Le déconfinement de l’activité juridictionnelle : faux départ ?

Dans le cadre des mesures de déconfinement accordées à compter du 11 mai, le gouvernement a promulgué l’ordonnance n°2020-595 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.

Ainsi, cette ordonnance a pour objectif d’encadrer les règles de déconfinement au sein des Tribunaux judiciaires. Le constat n’est pas des moindres : il s’agit véritablement d’un déconfinement par étapes pour l’activité juridictionnelle.

Pour rappel, l’ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020 a instauré un régime d’exception concernant le fonctionnement des juridictions durant cette période d’état d’urgence sanitaire. Il était notamment prévu la suppression des audiences collégiales par la possibilité de statuer à juge unique (article 5), la restriction de la publicité de l’audience (article 6) ou encore la suppression de la plaidoirie, les parties pouvant s’y opposer dans un délai de 15 jours (article 8).

A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle, il a également été instauré la possibilité pour le juge, le président de la formation de jugement ou le juge des libertés et de la détention de décider que l’audience se tiendrai en utilisant « un moyen de télécommunication audiovisuelle » (article 7). Sur ce dernier point, il était notamment précisé par l’ordonnance, que, en cas de difficultés techniques ou matérielles, les parties pourraient être entendues par « tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique ».

Face à l’étendue de ces restrictions, la période de confinement a permis de mettre en lumière le manque de moyens matériels accordés à la justice pour son fonctionnement. Et pour cause, il apparait que les juridictions civiles ont quasiment cessé de fonctionner.

Alors qu’en est-il aujourd’hui au sortir de la période de confinement ?

Nous pouvions raisonnablement nous attendre à une reprise judiciaire intensive, promouvant toutefois la distanciation physique et la sécurité des justiciables.

Mais, à la lecture de l’ordonnance 2020-595 du 20 mai 2020, nous constatons que le régime dérogatoire a été largement maintenu.

En effet, les restrictions évoquées supra perdurent, voir sont étendues.

Entres autres, la possibilité de statuer à juge unique demeure. Il y est toutefois précisé que : « En procédure écrite ordinaire, le juge de la mise en état ou le magistrat chargé du rapport peut tenir seul l'audience pour entendre les plaidoiries. Il en informe les parties par tout moyen. Il rend compte au tribunal dans son délibéré. « Le présent article s'applique aux affaires dans lesquelles l'audience de plaidoirie ou la mise en délibéré de l'affaire dans le cadre de la procédure sans audience a lieu pendant la période mentionnée à l'article 1er. »

De la même manière, la publicité des audiences était restreinte dès le début du confinement. Cette décision est entérinée. Sur ce point, l’ordonnance du 20 mai 2020 insère un nouvel alinéa accordant aux chefs de juridiction, l’organisation des conditions d’accès au Tribunal, aux salles d’audiences et aux services qui accueillent le public.

Force est de constater qu’il est préféré un plan de continuation d’activité – et désormais de reprise – au sein même des juridictions et non au niveau national.

En outre, aux termes de l’article 5 de ladite ordonnance, la possibilité pour le juge, le président de la formation de jugement ou le juge des libertés et de la détention de décider que l’audience se tiendra par tout moyen de télécommunication audiovisuelle est maintenue, tout comme le recours à « l’audience par téléphone ». Enfin, la possibilité accordée au juge de solliciter une audience sans plaidoirie est également maintenue, supprimant en grande partie la plaidoirie au profit de l’épurement des dossiers retardés par le confinement. Entre plaidoiries par écran interposés, plaidoiries masquées ou plaidoiries annulées, la parole de l’avocat semble regrettablement affaiblie.

Nous pourrions être effrayés de la place de l’avocat au sein des Tribunaux. L’art de la plaidoirie étant relayé au second plan.

Mais à ne pas s’y méprendre, nous pouvons aisément constater que, malgré le manque de moyens accordé, les juridictions s’engagent fermement à faire avancer les procédures.

De plus, et tel que cela a été rappelé par les différentes ordonnances publiées pendant cette période d’état d’urgence sanitaire, la plaidoirie conserve sa place pour toutes les affaires où celle-ci demeure indispensable. Il faudra alors très certainement patienter jusqu’à la fin de l’année pour assister à un réel déconfinement des juridictions. Dans l’attente, l’occasion n’est-elle pas trouvée de renforcer le poids des mots derrières nos masques ?