Contrat d'exploitation du droit d'auteur, un tempérament du formalisme.

Cass. 1ère civ., 30 mai 2012 n°10-17.780

Dans les contrats relatifs au Droit d’Auteur, l’auteur, considéré comme la partie faible, est particulièrement protégé par les dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle (C.P.I.).

C’est ainsi que l’article L131-3 du CPI subordonne la transmission des droits « à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et à sa durée ».

La Jurisprudence interprète strictement cette exigence et considére que tous les modes d’exploitation qui ne sont pas visés expressément par le contrat demeurent entre les mains de l’auteur.

L’exploitation des œuvres photographiques ne fait pas exception à ce principe.

Il a ainsi déjà été décidé que « la cession du droit de reproduire des photographies pour illustrer une encyclopédie n’emporte pas droit le droit de les utiliser pour la version cédérom de cet ouvrage. » (Paris 12 déc. 2001 : D. 2002. AJ 725).

Cette position n’a pas été sans poser problème aux agences de presse lors du développement des nouvelles technologies et d’internet, puisque des droits acquis pour l’exploitation sur un journal papier ne pouvaient pas être invoqués pour une exploitation sur un site internet.

La rigueur connue de la règle semble cependant devoir être relativisée aujourd’hui si l’on se fie à la position adoptée par la première chambre civile de la Cour de Cassation dans un arrêt en date du 30 mai 2012.

Les faits sont les suivants : un accord a été conclu entre une agence de presse et un photographe ancien salarié aux termes duquel ce dernier concédait ses droits d’exploitation portant sur un certain nombre de clichés contre une rémunération proportionnelle aux sommes retirées par l’agence.

L’agence a numérisé les clichés afin de les faire apparaître sur son site internet pour en faciliter la commercialisation.

Le contrat de cession n’ayant pas prévu ce mode de communication, le photographe a assigné l’agence en contrefaçon en invoquant une atteinte à son droit de reproduction.

Sans grande surprise, les juges du fond ont condamné l’agence de presse au motif que « ces initiatives s’analysent en des reproductions non consenties d’œuvres de l’esprit et en des transmissions de droit d’auteur non contractuellement prévues et délimitées ».

Cette dernière a formé un pourvoi en cassation en soutenant que le mandat de commercialiser les photographies dont elle était investie emportait, sauf clause contraire, autorisation de les présenter aux acheteurs potentiels, y compris sur un site internet.

La Haute Juridiction a fait droit à cet argumentaire en considérant qu’« En statuant ainsi, sans rechercher, ainsi que l'agence l'y avait invitée, si les numérisations et mises en ligne litigieuses - ces dernières seulement en basse définition et avec la protection d'un système anti-piratage interdisant leur appréhension par des tiers - n'étaient pas impliquées, en l'absence de clause contraire, par le mandat reçu de commercialiser ces images et le besoin d'en permettre la visualisation par des acheteurs potentiels, la cour d'appel a privé sa décision de base légale »

La cour constate donc ici une cession tacite, implicite des droits d’exploitation au profit de l’agence dans le cadre du mandat dont elle était investie.

Cette décision est surprenante à plusieurs égard.

En premier lieu, la Cour de Cassation n’hésite pas à adopter une position contra legem en admettant une cession tacite des droits d’exploitation.

En deuxième lieu, la base légale de la motivation de la cour est remarquable, cette dernière se fondant sur les articles 1134 et 1135 du Code Civil relatifs à l’exécution de bonne foi et à l’interprétation des conventions.

Elle utilise donc des dispositions de droit commun pour faire échec aux prescriptions du Code de la Propriété Intellectuelle ; mettant ainsi à mal le principe selon lequel le spécial prime sur le général.

Néanmoins, si la solution est juridiquement fragile, on ne peut que convenir qu’elle est juste compte tenu des faits de l’espèce.

En effet la société commercialise des images en vertu d’un mandat confié par leur auteur, il paraît dès lors normal qu’elle soit implicitement investie des droits et pouvoirs nécessaires à la bonne exécution de sa mission.

La question se pose dès lors sur la portée qu’il convient de donner à cette décision.

S’agit-il d’un arrêt d’espèce qui n’aura pas de répercutions sur le principe général d’interprétation stricte des contrats de droit d’auteur.

Ou la Cour de Cassation a-t-elle décidé d’adapter ledit principe aux nouvelles technologies qui nécessitent plus de souplesse s’agissant de la propriété littéraire et artistique ?

La publication de la décision au Bulletin incite à opter pour la seconde option, toutefois, en l’absence de nouvelles décisions en la matière, il apparaît difficile de se prononcer sur la portée exact de cet arrêt.

Aussi, c’est avec impatience que sont attendues de nouvelles décisions afin d’acter définitivement la consécration de la cession implicite…