Intermédiation financière des pensions alimentaires : études et interrogations

A l’origine de ces lois était un constat : en France, un quart des parents séparés ne verse pas de pension alimentaire.

Le dispositif d’intermédiation financière est donc destiné à venir à bout de ces pensions alimentaires impayées, dont pâtissent principalement les familles monoparentales.

Annoncé quelques mois après le mouvement des « gilets jaunes », qui avait notamment mis sous le feu des projecteurs les difficultés des familles monoparentales, ce service public de versement des pensions alimentaires devait initialement voir le jour le 1er juin 2020. Son application a été reportée sous l'effet de la crise sanitaire, les CAF ayant dû se mobiliser pour verser des aides exceptionnelles. Il est finalement entré en vigueur le 1er mars 2022 pour tous les nouveaux divorces prononcés par un juge et fixant une pension alimentaire pour les enfants du couple.

L'objectif de ce dispositif d'intermédiation financière, prévu par la loi de programmation de la justice et porté conjointement par le ministère de la Santé et celui de la Justice, est double : faciliter le paiement des pensions alimentaires et prévenir les impayés.

Nous nous sommes alors penchés sur son fonctionnement pour en dégager ses écueils et insuffisances.

Quels sont les grands principes de fonctionnement de l’intermédiation financière des pensions alimentaires ?

L’article 72 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a créé un nouveau service public d’intermédiation financière des pensions alimentaires (« IFPA »), géré par l’agence de recouvrement et d’intermédiation des pensions alimentaires (« ARIPA »).

Le principe de ce dispositif est le suivant : le parent débiteur d’une pension alimentaire qui ne la verse pas à l’autre parent créancier, versera mensuellement le montant de la pension à l’ARIPA, qui se chargera ensuite de la reverser au parent créancier.

L’objectif est de sécuriser chaque mois le versement de la pension alimentaire aux parents créanciers, en prévenant le risque d’impayé.

Ainsi, il est prévu qu’en cas d’impayé, l’organisme sera subrogé dans les droits du parent créancier et pourra engager une procédure de recouvrement forcé lorsque le parent débiteur n’aura pas régularisé sa situation malgré une demande en ce sens.

Il est important de préciser que les parents peuvent s’accorder pour refuser la mise en place de l’intermédiation financière, sauf s’il existe un contexte de violences conjugales ou familiales (1° du II de l’article 373-2-2 du code civil modifié par la LFSS). En effet, la référence à ces violences entraine de facto l’obligation absolue de recourir à l’intermédiation et il ne sera pas possible pour les parents de s’y opposer, même d’un commun accord.

Enfin le juge peut, même d’office, décider d’écarter l’intermédiation financière s’il estime, par décision spécialement motivée, que la situation de l'une des parties ou les modalités d'exécution de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant sont incompatibles avec sa mise en place (2° du II de l’article 373-2-2 du code civil modifié par la LFSS).

Qui sont les bénéficiaires de l’intermédiation financière des pensions alimentaires ?

Le mécanisme de l’intermédiation financière ne s’applique que lorsque la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant est en numéraire.

Autrement dit, lorsque cette contribution prend la forme d’une prise en charge directe de frais exposés au profit de l’enfant ou sous la forme d’un droit d’usage ou d’habitation, le mécanisme de l’intermédiation ne pourra pas être mis en place.

L’intermédiation va s’appliquer automatiquement et de manière progressive :

• Depuis le 1er mars 2022, à toutes les décisions de divorces judiciaires rendues à compter de cette date.

• A compter du 1er janvier 2023 dans tous les autres cas de séparation. Cela concernera notamment le divorce par consentement mutuel extra-judiciaire enregistré devant Notaire ou les conventions parentales homologuées par le juge aux affaires familiales.

Comment ces bénéficiaires peuvent solliciter la mise en place de cette intermédiation ?

Il faut, pour répondre à cette question, distinguer deux cas de figure :

Soit les parents disposent d’un titre exécutoire :

L’un ou l’autre des deux parents, mais dans les faits il s’agit souvent du parent créancier de la pension alimentaire, peut solliciter la mise en place de l’intermédiation directement auprès de l’ARIPA en se rendant sur le site Internet de cet organisme. Ce dernier constituera le dossier en demandant à l’un et à l’autre les informations et pièces manquantes et enclenchera la procédure de recouvrement.

Soit les parents ne disposent pas encore d’un titre exécutoire.

Cette intermédiation sera automatique dans tous les dossiers de divorces contentieux en cours et pour lesquels une décision de justice sera rendue postérieurement au 1er mars 2022.

Dans le cadre de ces procédures, il est du rôle de l’avocat du créancier à la fois de s’assurer de la possibilité ou de l’obligation de mise en œuvre de ce mécanisme, mais également de fournir au tribunal l’ensemble des éléments nécessaires à cette mise en place.

L’avocat veillera en effet à ce que la mise en place de cette intermédiation ait lieu de manière automatique :

• lorsque l’une des parties fait état, dans le cadre de la procédure, de ce que le parent a fait l'objet d'une plainte ou d'une condamnation pour des faits de menaces ou de violences volontaires sur le parent créancier ou l'enfant, • lorsque l’une des parties produit une décision de justice concernant le parent débiteur mentionnant de telles menaces ou violences dans ses motifs ou son dispositif

Que se passe –t-il en cas d’impayés ?

En cas d’impayé, l’ARIPA intervient auprès du débiteur dans les 15 jours pour qu’il régularise dans un délai de 15 jours sa situation et en avise le créancier.

Les procédures d’exécution forcée sont donc mises en œuvre au bout de 30 jours d’impayés – l’ARIPA dispose alors des mêmes prérogatives que les huissiers pour agir directement en matière de paiement direct.

A compter de la mise en place du recouvrement forcé, l’ARIPA déclenche directement le paiement d’une Allocation de soutien familial au créancier, s’il est éligible, ce qui n’est pas le cas de tous les créanciers dans la mesure où le versement de cette somme est soumise à des niveaux de revenus définis.

Cependant, et à ce stade, le créancier se retrouve exactement dans la même situation que dans le système antérieur, lorsqu’il ne pouvait actionner la procédure de paiement direct qu’à l’issue d’un retard de paiement de 30 jours.

Il est donc fortement à craindre que les délais de paiement soient allongés et qu’au surplus l’efficacité soit totalement différente selon les territoires et l’engorgement des tribunaux.

Une dernière question se pose ainsi : quelles sont les difficultés à prévoir dans la mise en œuvre de ce dispositif ?

De par son automatisme au sein de toutes les décisions judiciaires de divorces qui seront rendues à compter du 1er mars 2022, la mise en œuvre de cette intermédiation met à la charge des greffes des juges aux affaires familiales un travail supplémentaire tant au niveau rédactionnel qu’au niveau de la collecte d’informations concernant les parties.

C’est la raison pour laquelle la première version 2021 de ce dispositif n’avait pas été très investie par les juridictions tant en raison de cette charge de travail que de la complexité du système (la plateforme ARIPA n’étant pas suffisamment intuitive) ou encore de l’insuffisance des effectifs actuels des greffe pour traiter les dossiers en cours et les stocks.

Pour faire face à ce phénomène, la Dépêche de la chancellerie du 12 Janvier 2022 a donc promis que « l’entrée en vigueur sera immédiatement accompagnée de renforts pour les greffes ».

Mais alors qu’en penser au final… ?

En conclusion, s’il est possible de souligner la volonté du législateur de réduire, voire faire disparaitre les cas d’impayés de pensions alimentaires, il est à craindre que ce passage en force à l’intermédiation ne réponde pas exactement à cet objectif.

En effet, cette mise en œuvre s’inscrit dans une réflexion de déjudiciarisation de la fixation de la pension alimentaire.

Cependant, le système qui a été prévu est un système lourd qui risque de dégrader le fonctionnement de la justice familiale.

En outre, il est à craindre que l’on se retrouve facilement dans le cas d’une pension impayée, dont le recouvrement est géré par l’ARIPA et dans lequel le créancier de cette pension, dans l’attente d’un recouvrement effectif, devra se contenter du versement de l’ASF à hauteur de 117 € par mois, dans l’hypothèse où ses revenus lui permettent de prétendre à cette allocation.

Dans le cas contraire, il ne percevra donc aucune somme dans l’attente de ce recouvrement.

Ce constat peut inquiéter, notamment dans la mesure où la France est à ce jour l’un des payes européen à fixer les pensions alimentaires les plus faibles.

Cécile CREVANT