Responsabilité du fait des produits défectueux et dommage corporel : articulation des régimes de prescription

Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 1-6, arrêt du 29 septembre 2022, RG n°22/0090.

A été jugé prescrite l’action d’une victime en dommage corporel, intentée plus de trois ans après la réalisation du dommage. Si l’on pourrait s’offusquer d’un délai de prescription si court en dommage corporel, il ne s’agit pas là d’une méconnaissance des règles de prescription mais bien une juste application du régime spécial dérogatoire de responsabilité du fait des produits défectueux.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est prononcée très justement sur l’articulation de ces deux régimes de responsabilités, eu égard aux délais d’action de la victime.

Pour rappel, par dérogation au droit commun, les victimes de dommage corporel se voient accorder un délai de prescription de dix ans à compter de la consolidation de leur état de santé pour pouvoir faire valoir leurs droits en justice.

Or, ce délai de prescription ne trouve plus à s’appliquer dès lors que le fait dommageable est imputable à un produit défectueux. Ce régime de responsabilité est enfermé dans un double délai, édicté aux articles 1245-15 et 1245-16 du Code civil : un délai décennal à compter de la mise en circulation du produit et un délai triennal à compter du jour où la victime a connaissance de trois éléments cumulatifs : « le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur. » (art.1245-16 Code civil).

La lecture de la jurisprudence a permis de constater que la Cour de cassation pouvait maintenir l’application du délai de dix ans pour les victimes d’un produit défectueux. Or, cette règle était et demeure applicable pour les produits qui ont été commercialisés avant le 23 mai 1998.

Effectivement, le régime de responsabilité du fait des produits défectueux a été créé par la directive du 24 juillet 1985 n° 85/374/CEE et dont l’expiration du délai de transposition était fixée au 30 juillet 1988. Pourtant, cette directive n’a été transposée en droit national que dix ans après le délai accordé, par la loi n°98-389 du 19 mai 1998, entrée en vigueur le 23 mai 1998.

Il en résulte pour la Cour de cassation, que les dommages corporels causés par des produits défectueux antérieurement à la loi de transposition du 23 mai 1998 se voient appliquer le délai décennal visé par l’article 2226 du Code civil, dont le point de départ est la consolidation de l’état de santé.

Effectivement, la Cour rappelle communément qu’ « il résulte du principe de non-rétroactivité que l’action en réparation n’est pas soumise au délai de trois ans, mais au délai de dix ans à compter de la date de consolidation du dommage alors prévu par la loi française, lorsque la mise en circulation du produit défectueux, bien que postérieure à l’expiration du délai de transposition, est cependant antérieur à l’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 qui a effectivement transposé la directive en droit français.Cass. Civ. 1ère, 15 mai 2015, n°14-13.151.

Or, depuis la loi de transposition, le régime de responsabilité des produits défectueux est un régime spécial, applicable dès lors que la sécurité d’un produit est en cause. Il obéit à ses règles propres de prescription et de forclusion.

Saisie d’une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union Européenne avait alors rappelé que « l’article 13 de la directive européenne du 25 mai 1985 ne peut être interprétée comme laissant aux Etats membres la possibilité de maintenir un régime général de responsabilité du fait des produits défectueux différent de celui visé par la directive, de sorte que les droits conférés par la législation d’un Etat membre aux victimes d’un dommage causé par le défaut d’un produit au titre d’un régime général de responsabilité ayant le même fondement que celui mis en place par la directive, peuvent se trouver limités ou restreints à la suite de la transposition de la directive. » CJCE 25 avril 2002.

Cela se trouve être le cas en droit français où une victime d’un produit défectueux ne peut pas bénéficier de l’application du régime de responsabilité de plein droit du fait des choses.

Ce non cumul est rappelé par l’article 1245-17 du Code civil qui précise que : « Les dispositions du présent chapitre ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité. Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond. »

La seule possibilité pour la victime de bénéficier d’un régime de responsabilité dérogatoire serait une action fondée sur le vice cachée ou une faute, étant précisé que la faute doit être distincte du défaut de sécurité du produit.

Dans l’arrêt étudié, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a été particulièrement rigoureuse dans son analyse. Le dommage subi par l’appelante était consécutif au défaut de sécurité d’un produit. Aussi, la Cour retenait que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux « est seul applicable dès lors que la sécurité d’un produit est en cause. Il obéit à des règles propres comprenant notamment des règles de prescription et de forclusion particulières, applicables aux produits dont la mise en circulation est postérieure à sa date d’entrée en vigueur, c’est-à-dire le 23 mai 1998. »

Pour s’y retrouver, si un dommage corporel est causé par un produit défectueux, commercialisé après le 23 mai 1998, l’action de la victime doit être intentée dans le délai de trois ans à compter de sa connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur, sans que ce délai ne puisse excéder dix ans à compter de la mise en circulation.

En revanche, si le dommage subi par une victime n’entre pas dans la catégorie des produits défectueux, le délai de prescription de dix ans, dérogatoire au droit commun, trouvera à s’appliquer.

Une rigueur est alors nécessaire dans l’analyse des causes du dommage.

Pauline FONLUPT