La reprise des investissements d’autrui sur un site internet constitutive de concurrence déloyale

A propos du jugement du TGI de Paris du 15 mars 2013

La société Beemoov est titulaire de deux marques françaises, Ma Bimbo, déposées le 18 mars 2009 et 9 avril 2008. Cette société, spécialisée dans l’édition de jeux virtuels en ligne, a créé à ce titre un jeu et un site internet dédié intitulé « Ma Bimbo », ayant pour objet la simulation de mode sur internet.

La société Jurovi Studio, spécialisée également dans l’édition de jeux électroniques a créé un jeu de « simulation de vie regroupant la mode et le look » où les internautes peuvent donner « un look » à des poupons en choisissant plusieurs styles vestimentaires, tels que le « style Bimbo » disponible dans la boutique virtuelle de vêtement « Bimbo’s Store ».

La société Beemoov considérant que la société Jurovi Studio contrevenait à ses droits de propriété sur ses marques « Ma Bimbo » a assigné celle-ci le 7 juillet 2011 en contrefaçon de marques et concurrence déloyale et parasitaire.

La société Beemoov invoquait d’une part, une imitation de ses marques, Ma Bimbo, sur le site de la société Jurovi pouvant engendrer un « risque de confusion dans l’esprit du public » et d’autre part, des actes de concurrence déloyale et parasitaire compte tenu de la reprise « sans complexe » par la société Jurovi « d’éléments figurants sur le site » internet de la société Beemov, tels que des liens hypertextes, des onglets….

En premier lieu, le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris, suivant son jugement du 15 mars 2013, va débouter la société Beemoov de son action en contrefaçon de sa marque Ma Bimbo.

En effet, se fondant sur l’article L 713-3 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), le tribunal a considéré que l’usage du terme « Bimbo » par la société Jurovi ne répondait pas aux conditions dudit article. A cet égard, il est intéressant de rappeler brièvement celles-ci.

En matière de contrefaçon de marque, les demandeurs doivent démontrer que la marque imitée ou reproduite doit être « utilisée en tant que marque » avant même de rechercher si elle vise des produits ou des services identiques ou similaires. Cette condition préalable est issue de la jurisprudence communautaire (CJCE, 7 janv. 2004, aff. C-100/02, Gerolsteiner) et permet de mettre un terme à l’ancienne conception française qui tendait à considérer que la comparaison entre deux marques devait s’effectuer in abstracto, en dehors de tout contexte dans lequel s’inscrit la marque.

C’est au regard de cette condition que le TGI n’a pas retenu l’action en contrefaçon de marque de la société Beemoov au motif « qu’il s’agit non de l’usage d’un signe à titre de marque (…) mais de la simple utilisation d’un mot ». Le TGI justifie sa décision en reprenant la définition du terme Bimbo donnée par le dictionnaire du look : « mot qui en langage commun signifie, d’après le Dictionnaire du look cité par la société Jurovi, une « jeune femme sympathique habillée de manière sexuellement ostentatoire » ».

Cette solution s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence traditionnelle des tribunaux empêchant d’attribuer à une personne un droit de propriété absolue sur un terme d’usage courant.

En second lieu, le TGI va reconnaitre au contraire, la réalisation d’actes de concurrence déloyale, compte tenu de la reprise par la société Jurovi de plusieurs éléments du site internet de la société Beemoov et en particulier du site « Ma Bimbo ».

De manière classique, la jurisprudence considère que l’appropriation et l’exploitation du fruit du travail d’autrui constituent des actes de concurrence déloyale compte tenu du profit de l’investissement d’autrui.

Néanmoins, les conditions de la concurrence déloyale sont strictement interprétées, le TGI précisant, à juste titre, « qu’il ne s’agit pas là de protéger une œuvre de l’esprit ».

En l’espèce, le tribunal va constater que la société Jurovi s’est rendue coupable d’actes de concurrence déloyale de part l’architecture de son site internet (onglets, intitulés, schéma de fonctionnement du jeu virtuel, forum : « la société Jurovi ne précise pas en quoi ces vocables, intitulés ou boutiques seraient, comme elle l’allègue, dictés par les nécessités fonctionnelles de ce type de jeux ») mais aussi de la reprise des conditions générales (« la société Beemoov a engagé des frais pour personnaliser ces rubriques et donc individualiser ses conditions générales, la société Jurovi a donc pu, sans bourse délié introduire des conditions générales d’utilisation sur son site, comportement fautif caractérisant là encore la déloyauté de la concurrence. »

Enfin, le TGI a reconnu que la société Jurovi s’était rendue coupable de publicité trompeuse en employant les termes « le premier jeu de simulation de vie… » alors même qu’elle était dans l’impossibilité d’établir en « quoi son site internet (…) serait le premier » induisant le consommateur en erreur sur « l’existence de qualités imaginaires ».

Ce jugement, confirmant une jurisprudence établie, a néanmoins pour mérite de rappeler que les actes de contrefaçon et agissements en concurrence déloyale sont interprétés de manière stricte.