Selon la CJUE, un lien renvoyant vers une contrefaçon peut être illégal

La Cour de Justice de l’Union européenne a rendu, le 8 septembre dernier, un arrêt majeur portant sur le concept de communication au public et sur l’illicéité possible d’un lien.

Dans cette affaire, le groupe de presse Sanoma, éditeur du magazine Playboy, avait commandé à un photographe de réaliser plusieurs photos visant à réaliser un reportage sur la présentatrice Britt Dekker pour le numéro de décembre 2011.

Le 27 octobre, la société GS Media avait publié sur le site Geenstijl.nl qui lui appartenait une partie d’une photo de Britt Dekker nue, accompagnée d’un lien renvoyant vers le site Filefactory.com où se trouvaient 11 autres photos téléchargeables postées sans autorisation de leur auteur.

Sanoma avait alors ordonné à Filefactory.com de supprimer les 11 photos litigieuses et à GS Media de supprimer le lien litigieux. Si Filefactory.com avait fini par enlever les photos portant atteinte à des droits d’auteur, en revanche, GS Media s’y refusait, allant même jusqu’à poster un nouveau lien renvoyant toujours vers les mêmes photos, mais cette fois-ci hébergées sur le site Imageshack.us.

Si le site Imageshack.us procédait lui aussi à la suppression des photos litigieuses, la société GS Media continuait à s’opposer à la suppression du lien, forçant Sanoma, Playboy et Britt Dekker à agir en justice devant les cours néerlandaises.

Saisie d’un problème portant sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, et plus précisément sur la notion de communication au public, la Cour suprême des Pays-Bas a alors utilisé le mécanisme de la question préjudicielle afin d’interroger la CJUE sur l’interprétation de cet article 3.

L’article 3 de la directive 2001/29/CE dispose que « Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement ».

Selon cet article, un auteur a donc le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la communication au public de son œuvre. Une « communication au public » de son œuvre sans son autorisation est donc illégale.

La question posée à la CJUE dans cette affaire consistait donc à savoir si le fait de poster sur un site internet un lien renvoyant vers du contenu protégé par droit d’auteur, mais librement disponible sur un autre site sans l’autorisation du titulaire des droits d’auteur, consistait en « une communication au public » de ce contenu au sens de la directive 2001/29/CE.

La CJUE a répondu à cette question dans l’arrêt GS Media BV c/ Sanoma Media Netherlands BV, Playboy Enterprises International Inc. et Madame D. Selon la Cour, « si le fait de placer, sur un site Internet, des liens hypertexte vers des œuvres protégées, librement disponibles sur un autre site Internet sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, constitue une « communication au public » au sens de cette disposition, il convient de déterminer si ces liens sont fournis sans but lucratif par une personne qui ne connaissait pas ou ne pouvait raisonnablement pas connaître le caractère illégal de la publication de ces œuvres sur cet autre site Internet ou si, au contraire, lesdits liens sont fournis dans un tel but, hypothèse dans laquelle cette connaissance doit être présumée ».

Selon la CJUE, il convient donc de se livrer à une appréciation in concreto, en fonction du cas d’espèce. Selon elle, le lien posté constituera une « communication au public » et donc une infraction aux droits d’auteur si la personne postant le lien renvoyant vers une contrefaçon a agi dans un but lucratif et avait connaissance de l’illicéité du contenu. En revanche, il n’y aura pas de « communication au public » et le lien posté ne sera donc pas illégal si la personne auteur du lien n’a pas agi dans un but lucratif et ne savait pas, ou ne pouvait pas raisonnablement savoir, que l’œuvre vers laquelle renvoyait le lien avait été diffusée sans l’autorisation de son auteur.

En l’espèce, la CJUE a considéré que la société GS Media avait réalisé une « communication au public » car elle avait agi à des fins lucratives et qu’elle savait que la société Sanoma n’avait pas autorisé la publication des photos de Britt Dekker sur internet. Les faits d’espèce semblent en effet prouver que la société GS Media connaissait l’illicéité du contenu vers lequel renvoyait le lien posté. « Il est constant que GS Media exploite le site GeenStijl et qu’elle a fourni les liens hypertexte vers les fichiers contenant les photos en cause, hébergés sur le site Filefactory, à des fins lucratives. Il est également constant que Sanoma n’avait pas autorisé la publication de ces photos sur Internet. En outre, il semble découler de la présentation des faits, telle qu’elle résulte de la décision de renvoi, que GS Media était consciente de cette dernière circonstance et qu’elle ne saurait donc renverser la présomption que le placement de ces liens est intervenu en pleine connaissance du caractère illégal de cette publication. Dans ces conditions, il apparaît que, sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, en plaçant ces liens, GS Media a réalisé une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, sans qu’il soit nécessaire d’apprécier dans ce contexte les autres circonstances invoquées par cette juridiction ».