Prescription extinctive : précisions apportées en matière de mise en demeure et de causes d’interruption

Cass. 1re civ., 11 janv. 2023, n° 21-23.957

La première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 11 janvier 2023 est venue apportée les précisions qui suivent.

La Haute juridiction annonce dans son sommaire qu’il résulte de la combinaison de l'article 1139 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l'article 2224 du même code que le défaut de réception effective par la caution de la mise en demeure, adressée par lettre recommandée, n'affecte pas sa validité et que le point de départ de son action en responsabilité à l'encontre de la banque est fixé au jour où elle a su que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal, soit à compter de la mise en demeure qui lui a été adressée.

Les règles applicables à la prescription extinctive sont relativement complexes à appliquer du fait de leur technicité, et en particulier en cas de combinaison avec le droit des sûretés. Dans cet arrêt commenté, la Cour de cassation apporte un double éclairage, en droit du cautionnement personnel, sur le point de départ et l’interruption des délais de prescription applicables aux actions du garant et de son créancier.

1. Rappel du contexte et de la procédure

En l’espèce, une banque a consenti à une société civile immobilière deux prêts immobiliers, garantis par le cautionnement solidaire d’une personne physique. La société débitrice principale n’ayant pas honoré sa dette, la déchéance du terme a été prononcée par la banque et la vente forcée de l’immeuble de l’emprunteur, ordonnée en justice par jugement d’adjudication en date du 17 décembre 2010.

L’année précédant le jugement, le 9 décembre 2009, la banque avait mis en demeure la caution, par courrier recommandé avec accusé de réception, de payer la dette garantie. Or, ce courrier n’a jamais été réclamé par la caution.

Quelques années plus tard, le 15 juin 2015, la banque lui signifia un commandement de saisie-vente de l’immeuble détenu en propriété par la SCI, débitrice principale. Le 2 décembre 2016, la caution assigna la banque en caducité de ses engagements et en paiement de dommages-intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde. Reconventionnellement, la banque sollicita le paiement des sommes restant dues au titre du cautionnement.

La cour d’appel déclara d’une part l’action en responsabilité engagée par la caution recevable, au motif que la banque n’avait pas été en mesure de communiquer l’accusé de réception de la mise en demeure envoyée le 9 décembre 2009 signé par la caution, mais seulement le retour du document muni de la mention « Non réclamé - retour à l'envoyeur ». De surcroit, elle a considéré que la banque succombait à établir que le délai de prescription ait pu valablement courir à compter de cette date.

La Cour d’appel a déclaré, d’autre part, prescrites les créances au titre des cautionnements consentis et la banque irrecevable en ses demandes formées à l'encontre de la caution.

La banque a alors formé un pourvoi en cassation en soutenant, d’une part, que la cour d’appel avait violé les articles L. 110-4 du Code de commerce et 2224 du Code civil et, d’autre part, qu’elle avait privé sa décision de base légale au regard de l'article 2246, anciennement 2250, du Code civil.

Autrement dit, la banque fit valoir que, tandis que l’action de la caution était nécessairement prescrite, la sienne demeurait susceptible d’être engagée, le délai de prescription ayant été interrompue par la procédure d’exécution forcée diligentée à l’égard de la débitrice principale.

En ce sens, la banque avançait d’une part la règle selon laquelle le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité pour défaut de mise en garde exercée par la caution contre la banque est fixé au jour où la caution prend connaissance, par la mise en demeure qui lui était adressée, du fait que ses obligations vont être mises à exécution en raison de la défaillance du débiteur principal, et que la carence de la caution à réclamer le courrier recommandé contenant la mise en demeure n'a pas pour effet de différer le point de départ de la prescription à une date postérieure. D’autre part, elle soutenait que sa propre action en paiement contre la caution n’avait pas encore excédé le délai pour agir, ayant été interrompu par la mesure d’exécution forcée prise à l’encontre de la débitrice principale.

La décision des juges du fond fait l’objet d’une double cassation, l’une pour violation de la loi, concernant le point de départ de l’action de la caution, l’autre pour défaut de base légale, concernant l’interruption de la prescription de l’action de la banque.

2. Sur le point de départ de l’action en responsabilité de la caution contre la banque

La Cour de cassation rappelle, tout d’abord, qu’aux termes de l’article 1139 du Code civil, le débiteur est constitué en demeure, soit par une sommation ou par un autre acte équivalent, telle une lettre missive lorsqu'il ressort de ses termes une interpellation suffisante, soit par l'effet de la convention, lorsqu'elle porte que, sans qu'il soit besoin d'acte et par la seule échéance du terme, le débiteur sera en demeure.

Elle ajoute qu’il ressort de l’article 2224 du Code civil que l'action en responsabilité de la caution contre la banque se prescrit par cinq ans à compter du jour où la mise en demeure de payer les sommes dues par l'emprunteur défaillant a permis à la caution d'appréhender l'existence éventuelle d'une disproportion de ses engagements ou de manquements de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde.

Puis elle en conclut qu’il résulte de la combinaison de ces textes que le défaut de réception effective par la caution de la mise en demeure, adressée par lettre recommandée, n'affecte pas sa validité et que le point de départ de son action en responsabilité à l'encontre de la banque est fixé, au jour où elle a su que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal, soit à compter de la mise en demeure qui lui a été adressée.

Or, pour déclarer l'action en responsabilité initiée par la caution recevable, l'arrêt d’appel a relevé que la banque n'est pas en mesure de communiquer l'accusé de réception de la mise en demeure du 9 décembre 2009 signé par la caution, mais seulement le retour du document muni de la mention « Non réclamé - retour à l'envoyeur » et qu'elle succombe à établir que le délai de prescription des demandes a pu valablement courir à compter de cette date.

Selon la Haute juridiction, en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Il est intéressant de noter que la Cour de cassation n’attache pas d’importance au défaut de réclamation par la caution du courrier recommandé. Cela revient à considérer que c’est au jour de l’envoi du courrier recommandé que la prescription commence à courir, conformément à l’article 2224 dont il se déduit, en matière de cautionnement personnel, que l'action en responsabilité de la caution contre la banque se prescrit par cinq ans à compter du jour où la mise en demeure de payer les sommes dues par l'emprunteur défaillant a permis à la caution d'appréhender l'existence éventuelle d'une disproportion de ses engagements, ou un manquement de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde.

Cet arrêt souligne que le défaut de réception effective par la caution de la mise en demeure, adressée par lettre recommandée, n’affectant pas sa validité, c’est bien au jour où cette mise en demeure est adressée au garant que doit être fixé le point de départ du délai de la prescription extinctive de son action.

Plus précisément, cet arrêt s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle à savoir qu’un courrier non réclamé mais daté fait courir la prescription extinctive de l’action de la caution.

La caution a donc tout intérêt à réclamer ce courrier pour échapper au risque d’être prescrit dans le cas, fréquemment observé, où elle souhaiterait assigner le créancier en responsabilité.

3. Sur la prescription de l’action en paiement de la banque

La banque fait grief à l'arrêt de dire prescrites ses créances au titre des cautionnements consentis et de la déclarer irrecevable en ses demandes formées à l'encontre de la caution, alors « que l'interpellation faite au débiteur principal interrompt le délai de prescription contre la caution (…) ».

La Cour de cassation rappelle, d’abord, que selon l’article 2241, alinéa 1er, du Code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

Elle ajoute que selon l’article 2246 du Code civil, l'interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance interrompt le délai de prescription contre la caution.

Or, pour déclarer la banque irrecevable en sa demande en paiement à l'égard de la caution, l'arrêt d’appel a relevé qu'il est établi que, si la caution a procédé à plusieurs règlements au titre des deux engagements litigieux, aucun n'est antérieur au 10 décembre 2014, date à laquelle la prescription des créances de la banque était acquise, et qu'aucune interruption utile de cette prescription n'est démontrée. Or, la banque arguait que le délai avait été interrompu par la mesure d’exécution forcée prise à l’encontre de la débitrice principale.

Dans son arrêt, la première chambre civile reproche aux juges du fond de ne pas avoir recherché, comme il leur était demandé, si la mesure d’exécution forcée prise par la banque à l’égard de la débitrice principale, soit la délivrance du commandement de payer valant saisie-immobilière, n’avait pas eu pour effet d’interrompre le délai de prescription.

La Haute juridiction a donc cassé la décision de la Cour d’appel et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Dijon.

La cour d’appel de renvoi devra en conséquence vérifier si la procédure d'exécution forcée diligentée antérieurement par la banque à l'encontre de l'emprunteur n'avait pas eu un effet interruptif de la prescription.

La banque aura la charge de démontrer l’existence de cet acte interruptif du délai, et ainsi bénéficier d’un allongement du délai pour agir.

Il est certain que cet arrêt vient apporter des précisions d’une grande utilité tant pour les banques que pour les cautions en matière de règles de prescription applicables à leurs actions respectives, et rappelle surtout à la banque l’importance de pouvoir démontrer l’existence des diligences accomplies.

Sandra NICOLET