Neutralité du net, consécration par la CJUE

Ce sujet était redevenu actualité pendant la crise sanitaire, compte tenu des craintes qu'il existait quant à un risque de saturation des réseaux, du fait d'un nombre croissant de personnes utilisant les réseaux, soit pour télétravailler, soit malheureusement, faute d’activité, pour consommer différents services sur internet ( films, jeux en ligne…).

Un choix s’est donc potentiellement posé de privilégier certains flux au détriment d’autres, certains acteurs majeurs de la vidéo à la demande décidant d’ailleurs de diminuer la qualité de de leurs formats vidéo pour éviter une saturation des réseaux.

L'assurance de la neutralité du net tous est notamment régi par le RÈGLEMENT (UE) 2015/2120 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 25 novembre 2015établissant des mesures relatives à l’accès à un internet ouvert Ces principes sont également repris par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Rappelons que ce principe de neutralité vise à garantir un traitement égal et non discriminatoire du trafic, dans le cadre de la fourniture de services d’accès à l’internet, et les droits correspondants des utilisateurs finals. A cet effet, les fournisseurs de ces services doivent traiter l’ensemble du trafic de façon égale, sans discrimination, restriction ou interférence, quels que soient l’expéditeur, le destinataire, le contenu, l’application, le service ou les équipements terminaux.

Ceci implique que toutes les pratiques de gestion du trafic qui vont au-delà de telles mesures raisonnables de gestion du trafic, en bloquant, en ralentissant, en modifiant, en restreignant, en perturbant, en dégradant ou en traitant de manière discriminatoire des contenus, des applications ou des services spécifiques ou des catégories spécifiques de contenus sont interdites sous réserve de 3 exceptions :

1. se conformer aux actes législatifs de l’Union ou à la législation nationale auxquels le fournisseur de services d’accès à l’internet est soumis (par exemple, en ce qui concerne la légalité des contenus, applications ou services, ou la sécurité publique

2. préserver l’intégrité et la sûreté du réseau, par exemple en prévenant les cyberattaques

3. prévenir une congestion imminente du réseau et atténuer les effets d’une congestion exceptionnelle ou temporaire du réseau, pour autant que les catégories équivalentes de trafic fassent l’objet d’un traitement égal.

Par congestion temporaire, on doit entendre des situations spécifiques de courte durée dans lesquelles une augmentation soudaine du nombre d’utilisateurs venant s’ajouter aux utilisateurs habituels, ou une augmentation soudaine de la demande de contenus, d’applications ou de services spécifiques, peut saturer la capacité de transmission de certains éléments du réseau et diminuer la capacité de réaction du reste du réseau

Ce dernier point avait donné d’ailleurs donné lieu à précisions en mars 2020, lors du début de la pandémie du Covid par la Commission européenne et le BEREC (Body of European Regulators for Electronic Communications) Sans constater une saturation, le régulateur rappelait qu’en cas de congestion du réseau, le principe de neutralité du net pourrait être remis en cause si les conditions suivantes sont remplies :

• Les opérateurs constatent que le niveau de trafic est très élevé par rapport à une période similaire et que l’absence de mesure prise, face à cette congestion du réseau, pourrait affecter négativement les utilisateurs,

• la congestion du réseau doit être exceptionnelle, à savoir non prévisible et inévitable

• Les mesures prises doivent être proportionnées, limitées dans le temps et équivalentes quelles que soit les catégories de trafic.

L’affaire qui nous intéresse ici, au titre de l’arrêt rendu par la CJUE le 15 septembre 2020 portait sur un litige visait Telenor, FAI hongrois qui proposait 2 offres groupées dénommées respectivement « MyChat » et « MyMusic » détaillé comme suit :

« MyChat » est une offre groupée permettant aux clients qui y souscrivent, en premier lieu, d’acheter un volume de données d’un gigabit et de l’utiliser sans restrictions jusqu’à son épuisement, en accédant librement aux applications et aux services disponibles, sans que soit décomptée de ce volume de données l’utilisation de six applications spécifiques de communication en ligne, à savoir Facebook, Facebook Messenger, Instagram, Twitter, Viber et Whatsapp, qui relèvent d’un tarif dénommé « tarif nul ». En second lieu, cette offre groupée prévoit que, une fois épuisé ledit volume de données, les clients qui y souscrivent peuvent continuer à utiliser sans restriction ces six applications spécifiques, tandis que des mesures de ralentissement du trafic sont appliquées aux autres applications et services disponibles. « MyMusic » est une offre groupée déclinée en trois forfaits différents, dénommés respectivement « MyMusic Start », « MyMusic Nonstop » et « MyMusic Deezer », qui sont accessibles aux clients disposant d’un forfait préexistant de services d’accès à Internet et qui permettent à ceux qui y souscrivent, en premier lieu, d’écouter de la musique en ligne en utilisant, notamment, quatre applications de transmission de musique, à savoir Apple Music, Deezer, Spotify et Tidal, ainsi que six services de radiophonie, sans que l’utilisation de ces applications et de ces services, qui relèvent d’un « tarif nul », soit décomptée du volume de données compris dans le forfait acheté. En second lieu, cette offre groupée prévoit que, une fois épuisé ce volume de données, les clients qui y souscrivent peuvent continuer à utiliser sans restriction ces applications et ces services spécifiques, tandis que des mesures de blocage ou de ralentissement du trafic sont appliquées aux autres applications et services disponibles.

La Cour saisie de ces éléments, via une question préjudicielle, va juger que de telles offres, opérant une dissociation entre les services et amenant, une fois le forfait épuisé à ce que des mesures de blocage ou de ralentissement de trafic soient appliquées à certaines applications et services disponibles :

– sont incompatibles avec le règlement 2015/2120 dès lors que ces offres groupées, ces accords et ces mesures de blocage ou de ralentissement limitent l’exercice des droits des utilisateurs finals,

– sont incompatibles avec le règlement 2015/2120 dudit article dès lors que lesdites mesures de blocage ou de ralentissement sont fondées sur des considérations commerciales.

La Cour consacre ci le principe de neutralité du net, rappelant que les limitations de trafic envisagées ne relevaient d’aucune des exceptions possibles.

Notons que ce principe de neutralité du net demeure seulement opposable au sein de l’UE.

Aux Etats unis, la situation diffère à ce jour. En effet, la « Federal Communications Commission » (FCC) avait remis en cause ce principe de neutralité d’internet par sa décision du 14 décembre 2017, certains Etats décidant cependant d’adopter leur propre législation pour rétablir cette neutralité. A date, un projet de loi « Save the Internet Act « pour rétablir la neutralité du net au niveau fédéral a été voté par la Chambre des Représentants, mais bloqué par le Sénat.

A suivre