Protection des droits d’auteur : les propositions aberrantes de la Commission européenne

Concernant la protection du droit d’auteur sur Internet, la législation européenne se montre jusqu’ici lacunaire, bien que le rapport Reda (du nom de Julia Reda, députée européenne allemande du Parti Pirate depuis le 25 Mai 2014) ait été approuvé par 445 des 542 députés présents le 9 juillet 2015 en séance plénière. Ce rapport lui avait été commandé par le Parlement européen pour définir la mise en œuvre de la directive 2001/29/CE du 22 Mai 2001 portant sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information. Le texte est maintenant entre les mains de la Commission européenne qui devrait bientôt faire des propositions sur ce texte.

L’égalité des droits en ligne et hors ligne

« Alors que l’environnement numérique prend graduellement le pas sur le monde analogique, il est nécessaire de s’assurer que l’objectif des exceptions et limitations continu d’être rempli. Sinon, les droits accordés au public seront progressivement érodés au fil du temps ». A titre d’exemple, si l’exception éducative permet à un enseignant de fournir à chaque élève une copie physique d’un texte particulier comme base de lecture en classe, elle doit également autoriser l’accès au même texte dans un format numérique à travers un intranet de l’école. Allant plus loin, le rapport recommande en fait de rendre les exceptions de droit d’auteur obligatoires dans tous les États membres.

Accepter la création transformative

La loi de Moore se base sur la constatation de cet ingénieur que la complexité des semi-conducteurs proposés en entrée de gamme doublait tous les ans à coût constant depuis 1959 (date de leur invention). Moore supputait la poursuite de cette croissance et l’augmentation exponentielle prophétisée fut rapidement nommée « loi de Moore ». Communément, pour le grand public, elle est simplifiée et dispose que la puissance des processeurs double tous les dix-huit mois. Ceci, pour expliquer que la révolution numérique à l’aube des années 2000 a véritablement bouleversé notre rapport au temps. La Directive dont le champ d’application est défini par le Rapport Reda a déjà 15 ans et les situations que pouvaient s’imaginer ses rédacteurs à l’époque sont depuis bien longtemps dépassées. Par exemple, le téléphone - devenu smartphone n’a plus désormais pour fonction principale l’appel, mais l’ouverture sur le monde via l’Internet - dans votre poche est un ordinateur plus apte à la production multimédia, équipé d’un meilleur appareil photo, que la plupart de ceux accessibles aux artistes professionnels quand la directive de 2002 a été rédigée. Avec Internet comme moyen d’édition mondial à coût zéro, ce phénomène a entraîné une vaste révolution créative, permettant une multitude de pratiques émergentes dans lesquelles de nouvelles œuvres sont créées en transformant celles existantes. Le droit a donc 15 ans de retard sur les faits, sur cette révolution numérique qui n’en est encore qu’à ses prémices.

Des milliers de personnes se sont filmées en train de danser sur le hit « Happy » interprété par Pharrell Williams – dans des écoles, des universités, pour des mariages, et d’autres fêtes. Ces pratiques, souvent exercées sans objectif commercial comme les mashups (comme des chansons créées à partir de dizaines de clips vidéo trouvés), les lipdubs (reconstitutions créatives d’une chanson), les Supercuts (assemblages de scènes de films similaires), les mods (modifications et conversions de jeux d’ordinateur, par exemple pour modifier les personnages ou ajouter de nouveaux environnements), des remakes/hommages non-commerciaux de classiques, Machinima (films enregistrés à l’aide des environnements de jeu pour « studio »), Let’s Play (transmissions vidéo en direct de sessions de jeu), etc. Et bien qu’ils n’interfèrent pas avec l’exploitation commerciale des œuvres préexistantes, ces œuvres sont entourées par une incertitude juridique. Nemo censetur ignorare legem, et pourtant on ne peut demander aux internautes (la facilité de monter des vidéos permettant à des enfants de 10 ans d’être actifs sur Youtube, la majorité des gens n’ayant même pas conscience des problèmes relatifs au droit d’auteurs auxquels ils s’exposent) de connaître la loi relative au droit d’auteur.

C’est devant ce constat que Pat Aufderheide, Peter Jaszi et Elizabeth Nolan Brown, des étudiants américains ont publié le 3 Avril 2007 leur rapport THE GOOD, THE BAD, AND THE CONFUSING: User-Generated Video Creators on Copyright , dans lequel ils relevaient que les personnes interrogées montraient de la confusion, de l’anxiété et une peur lorsqu’on les a questionnées sur leur comportement vis-à-vis du droit d’auteur et de la création sur Internet. En somme, il est important que la législation relative au droit d’auteur n’entrave pas cette vague sans précédent de nouvelles expressions artistiques, et reconnaisse ces nouveaux créateurs comme des auteurs, des acteurs.

Propositions de la Commission européenne

Toutefois, si les parlementaires européens avaient attentivement pris connaissance dudit rapport, force est de constater – après le dernier billet de Julia Reda publié sur son blog - qu’ils n’en ont absolument pas tenu compte, comme le prouve les mesures proposées aux parlementaires européens par la Commission européenne. Aussi, deviendrait illégale même vingt ans après leur publication initiale, le partage sur un blog ou un site personnel d’articles d’information ou d’extraits sans l’autorisation explicite de l’éditeur. Cela sera considéré comme une infraction, et ce, sans exception sur la taille des extraits, même pour des particuliers, même sans exploitation commerciale, même si la source est fournie.

Le droit national n’a jamais osé fixer de telles propositions

L’effet serait rétroactif (ce qui serait pour le moins non constitutionnel)

De même, une personne reprenant un tweet à la formulation créative ou non - notamment le titre d’un article de journal – serait une infraction au droit d’auteur, à moins de rémunérer le détenteur des droits. Par conséquent, le Commission propose également la suppression des moteurs de recherche pour les nouvelles – à l’instar de Google news – qui, pour les mêmes raisons évoquées ci-dessus viendrait enfreindre les droits d’auteurs.

Un dernier exemple – la liste en encore longue et édifiante – l’utilisation de réseaux sociaux de partage de photo – comme Pinterest – permettant de collection des images de sites tiers deviendraient illégale sauf à demander un accord de licence au détenteur des droits de ladite photo.

Aussi, et dans la mesure où des sites comme MEGAUPLOAD (connus pour avoir permis à certains de ses utilisateurs d’enfreindre de manière flagrante les droits d’auteur et droits voisins ) ne sont pas concernés par ces propositions, l’on peut raisonnablement se demander si les mesures de la Commission européenne n’ont pas tant pour de restreindre la transmission de l’information et de la culture, plutôt que de véritablement lutter contre les atteintes aux droits d’auteur.

C’est d’ailleurs un objectif contraire que poursuit la loi pour une République numérique adoptée en octobre 2016…

De même, il semble difficile compte tenu de la vitesse avec laquelle circulent maintenant les données du fait de leur immatérialité, d’atteindre le but poursuivi.

A suivre…