Eclairage sur l’interdiction de gérer

A l’heure où la conjoncture économique a un effet sur les ouvertures de procédures collectives, la Cour de cassation a eu l’occasion dans un arrêt récent de revenir sur les conditions de mises en œuvre de l’action en interdiction de gérer à l’encontre d’un dirigeant.

Dans sa décision du 23 novembre 2022, n° 21-19.431, B, la Cour a précisé le délai de prescription dont bénéficie le liquidateur pour agir en sanction contre le dirigeant de la société liquidée.

Au cas d’espèce, la Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi formé contre un arrêt rendu le 25 mai 2021 par la Cour d’Appel de Bordeaux.

Le dossier portait sur un professionnel exerçant les activités d’agent immobilier, marchand de biens et courtier en assurances, et qui a été placé en redressement judiciaire le 5 juillet 2012.

Le 11 octobre de la même année, la procédure avait été étendue aux trois sociétés civiles immobilières dont il était le gérant.

Le Tribunal de commerce en charge de l’affaire avait arrêté le 15 janvier 2013, un plan de redressement de professionnel et de ses SCI, avec un délai de trois ans pour vendre des actifs aux fins d'apurer le passif.

Par jugement du 7 avril 2013, le Tribunal après avoir constaté que le plan n’avait pas été respecté, l’a résolu et a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre du professionnel et des SCI.

Le cas s’est complexifié en raison d’une irrégularité de procédure ayant conduit à l’annulation de cette décision.

Ce n’est finalement que le 7 novembre 2016, que la résolution du plan de redressement a été ordonnée par la Cour d’Appel et qu’a été ouverte la liquidation judiciaire des débiteurs.

Postérieurement, le liquidateur a reproché au gérant de n’avoir pas coopérer avec les organes de la procédure et surtout de n’avoir pas tenu de comptabilité.

Il l’a donc assigné devant le tribunal de commerce le 19 septembre 2019 pour voir prononcer son interdiction de gérer.

Par jugement du 15 décembre 2020, le Tribunal de commerce a prononcé une interdiction de gérer à l'encontre du gérant pour une durée de dix ans.

Ce dernier a interjeté appel au motif que l’action en sanction initiée par le liquidateur était prescrite et infondée.

La Cour d’appel de Bordeaux a confirmé le jugement, déclarant l'action du liquidateur recevable comme non prescrite.

Le gérant, tenace, a formé un pourvoi en cassation, considérant que l'annulation par la cour d'appel du jugement qui prononce la liquidation judiciaire ne reporte pas le point de départ de la prescription à la date de l'arrêt qui prononce à nouveau une liquidation judiciaire.

Il convient de rappeler les règles de droit applicables.

Lorsqu'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est ouverte, le Tribunal peut prononcer la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer à l'encontre de tout dirigeant d'une personne morale contre lequel a été relevé l'un des faits prévus par les articles L. 653-3 à L. 653-6 du code de commerce, ces sanctions pouvant être prononcées dès lors qu'un seul de ces faits est établi.

Selon l’article L. 653-1, II, du même code, les actions en faillite personnelle ou interdiction de gérer se prescrivent par trois ans à compter du jugement qui ouvre la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

Or, l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire après résolution du plan de redressement constitue bien une nouvelle procédure. En conséquence, le délai de prescription de trois ans pour agir en interdiction de gérer contre le dirigeant commence à courir à compter de la décision d’ouverture de cette nouvelle procédure.

C’est que qu’a explicité la Cour de Cassation dans son arrêt du 23 novembre dernier.

La Cour indique ainsi, que l'annulation d'un jugement qui prononce une liquidation judiciaire après résolution d'un plan entraîne l'anéantissement rétroactif de cette décision.

Aussi, après avoir énoncé que, conformément aux dispositions de l’article L. 626-27 du code de commerce, “l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire après la résolution d'un plan de redressement constitue une nouvelle procédure, l'arrêt en déduit exactement que le délai de prescription de trois ans de l'article L. 653-1, II, du même code commence à courir à compter de la décision d'ouverture de la nouvelle procédure”.

La Cour fait une application stricte des dispositions du code de commerce.

Appliqué au cas d’espèce, il en ressort que :

- l'annulation du jugement du 7 avril 2016 a privé rétroactivement ce dernier de tout effet ;

- le point de départ du délai de prescription de trois ans ne peut donc être la date du jugement annulé, mais doit être fixé à la date de l'arrêt ayant annulé le jugement et ouvert la liquidation judiciaire, soit au 7 novembre 2016 ;

- l'action du liquidateur a été introduite par une assignation du 19 septembre 2019, soit avant l’expiration du délai de trois ans.

Le pourvoi du gérant téméraire a ainsi été rejeté.

Moralité, si la vie des affaires peut conduire à l’ouverture de procédures collectives, coopérez et surtout tenez toujours une comptabilité régulière !

Olivier COSTA Avocat Associé