L’exclusion de la brevetabilité des programmes d’ordinateurs

A propos du jugement du 18 juin 2015 TGI Paris

Dans un jugement du 18 juin 2015, le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris, seul compétent en matière de brevet, a prononcé la nullité de nombreuses revendications d’un brevet européen dont est titulaire la société Orange et ce, notamment au regard de la présence de programmes d’ordinateurs.

Rappelons brièvement les faits avant d’examiner la motivation du Tribunal.

1./ La société Orange est titulaire d’un brevet européen intitulé « Basculement de sessions multimédias d’un terminal mobile vers un équipement d’un réseau local » et dont les revendications 12 à 14 portent sur un programme d’ordinateur : « produit-programme d’ordinateur téléchargeable… ».

Arguant que la société Free par le lancement de sa Freebox Révolution contrefaisait son brevet, la société Orange a, suite à des opérations de saisie contrefaçon effectuées du 11 au 21 mars 2014, assigné cette première en contrefaçon. Naturellement, en défense, la société Free invoque la nullité de certaines revendications du brevet européen de la société Orange, notamment pour défaut de nouveauté par rapport à un brevet d’ores et déjà détenu par la société France Telecom, mais également compte tenu de la présence de revendications liées à un programme d’ordinateurs.

Nous nous intéresserons seulement aux revendications relatives aux programmes d’ordinateurs. En l’occurrence, s’appuyant sur l’article 52-2 de la Convention sur le Brevet Européen (CBE), qui exclut du domaine de la brevetabilité les programmes d’ordinateurs, la société Free sollicite la reconnaissance de la nullité des revendications n° 12 à 14 du brevet de la société Orange. Les revendications 12 à 14 dudit brevet visent un « produit programme d’ordinateur téléchargeable (…) produit programme d’ordinateur… ». L’argumentation du TGI est explicite : « les programmes d’ordinateurs en tant que tels sont exclus de la brevetabilité et ce, pour la raison qu’ils sont couverts par le droit d’auteur ».

La société Orange soutient à l’inverse que les pratiques de l’Office Européen des Brevets (OEB) tendent à admettre les brevetabilités des programmes d’ordinateurs dénommés « programmes-produits ». S’appuyant sur une interprétation stricte de l’article 52-2 de la CBE, le TGI indique que « la délivrance de brevets pour des programmes d’ordinateurs, fussent-ils dénommés programmes produits n’est en effet soutenue par aucun texte ou par aucune difficulté d’interprétation de la CBE et au contraire ceux-ci sont clairement exclus en tant que tels de la brevetabilité. » Les revendications en cause du brevet européen de la société Orange sont dès lors annulées.

2./ Par cette interprétation, le TGI de Paris vient rappeler les principes issus de la CBE relatifs à l’exclusion de la brevetabilité des programmes d’ordinateurs et tente de contrer les interprétations diverses de l’OEB sur ce point.

La définition des programmes d’ordinateurs a été érigée par la Directive du Conseil n°91/250/CEE qui: « vise les programmes sous quelque forme que ce soit, y compris ceux qui sont incorporés au matériel; que ce terme comprend également les travaux préparatoires de conception aboutissant au développement d'un programme, à condition qu'ils soient de nature à permettre la réalisation d'un programme d'ordinateur à un stade ultérieur; » Exclus par principe d’une protection par le droit des brevets, les programmes d’ordinateurs peuvent néanmoins faire l’objet d’une telle protection lorsqu’ils ne constituent qu’une étape de l’invention en cause. En effet, la cour d'appel de Paris dans un arrêt Schlumberger du 15 juin 1981, a précisé que « la demande met en jeu des programmes d’ordinateur mais qu’elle ne se limite nullement à ce seul objet » et que dès lors, l’invention peut être brevetable. Le critère de l’exclusivité est fondamental. Pour sa part, l’OEB a émis des directives et a notamment indiqué que « Si l'objet revendiqué apporte une contribution de caractère technique à l'état de la technique, la brevetabilité ne devrait pas être mise en cause pour la simple raison qu'un programme d'ordinateur est impliqué dans sa mise en œuvre“(directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB, C, IV1.2.3). » Ainsi, l’OEB a d’ailleurs pu juger que le programme d’ordinateur peut être revendiqué en tant que tel au titre d’une invention et ne pas être exclu de la protection à partir du moment où chargé sur un ordinateur, il produit un effet technique supplémentaire (affaire T 1173/97, (Computer program product/IBM) of 1.7.1998). C’est au regard de ces décisions, que la société Orange avait tenté de renforcer la brevetabilité de son programme d’ordinateur. Le TGI rejette purement et simplement ces interprétations de l’OEB très fluctuantes et, au visa de l’article 52-2 de la CBE rappelle que les programmes d’ordinateurs « en tant que tels » ne peuvent faire l’objet d’une protection par le droit des brevets.

La rédaction des revendications doit être effectuée avec minutie afin d’éviter une nullité éventuelle future…