Mystérieuse tarte tropézienne : vers une remise en question de la protection des recettes en propriété intellectuelle ?

Dans une affaire T-7/16 opposant la TARTE TROPEZIENNE à l’EUIPO, le Tribunal de l’Union européenne a, dans son jugement du 28 octobre 2016, eu à décider si la marque LA TARTE TROPEZIENNE pouvait être enregistrée en classe 30 pour farines et préparations faites de céréales ; sucre ; miel ; sirop de mélasse ; levure ; poudre pour faire lever ; épices ; pâtes pour gâteaux ; gâteaux ; gâteaux surgelés ; crêpes.

La société TARTE TROPEZIENNE établie à Cogolin avait, en effet, obtenu le 12 mai 2014, l’enregistrement international de sa marque figurative susmentionnée LA TARTE TROPEZIENNE 1955. SAINT-TROPEZ.

Le 19 août suivant, l’Office de l’union européenne de la propriété intellectuelle (EUIPO) a objecté à cet enregistrement, le caractère descriptif de la marque - dont l’ajout des termes 1955. et SAINT-TROPEZ ne consiste pas en une originalité car ils seront vraisemblablement perçus comme l’année de l’invention de la tarte tropézienne |…] et une indication de l’origine géographique du produit concerné – repris par la Chambre de recours en février 2015.

Les revendications en classe 30 avaient, de ce fait, été réduites et les farines et préparations faites de céréales ; sirop de mélasse ; levure ; poudre pour faire lever ; épices ; pâtes pour gâteaux ; gâteaux ; gâteaux surgelés ; tartes ; crêpes, rejetés.

En effet, la Chambre estimait que les autres éléments du signe litigieux, à savoir 1955. et SAINT-TROPEZ n’avaient pas pour effet de détourner l’attention du public pertinent de la référence dudit signe à un dessert. Que, par ailleurs, concernant les préparations faites de céréales ; gâteaux ; gâteaux surgelés ; crêpes, le consommateur aurait tout lieu de penser que, en tant que desserts, ces produits étaient fabriqués selon la recette de la tarte tropézienne. De plus, s’agissant des farines ; sucre ; miel ; sirop de mélasse ; levure ; poudre pour faire lever ; épices ; pâtes pour gâteaux, la Chambre de recours a estimé que le consommateur percevrait le signe litigieux comme une indication que ces ingrédients étaient particulièrement adaptés à la confection de la tarte tropézienne. Qu’aussi, quand bien même le consommateur ne connaîtrait pas la liste exacte des ingrédients nécessaires à la confection de la tarte tropézienne, il supposerait, compte tenu de leur nature, que ces produits entrent dans la composition de la recette.

LA TARTE TROPEZIENNE a alors saisi le Tribunal de l’Union européenne qui, le 28 octobre 2016, a confirmé la position de l’EUIPO et rejeté le recours, reprenant l’ensemble de ses arguments, et concluant au caractère descriptif de la marque litigieuse en ce qu’elle établit un rapport suffisamment direct et concret entre le signe litigieux et les produits concernés.

Toutefois, sous des aspects triviaux, ce jugement soulève en réalité une question intéressante. En effet, en refusant d’enregistrer la marque LA TARTE TROPEZIENNE pour les farines et préparations faites de céréales ; sirop de mélasse ; levure ; poudre pour faire lever ; épices ; pâtes pour gâteaux ; gâteaux ; gâteaux surgelés ; tartes ; crêpes, au motif que le consommateur supposerait, compte tenu de leur nature, que ces produits entrent dans la composition de la recette, le Tribunal de l’Union européenne questionne la protection d’une recette par la propriété intellectuelle.

L’article L.711-1 du code la propriété intellectuelle se borne à définir une marque comme un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne morale ou physique. Toutefois, par l’énoncé susvisé de ses motifs, le Tribunal ne se réfère pas tant à la qualité intrinsèque du produit objet de la demande de marque qu’à sa composition.

Or, et cela est bien admis, les recettes ne sont pas sujettes à protection en propriété intellectuelle, notamment au titre des droits d’auteur, comme le rappelle d’ailleurs le TGI de Paris dans son jugement RG 12/00188 du 24 janvier 2014 : Ces recettes prennent la forme classique et stéréotypée d’une énumération des ingrédients puis d’une description étape par étape des opérations à effectuer. […] Aussi les recettes en cause ne relèvent pas d’une activité créatrice originale, et ne sont pas de ce fait protégées au titre des droits d’auteurs.

La question intéressante que soulève ici le Tribunal de l’Union européenne est celle de savoir si la marque protégeant un produit emporte protection de sa fabrication. Ce jugement est tout à fait récent et ses implications, par conséquent, à suivre attentivement.

Quoi qu’il en soit, une jurisprudence évoluant en ce sens serait révolutionnaire et remettrait en cause des principes bien établis, comme la non-protection des recettes ou de la composition des parfums, dont les détracteurs sont nombreux.

La question est d’autant plus pertinente aujourd’hui que des procédés simples d’ingénierie inversée permettent de facilement retrouver les composants d’un produit et d’ainsi, en en substituant certains par des ersatz, de copier, imiter à tout le moins, impunément le produit final.

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