Cour de cassation Chambre civile 2, 12 avril 2012

Si la diffamation et l’injure sont régies par la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, qui établit un régime spécial à l’instar du délai de prescription réduit à trois mois, les sanctions des atteintes à la vie privée sont organisées par le Code Civil. L’article 9 dispose en effet que « chacun a droit au respect de sa vie privée », ce qui est d’ailleurs confirmé par de nombreuses conventions internationales, notamment par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et du Citoyen.

L’avènement de la société de l’information pose des questionnements nouveaux s’agissant des atteintes réalisées par l’intermédiaire d’Internet, tel que le point de départ du délai de prescription. L’action en réparation des atteintes à la vie privée est soumise au délai de prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil, ramené à 5 ans depuis une loi du 17 juin 2008. S’agissant du point de départ de la prescription, l’article 2270-1 ancien disposait que le point de départ du délai pour les actions en responsabilité extracontractuelle était en principe fixé à la date de manifestation du dommage ou de son aggravation. D’aucun considéraient que la date de survenance du dommage correspondait à celle de la connaissance de l’atteinte par la victime.

Ce n’est pas la solution retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation dans un arrêt du 12 avril 2012.

L’affaire concerne une atteinte à la vie privée commise par un article publié sur le site internet du journal « L’Humanité » en août 1996. La victime a eu connaissance de l’atteinte assez tardivement et n’intenta son action qu’en 2009, soit treize années plus tard. La victime allègue la connaissance tardive afin de décaler le point de départ de la prescription et de rentrer dans le délai, qui à l’époque des faits était de 10 ans. La Cour ne retient pas cette argumentation et déclare que « le délai de prescription de l’action en responsabilité civile extracontractuelle engagée à raison de la diffusion sur le réseau Internet d’un message, court à compter de sa première mise en ligne, date de la manifestation du dommage allégué. »

Cette décision réduit donc fortement le délai pour agir puisqu’elle fixe la survenance du dommage à la publication du message constitutif de l’atteinte sans aucune considération de la date de la connaissance par la victime. Ceci peut paraître critiquable en l’espèce compte tenu du fait qu’à l’époque de la publication de l’article litigieux, la presse sur Internet était encore un phénomène assez marginal et il était donc plausible que la victime n’en ait eu vent que plus tard. Elle a toutefois l’avantage certain de calquer la position de la chambre civile sur celle tenue par chambre criminelle en matière d’injure et de diffamation par Internet depuis un arrêt du 30 janvier 2001, considérant que le délai de trois mois court à partir de la date de la première mise en ligne.

Cette solution apparaît toutefois inadaptée au phénomène de l’Internet qui se caractérise par une multitude grandissante d’informations qui s’inscrivent dans la permanence, et ce d’autant plus que le principe du droit à l’oubli n’en est qu’à ses balbutiements. Des données peuvent donc continuer d’exister et donc de porter préjudice perpétuellement. De plus les atteintes sur internet ne sont plus l’apanage des professionnels de la presse, aisément identifiables. On peut alors se demander si la tendance ne devrait pas aller vers un report des points de départ des délais de prescription, afin de permettre une meilleure défense contre ce type d’atteintes.