Précisions sur la notion de perte de chance en réparation du dommage corporel

Cass. 1re civ., 1er juin 2022, n° 20-16.909

Par un arrêt en date du 1er juin 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation a rappelé de manière utile qu’une réparation indemnitaire ne peut être allouée au titre de la perte de chance d’éviter le dommage uniquement en l’absence de certitude que, si la faute n’avait pas été commise, le dommage ne se serait pas réalisé.

Dans cette affaire, une patiente a subi une phlébectomie sous anesthésie générale. Les suites de cette opération se sont compliquées d’une atteinte au nerf crural droit, la patiente conservant alors une paralysie crurale. Elle a alors assigné en responsabilité et indemnisation le chirurgien ayant réalisé l’opération, l’anesthésiste, la Clinique ainsi que l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM). Cette dernière a rapidement été mise hors de cause dès lors que les expertises ont mentionné l’existence d’une faute.

Effectivement, il ressort des expertises menées qu’une faute est liée à un étirement excessif du muscle et du nerf crural lors d’un changement de position de la patiente. De la même manière, une faute était retenue à l’encontre de l’anesthésiste qui a préconisé une anesthésie générale alors qu’aucune circonstance ne le justifiait.

La Cour d’appel a quant à elle précisé que le chirurgien et l’anesthésiste devaient être tenus in solidum des condamnations prononcées mais dans la limite de 90%. Effectivement, la Cour a retenu que si une anesthésie locale avait été pratiquée, l’étirement du nerf crural ne se serait pas produit. De fait, la Cour considérait que l’anesthésie a fait perdre à la patiente une chance d’éviter l’étirement du nerf crural et donc de subir la paralysie. Cette perte de chance était estimée à 90%.

Le chirurgien formait alors un pourvoi en cassation précisant que « ce n’est que lorsqu’il ne peut être tenu pour certain qu’en l’absence de faute dans l’accomplissement d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins, le dommage ne serait pas survenu, que le préjudice subi s’analyse en une perte de chance ». Il est alors rappelé que la Cour d’appel avait dans le même temps retenu que l’étirement du nerf crural ne se serait pas produit en cas d’anesthésie local. Que de toute évidence, cette faute avait entièrement et directement concouru à la réalisation du dommage.

La Cour de cassation cassait l’arrêt rendu par la Cour d’appel au visa de l’article L.1142-1 du Code de la santé publique et au vu du principe de réparation intégrale de la victime, considérant que : « Il résulte de ce texte et de ce principe qu'une réparation ne peut être allouée au titre d'une perte de chance d'éviter le dommage qu'en l'absence de certitude que, si la faute n'avait pas été commise, le dommage ne serait pas survenu. »

Pour dire l'anesthésiste tenu in solidum avec le chirurgien des condamnations prononcées à son égard dans la limite de 90 %, après avoir retenu que l'anesthésiste a commis une faute en pratiquant une anesthésie générale au lieu d'une anesthésie locale, en l'absence de circonstances la justifiant, l'arrêt énonce que, si une anesthésie locale avait été pratiquée, l'étirement du nerf crural droit ne se serait pas produit et que l'anesthésiste a fait perdre à Mme [J] une chance d'éviter l'étirement du nerf crural et de subir une paralysie crurale, devant être évaluée à 90 %.

En statuant ainsi, sans tirer les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que la faute de l'anesthésiste avait entièrement et directement concouru à la réalisation du dommage de Mme [J] qui ne se serait pas produit sous anesthésie locale, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés. » En conséquence, la Cour de cassation retenait que le recours à la notion de perte de chance n’était ici pas justifié. La victime doit dès lors bénéficier d’un droit à indemnisation intégrale de ses préjudices et non à une proratisation de la réparation de son dommage.

Il est vrai que le concept de perte de chance a d’ores et déjà fait couler beaucoup d’encre. Cette notion a été admise pour la première fois dans une décision du 17 juillet 1889. Il faudra attendre 1975 pour que la perte de chance soit finie comme « la disparition, par l’effet d’un délit, de la probabilité d’un événement favorable, encore que par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine » (Cass. crim., 18 mars 1975). Cette définition va évoluer en « la disparition de la possibilité d’un événement favorable » (Cass. Civ. 1re., 21 nov. 2006 n° 05-15.674). Ce n’est qu’en 2010 que le caractère de certitude est intégré dans la définition de la perte de chance : « la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable ». (Cass. Civ,1ère, 14 octobre 2010, n°09-69.195). S’en est suivi de nombreux arrêts tentants chacun d’apporter leur pierre à l’édifice.

On ne peut donc que saluer dans l’arrêt étudié, une définition plus précise permettant de pencher vers une indemnisation intégrale ou grevée d’une perte de chance. Une nouvelle fois, cet arrêt s’inscrit dans un objectif de réparation intégrale des victimes, sans pertes ni profit.

Pauline FONLUPT