.

Les seules exceptions existantes jusqu’alors, sont celles tolérées depuis 1985 aux seules fins de constitution d’archives historiques.

C’est le cas du procès Barbie de 1987 qui a été le premier procès filmé en France.

C’est également le cas du procès des attentats de janvier 2015 et celui des attentats du 13 novembre, en cours actuellement.

Cette évolution fondamentale s’inscrit dans la Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire qui a été publiée au Journal officiel du 23 décembre 2021.

Le Ministre de la Justice plaidait alors pour la nécessité de « Faire entrer la Justice dans le salon des Français ». L’objectif poursuivi est ainsi de restaurer la confiance des Français envers une Justice largement méconnue.

Paru tout récemment au Journal officiel le 1er avril 2022, le décret d’application n° 2022-462 du 31 mars 2022, de l’article 1er de la Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, autorise désormais l’enregistrement sonore ou audiovisuel des audiences judiciaires et administratives.

Si la Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire maintient la règle générale d’interdiction de filmer les procès, elle a ouvert une brèche mise en œuvre par le décret qui fixe un nouveau cadre dérogatoire d’autorisation d’enregistrement, sonore ou audiovisuel, des audiences judiciaires et administratives, fondé sur un motif d’intérêt publique.

Selon le Ministre de la Justice, « il ne s'agit pas de verser dans la Justice spectacle. L’idée est de prendre les citoyens qui le souhaitent par la main pour les conduire dans la salle où se déroulent les procès, et leur montrer comment notre Justice fonctionne. »

Et c’est là l’autre innovation majeure du texte.

Ce ne sont pas seulement les audiences pénales qui sont concernées mais bien toutes les audiences qui pourront faire l’objet d’une demande de tournage.

Ainsi, qu’elles soient civiles, pénales, économiques ou administratives, ouvertes ou habituellement fermées au public, les audiences de Justice peuvent être enregistrées ou filmées pour un motif d’intérêt public d’ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique.

Le ministère de la Justice dans une volonté affichée de pédagogie, souhaite que le dispositif ne concerne pas uniquement les grands procès mais surtout « la Justice du quotidien, celle qui peut concerner chaque Français, par un divorce, une entreprise surendettée ou une mise sous tutelle, par exemple ».

Les journalistes, les médias ou les sociétés de production souhaitant capter des audiences doivent adresser leur demande au ministère de la Justice, qui rendra un avis, la décision finale revenant aux chefs de juridictions.

La demande doit préciser le motif d’intérêt public d’ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique et doit être accompagnée d'une description circonstanciée du projet éditorial. Elle précise en outre les conditions d'enregistrement et de diffusion.

Le ministère de la Justice vérifiera que le cahier des charges est respecté pour pouvoir donner un avis positif.

Il transmettra ensuite la demande d’enregistrement au premier président de la cour d’appel qui reste le seul décisionnaire.

Le président de la formation de jugement pourra toutefois, à tout moment, suspendre ou arrêter l'enregistrement.

Dès lors que l’autorisation de filmer est donnée, les personnes présentes ne pourront pas s’opposer à la captation s’il s’agit d’une audience publique.

Si l’audience n’est pas publique, il sera nécessaire de recueillir avant l’enregistrement l’accord de toutes les parties.

L’anonymat pourra néanmoins être assuré.

Si les personnes présentes ne consentent pas à la diffusion de leur image, le diffuseur sera tenu à une obligation d’occultation pour éviter de les identifier.

L'occultation implique que l'image et tout élément permettant l'identification directe ou indirecte des personnes enregistrées soient dissimulés, notamment que les éléments relatifs à l'état civil soient modifiés ou masqués, les visages et les silhouettes floutés et les voix déformées.

Cette occultation sera systématiquement mise en place pour les mineurs, les personnes protégées et les forces de l’ordre, dont les missions exigent, pour des raisons de sécurité, que leur anonymat soit garanti.

La diffusion des audiences filmées ne pourra être programmée qu’une fois l’affaire définitivement jugée, c’est-à-dire après les éventuels exercices de toutes les voies de recours.

Une exception sera faite pour les audiences à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat, dont les images pourront être diffusées le jour même en différé.

Rappelons par ailleurs que Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a prévu un droit à l’oubli.

Aucun élément d'identification des personnes enregistrées ne peut être diffusé cinq ans après la première diffusion de l'enregistrement ou dix ans après l'autorisation d'enregistrement.

Le décret paru le 1er avril 2022 va recevoir une application pratique très rapidement.

En effet, une première convention a déjà été signée entre le ministère de la Justice et France Télévisions qui construit un programme d’émission récurrente pédagogique de « justice filmée ».

Les premiers procès filmés seront diffusés sur France 3 à partir de la rentrée de septembre prochain.

L’autorisation va ainsi être donnée de filmer et photographier les procès dans la juridiction d’Aix-en-Provence.

La chaîne a prévu d’encadrer la diffusion de ces procès avec les commentaires d’un journaliste judiciaire, d’un avocat et d’un magistrat.

France Télévisions a ensuite a prévu d’étendre son dispositif sur toute la France et dans toutes les juridictions.

Lorsque le Ministre de la justice avait évoqué son projet de diffuser des procès, cela avait suscité de vives craintes : Comment garantir la confidentialité des échanges entre l’Avocat et son client, comment s’assurer de l’efficience du droit à l’oubli à l’ère des réseaux sociaux, comment s’assurer de la sincérité des débats lorsque les justiciables sont face à des caméras, … ?

Il a fallu attendre un décret paru le 1er avril 2022 pour connaitre le détail de la disposition phare de la Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire.

L’exigence de transparence de notre société actuelle atteint également le ministère de la Justice qui pour renouer avec la confiance des justiciables, se met à la vidéo comme pour montrer que le système judiciaire n’a rien à cacher.

Mais est-ce que les chefs de juridiction autoriseront la captation des audiences renvoyées par manque de greffiers, les audiences à près d’une centaine de dossiers par session en raison du manque de magistrats, ou les audiences se finissant tard dans la nuit par manque de planification ?

L’expérience nous révèlera si ces réserves sont fondées ou si les citoyens se prennent de passion pour leur Justice.

Olivier COSTA Avocat Associé